Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9). Жорж Санд

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Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9) - Жорж Санд

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briser, à détruire, à taquiner, à jouer de mauvais tours à tout le monde. Un jour, il lançait des tisons enflammés dans la cheminée, sous prétexte de sacrifier aux dieux infernaux et il mettait le feu à la maison. Un autre jour, il mettait de la poudre dans une grosse bûche pour qu'elle fît explosion dans le foyer et lançât le pot-au-feu au milieu de la cuisine. Il appelait cela étudier la théorie des volcans. Et puis il attachait une casserole à la queue des chiens et se plaisait à leur fuite désordonnée et à leurs cris d'épouvante à travers le jardin. Il mettait des sabots aux chats, c'est à dire qu'il leur engluait les quatre pieds dans des coquilles de noix et qu'il les lançait ainsi sur la glace ou sur les parquets, pour les voir glisser, tomber, et retomber cent fois avec des juremens épouvantables. D'autres fois il disait être Calchas, le grand-prêtre des Grecs, et, sous prétexte de sacrifier Iphigénie sur la table de la cuisine, il prenait le couteau destiné à de moins illustres victimes: et, s'évertuant à droite et à gauche, il blessait les autres ou lui-même.

      Je prenais bien quelquefois un peu de part à ses méfaits dans la mesure de mon tempérament qui était moins fougueux. Un jour que nous avions vu tuer un cochon gras dans la basse-cour, Hippolyte s'imagina de traiter comme tels les concombres du jardin. Il leur introduisait une petite brochette de bois dans l'extrémité qui, selon lui, représentait le cou de l'animal: puis, pressant du pied ces malheureux légumes, il en faisait sortir tout le jus. Ursule le recueillait dans un vieux pot à fleurs pour faire le boudin, et j'allumais gravement un feu fictif à côté pour faire griller le porc, c'est à dire le concombre, ainsi que nous l'avions vu pratiquer au boucher. Ce jeu nous plut tellement que, passant d'un concombre à l'autre, choisissant d'abord les plus gras, et finissant par les moins rebondis, nous dévastâmes lestement une couche, objet des sollicitudes du jardinier. Je laisse à penser quelle fut sa douleur quand il vit cette scène de carnage. Hippolyte, au milieu des cadavres, ressemblait à Ajax immolant dans son délire les troupeaux de l'armée des Grecs. Le jardinier porta plainte, et nous fûmes punis: mais cela ne fit pas revivre les concombres, et on n'en mangea pas cette année-là.

      Un autre de nos méchans plaisirs était de faire ce que les enfans de notre village appellent des trompe-chien. C'est un trou que l'on remplit de terre légère délayée dans de l'eau. On le recouvre avec de petits bâtons; sur lesquels on place des ardoises et une légère couche de terre ou de feuilles sèches, et quand ce piége est établi au milieu d'un chemin ou d'une allée de jardin, on guette les passans et on se cache dans les buissons pour les voir s'embourber, en vociférant contre les gamins abominables qui s'inventent de pareils tours5. Pour peu que le trou soit profond, il y a de quoi se casser les jambes; mais les nôtres n'offraient pas ce danger-là, ayant une assez grande surface. L'amusant, c'était de voir la terreur du jardinier qui sentait la terre manquer sous ses pieds dans les plus beaux endroits de ses allées ratissées, et qui en avait pour une heure à réparer le dommage. Un beau jour, Deschartres y fut pris. Il avait toujours de beaux bas à côtes, bien blancs, des culottes courtes et de jolies guêtres de nankin, car il était vaniteux de son pied et de sa jambe; il était d'une propreté extrême et recherché dans sa chaussure; avec cela, comme tous les pédans c'est un signe caractéristique à quoi on peut les reconnaître à coup sûr, même quand ils ne font pas métier de pédagogues, il marchait toujours le jarret tendu et les pieds en dehors. Nous marchions derrière lui pour mieux jouir du coup d'œil. Tout d'un coup le sol s'affaisse, et le voilà jusqu'à mi-jambe dans une glaise jaune, admirablement préparée pour teindre ses bas. Hippolyte fit l'étonné, et toute la fureur de Deschartres dut retomber sur Ursule et sur moi. Mais nous ne le craignions guère; nous étions bien loin avant qu'il eût repêché ses souliers.

