Le paravent de soie et d'or. Gautier Judith

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Le paravent de soie et d'or - Gautier Judith

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style="font-size:15px;">      Un matin du plus froid hiver dont se souviennent les habitants de Nankin, une bande de jeunes gens descendaient de la ville noble vers le faubourg de Tsié-Tan, avec un grand bruit de voix et d'éclats de rire. Il faisait à peine jour, aucune boutique ne s'ouvrait encore; les rues étaient désertes, et un tel froid retenait au lit les dormeurs que, pour être levé à une pareille heure, il fallait ne pas s'être couché.

      C'était le cas de ces jeunes hommes, qui faisaient claquer leurs semelles sur les dalles des rues et conversaient bruyamment sans respect pour le sommeil d'autrui; ils venaient de boire et de se divertir toute la nuit, à l'occasion du mariage d'un de leurs amis. Échauffés par le vin de riz, ils ne sentaient pas le froid, contre lequel les protégeaient d'ailleurs les plus belles et les plus chaudes fourrures. Les uns avaient leur manteau de soie doublé de renard noir, d'astrakan blanc, de rat de Chine; les autres, de peau de lynx, de cerf ou de pélican: un seul portait, comme s'il eût été prince, du dragon de mer, cette merveilleuse fourrure qui n'a pas sa pareille. Tous avaient des bottes de satin noir fourrées et des capuchons de velours, plus ou moins brodés, par-dessus leur calotte.

      Ces jeunes gens étaient arrivés au faubourg Tsié-Tan, tout en continuant à rire et à causer. – Chut! mes amis, nous approchons, dit, un doigt sur ses lèvres, celui qui marchait en avant. Ce jeune homme était le moins somptueusement vêtu de la joyeuse bande, mais c'était le plus charmant de visage et de tournure.

      – Bambou-Noir, a raison, dit un autre; adoptons l'allure silencieuse des poissons qui glissent dans le fleuve blanc.

      Tous se turent et se mirent à marcher, avec des précautions exagérées, le long de la muraille. – Voici la maison de Rouille-des-Bois, reprit Bambou-Noir, cent pas plus loin.

      Bambou-Noir appela d'un geste un domestique qui suivait à quelque distance les jeunes seigneurs. Le domestique s'avança; il portait un rouleau de papier de diverses couleurs et un pot a colle.

      On déroula les papiers, et, avec des rires étouffés, les jeunes fous s'approchèrent de la maison désignée par Bambou-Noir.

      Elle était d'assez belle apparence, mais délabrée et mal entretenue. L'émail vert de la petite toiture, retroussée aux angles, qui formait auvent au-dessus de la porte, était écaillé et manquait par places, les murs se fendillaient, et l'on ne distinguait plus de quelle couleur ils avaient été peints, sous les mille éclaboussures qui la couvraient. La rouille dévorait la tortue de fer qui servait de marteau; on voyait enfin que le propriétaire refusait à sa demeure les réparations qu'elle réclamait impérieusement.

      Une affiche, d'un beau rouge pourpre éclatant, apparut bientôt sur le ton sale de la porte. De gros caractères, élégamment tracés, s'alignaient en colonnes.

      «Chaque être, chaque chose, disaient-ils, porte le nom qui lui convient; jamais on n'a vu une souris se faire appeler cheval, ni un monceau de fumier prendre le nom d'une fleur parfumée. Alors, pourquoi Rouille-des-Bois, le vénérable propriétaire de cette maison, n'est-il pas nommé: l'Avare, le Ladre, l'Esclave-de-Ses-Sacs, ou de quelque autre titre analogue?»

      Une affiche bleue s'était étendue au-dessous de l'affiche rouge.

      «Écoutez une jolie histoire, disait celle-ci. Un vénérable avare du faubourg de Tsié-Tan fut prié à dîner par un seigneur de la haute ville: l'avare accepta l'invitation, et, le jour venu, mangea avec grand appétit et but au point qu'il fallut le rapporter chez lui. Les convives qui assistaient au dîner se hâtèrent, l'un après l'autre, de rendre au noble seigneur sa politesse; chaque fois l'avare fut invité, et il dîna successivement chez tous les convives du noble seigneur. Depuis lors, bien des lunes se sont écoulées, et, chaque matin, le noble seigneur interroge ses domestiques:

      « – N'est-il pas venu une invitation de la part du vénérable avare?

