Le paravent de soie et d'or. Gautier Judith

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Le paravent de soie et d'or - Gautier Judith

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verrous tirés.

      – Quoi donc? quoi donc? dit l'avare en apparaissant dans le cadre de la porte. Nous a-t-on volé la tortue de fer, ou quelque autre ornement extérieur?

      Cerf-Volant attira son maître dehors et referma à demi la porte, pour bien la mettre en lumière; puis il appuya ses mains sur ses tempes, comme s'il eût voulu empêcher sa tête d'éclater en face d'un pareil malheur.

      – Oh! oh! s'exclama l'avare, prend-on ma maison pour le pilier public, ou bien, quelque poète sans renommée a-t-il choisi ma porte pour éditeur? En ce cas, il me payera une redevance.

      Et Rouille-des-Bois, tirant de la manche de sa houppelande, en peau de mouton, râpée jusqu'au cuir, une énorme paire de lunettes, se la campa sur le nez.

      A mesure que le sens des caractères arrivait à son esprit, le visage de l'avare s'allongeait démesurément, comme s'il eût été reflété par une de ces boules en cuivre poli qui ornent les balustrades.

      – Hein! on m'insulte, murmura-t-il; on me couvre de honte, on me déshonore, moi, un homme vénérable, qui ai passé soixante ans et qui mérite le respect! Avare! ladre! et cela parce que je suis pauvre et économe!

      Les passants, de plus en plus nombreux, s'arrêtaient curieux.

      Rouille-des-Bois arracha les affiches et fut sur le point de les jeter dans le ruisseau; mais il se ravisa en songeant que l'on pourrait en faire du feu. Il rentra chez lui en fermant la porte avec colère.

      – Que se passe-t-il donc, mon oncle? Pourquoi sembles-tu irrité? dit une jeune fille toute pâle de froid, qui entra d'un autre côté dans le salon d'honneur, au moment où Rouille-des-Bois y pénétrait.

      – Faites donc le bien, s'écria le vieillard, très animé, recueillez des orphelins, comme j'ai recueilli Perle-Fine, soyez poli avec tout le monde, charitable comme Miaou-Chen4, – n'ai-je pas, l'an dernier, distribué un bol de riz entre toute une armée de mendiants? – pour être traité comme l'on me traite, pour recevoir cette récompense!

      Et il jeta au milieu du salon les deux affiches dont il avait fait une boule.

      Perle-Fine les ramassa et les déplia. Tandis qu'elle les lisait, en tachant de reconstruire le sens à travers les déchirures, Cerf-Volant jeta quelques charbons ardents dans un grand réchaud de cuivre, à moitié empli de cendres. Mais ce maigre feu, par un froid pareil, était une amère ironie; il semblait geler lui-même dans celte grande pièce glaciale, que cinquante réchauds eussent à peine chauffée.

      Cette salle avait été décorée, jadis, par les parents de Rouille-des-Bois, et gardait encore un air d'élégance. Une frise de bois rouge, toute découpée, courait autour des murs, près du plafond, où des poutrelles, autrefois peintes et dorées, s'entrecroisaient. La tenture était une vieille étoffe toute déteinte, mais on apercevait encore des traces de broderies. Seuls les meubles en bois de fer sculptés s'étaient embellis en vieillissant, mais quelques-uns boitaient. Dans un enfoncement, élevé d'une marche, apparaissait le banc d'honneur, sur lequel on fait asseoir les visiteurs; il était recouvert d'un petit matelas, plat comme une galette, que cachait une natte en fibre de bambou, toute effiloquée. C'était dans ce coin, un peu abrité des vents coulis, que Perle-Fine se tenait le plus souvent; elle transportait là le réchaud et déployait devant l'ouverture de l'enfoncement un vieux paravent dont la laque s'écaillait. Des poutrelles du plafond pendaient çà et là quelques grosses lanternes poussiéreuses.