      « – Non, maître.

      «Et le seigneur fronce le sourcil. Quelquefois il fait battre ses domestiques, mais ceux-ci jurent, sur les mânes de leurs ancêtres, qu'ils n'ont point égaré l'invitation, car elle n'est jamais venue. A-t-on jamais entendu parler, dans l'Empire du Milieu, d'un pareil oubli des convenances?»

      Le jeune homme dont les épaules étaient élargies par la douce épaisseur de la peau du dragon de mer, s'appuyait sur Bambou-Noir, et relisait la seconde affiche.

      – Ami! ami! dit-il à demi-voix, faut-il que nous t'aimions pour nous exposer ainsi à nous voir forcés de goûter à la cuisine de ton oncle vénérable!

      – Certes, dit Bambou-Noir, l'ordinaire des mendiants et des vagabonds, qui sortent le matin de la maison des Plumes-de-Poules3 est préférable à celui où l'avarice a réduit ce malheureux homme; le fricot que se préparent les prisonniers, de leur main un instant désenchaînée, vaut mieux encore que celui fricassé par le pauvre Cerf-Volant, son domestique, qui a bien de la vertu de ne pas dévorer, avant de la servir, la maigre pitance, dont il n'a que les restes.

      – Aïe! aïe! Tu nous épouvantes, dit l'un des jeunes gens, mais nous serons courageux. Que ne ferait-on pas pour obliger un ami?

      – Je ne veux pas votre mort, dit Bambou-Noir, en riant; n'allez pas oublier de dîner copieusement avant de vous rendre à l'invitation de cet avare.

      – Bon! bon! Nous dînerons d'avance, dirent les jeunes seigneurs, en étouffant leurs rires. – Éloignons-nous, dit l'un deux; voici que l'on commence à ouvrir les boutiques et le soleil fait étinceler le givre au bord des toits.

      Bambou-Noir poussa un soupir et leva les yeux vers les treillis d'une fenêtre.

      – Tu vas réveiller Perle-Fine, avec tes soupirs, dit le jeune homme aux belles fourrures.

      – Ah! si je pouvais voir seulement le bout de son ongle, ou l'ombre de sa petite main, sur le papier de la fenêtre.

      – Allons, patience! Si notre complot réussit, Perle-Fine sera bientôt ta femme.

      Tous les jeunes gens s'éloignèrent et, avant de disparaître à l'angle d'une rue, ils jetèrent un dernier coup d'œil à la maison de Rouille-des-Bois.

      Quelques passants s'étaient arrêtés devant les affiches et les lisaient, en se tenant les côtes de rire. L'un deux souleva le marteau de la porte et le laissa retomber bruyamment, puis tous s'enfuirent, dans toutes les directions.

II

      Une vieille tête pointue et maigre, qui semblait taillée dans un ivoire centenaire, se glissa par l'entrebâillement d'une fenêtre et regarda en dehors. Au même moment un serviteur ouvrit la porte et promena ses regards surpris sur la solitude de la rue.

      Ce serviteur était un jeune garçon, mince comme une tige de bambou, long, effaré, silencieux. Dès la première lune d'hiver, gelé jusque dans la moelle de ses os, il tremblait toujours comme un chien mouillé, mais ne s'imaginait même pas qu'on pût songer à se chauffer. Rouille-des-Bois l'avait élevé. A l'appel de son maître il se précipitait désespérément, les bras étendus, comme si un malheur était arrivé, et recevait l'ordre sans rien dire. Il remuait seulement ses grands yeux épouvantés et reparlait subitement avec le même geste de désespoir. Pour lui, la vie était quelque chose d'incompréhensible et de terrible.

      A la vue de ces affiches bariolant la porte, il sortit de son mutisme: les bras au ciel, il poussa une longue exclamation.

      – Qu'est-ce donc, Cerf-Volant? dit le vieillard qui regardait d'en haut.

      – Venez, s'écria

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<p>3</p>

C'est une sorte d'asile public où dorment les mendiants et les vagabonds. Il se compose d'une seule pièce dont le sol disparaît sous un amas de plumes de poules.