      – Eh bien! mon oncle, dit Perle-Fine, en levant vers Rouille-des-Bois ses grands yeux obliques, frangés de cils superbes, il est bien facile de faire cesser cet affreux scandale; il faut rendre à vos amis la politesse qu'ils vous ont faite.

      – C'est cela que tu as trouvé? dit le vieillard, en haussant les épaules.

      – Songez à votre dignité. Oseriez-vous paraître dans la rue, avec la crainte d'être insulté par les passants?

      – Puisque j'ai arraché les affiches, on ne les lira pas.

      – Peut-être les a-t-on lues déjà, dit la jeune fille.

      Rouille-des-Bois baissa la tête un instant, mais il n'était pas encore bien convaincu.

      – Cerf-Volant! s'écria-t-il, va donc rôder sur le marché, et tâche de savoir si l'on est au courant de mon malheur.

      Cerf-Volant leva les bras au ciel et s'enfuit. L'avare se mit à marcher à grands pas par la chambre autant pour se réchauffer que pour calmer son agitation. Mais le jeune serviteur ne demeura pas longtemps absent; il rentra précipitamment, tout effaré, les vêtements souillés de neige à demi fondue.

      – Savoir, dit-il, Méchants!.. Battu!..

      Le pauvre garçon, lui, était avare de paroles; il ne prononçait jamais qu'un mot à la fois.

      – Comment! on t'a battu, mon pauvre Cerf-Volant? dit Perle-Fine.

      Cerf-Volant fit signe que oui et montra les projectiles de neige qui s'étaient écrasés sur lui. – Il faut se soumettre, dit Rouille-des-Bois, en soupirant; ils seraient capables de me traiter de même. Tous ces gens-là veulent ma ruine et ma mort.

      – Voyons, mon oncle, vous ne mourrez pas pour avoir donné un dîner, une fois dans votre vie.

      – Ah! toi, si on t'écoutait, s'écria l'avare, nous serions bientôt réduits à la mendicité. On dirait vraiment que tu me crois riche.

      La jeune fille eut un sourire, mais, sans répondre, elle alla prendre du papier rouge dans un tiroir.

      – Allons, faites vos invitations, dit-elle.

      – Voilà bien longtemps que je n'ai tenu un pinceau, dit Rouille-des-Bois, la main me tremble, écris toi-même.

      Perle-Fine s'assit et saisit le pinceau entre ses petits doigts aux ongles longs.

      L'opération fut laborieuse: à mesure que Cerf-Volant délayait le bâton d'encre, l'encre gelait. La jeune fille disait tout haut les noms qu'elle traçait sur le papier rouge. Chaque nom arrachait un soupir à Rouille-des-Bois.

      – Celui-là, c'est un avale-tout, disait-il, il mange jusqu'à ce qu'il étouffe; cet autre est altéré comme le sable des steppes de Tartarie; quant à celui-ci, il jette à poignées les liangs d'or comme si c'étaient des cailloux: le jour où j'ai dîné chez lui, on n'a pas servi moins de quatre-vingt-douze plats; te souviens-tu, Cerf-Volant?

      – Oui!.. fit Cerf-Volant, les yeux au ciel.

      Il avait partagé avec les autres serviteurs les reliefs du festin, et s'était donné ce jour-là une délicieuse indigestion, la seule qu'il eût eue de sa vie.

      – N'oublions pas d'inviter le seigneur Bambou-Noir, dit la jeune fille. Il a la langue bien pendue, et, tandis qu'il parle, on oublie de manger.

      Cette raison sembla décider Rouille-des-Bois, qui avait fait d'abord un geste de dénégation. – A-Mi-To-Fo! s'écria-t-il, lorsque les invitations furent prêtes, que voilà une belle aventure! N'était-ce pas assez d'avoir à nous nourrir nous-mêmes? Faut-il donc encore donner la becquée à ces jeunes fous qui, non contents de leur faim de lion, prennent des drogues pour s'aiguiser l'appétit?

      Cerf-Volant, tout frissonnant de froid, prit les papiers rouges, soigneusement plies, et s'en alla pour les porter

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<p>4</p>

La déesse de la Compassion.