      Comme Deschartres battait cruellement mon pauvre frère, et qu'il se contentait de dire des sottises aux petites filles, il était convenu, entre Hippolyte, Ursule et moi, que nous prendrions beaucoup de ces sortes de choses sur notre compte, et même nous avions, pour mieux donner le change, une petite comédie tout arrangée et qui eut du succès pendant quelque temps. Hippolyte prenait l'initiative: «Voyez ces petites sottes! criait-il aussitôt qu'il avait cassé une assiette ou fait crier un chien trop près de l'oreille de Deschartres, elles ne font que du mal! voulez-vous bien finir, mesdemoiselles!» Et il se sauvait, tandis que Deschartres, mettant le nez à la fenêtre, s'étonnait de ne pas voir les petites filles.

      Un jour que Deschartres était allé vendre des bêtes à la foire, car l'agriculture et la régie de nos fermes l'occupaient en première ligne, Hippolyte, étant sensé étudier sa leçon dans la chambre du grand homme, s'imagina de faire le grand homme tout de bon. Il endosse la grande veste de chasse, qui lui tombait sur les talons, il coiffe la casquette à soufflet, et le voilà qui se promène dans la chambre en long et en large, les pieds en dehors, les mains derrière le dos, à la manière du pédagogue. Puis il s'étudie à imiter son langage. Il s'approche du tableau noir, fait des figures avec de la craie, entame une démonstration, se fâche, bégaie, traite son élève d'ignorant crasse et de butor; puis, satisfait de son talent d'imitation, il se met à la fenêtre et apostrophe le jardinier sur la manière dont il taille les arbres, et le critique, le réprimande, l'injurie, le menace.. le tout dans le style de Deschartres, et avec ses éclats de voix accoutumés. Soit que ce fut assez bien imité, soit la distance, le jardinier qui, dans tous les cas, était un garçon simple et crédule, y fut pris, et commença à répondre et à murmurer. Mais quelle fut sa stupeur quand il vit à quelques pas de lui le véritable Deschartres, qui assistait à cette scène et ne perdait pas un des gestes ni une des paroles de son sosie. Deschartres aurait dû en rire, mais il ne supportait pas qu'on s'attaquât à sa personnalité, et, par malheur, Hippolyte ne le vit pas, caché qu'il était par les arbres. Deschartres, qui était rentré de la foire plus tôt qu'on ne l'attendait, monta sans bruit à sa chambre et en ouvrit brusquement la porte, au moment où l'espiègle disait d'une grosse voix à un Hippolyte supposé: «Vous ne travaillez pas, voilà une écriture de chat et une orthographe de crocheteur; pim! pan! voilà pour vos oreilles, animal que vous êtes!»

      En ce moment la scène fut double, et pendant que le faux Deschartres souffletait un Hippolyte imaginaire, le vrai Deschartres souffletait le véritable Hippolyte.

      J'apprenais la grammaire avec Deschartres et la musique avec ma grand'mère. Ma mère me faisait lire et écrire. On ne me parlait d'aucune religion, bien qu'on me fît lire l'Histoire sainte. On me laissait libre de croire et de rejeter à ma guise les miracles de l'antiquité. Ma mère me faisait dire ma prière à genoux, à côté d'elle qui n'y manquait pas, qui n'y a jamais manqué. Et même c'étaient d'assez longues prières; car, après que j'avais fini les miennes et que j'étais couchée, je la voyais encore à genoux, la figure dans ses mains et profondément absorbée. Elle n'allait pourtant jamais à confesse et faisait gras le vendredi; mais elle ne manquait pas la messe le dimanche, ou, quand elle était forcée de la manquer, elle faisait double prière; et quand ma grand'mère lui demandait pourquoi elle pratiquait ainsi à moitié, elle répondait: «J'ai ma religion, de celle qui est prescrite, j'en prends et j'en laisse. Je ne peux pas souffrir les prêtres; ce sont des caffards, et je n'irai jamais leur confier mes pensées qu'ils comprendraient tout de travers. Je crois que je ne fais point de mal, parce que, si j'en fais, c'est malgré moi. Je ne me corrigerai pas de mes défauts, je n'y peux rien; mais j'aime Dieu d'un cœur sincère, je le crois trop bon pour nous punir dans l'autre vie. Nous sommes bien assez châtiés de nos sottises dans celle-ci. J'ai pourtant grand'peur de la mort, mais c'est parce que j'aime la vie, et non parce que je crains de comparaître devant Dieu, en qui j'ai confiance, et que je suis sûre de n'avoir jamais offensé avec intention. — Mais que lui dites-vous dans vos longues prières? — Je lui dis que je l'aime; je me console avec lui de mes chagrins et je lui demande de me faire retrouver mon mari dans l'autre monde. — Mais qu'allez-vous faire à la messe? vous n'y entendez goutte? — J'aime à prier dans une église; je sais bien que Dieu est partout; mais, dans l'église, je le vois mieux, et cette prière en commun me paraît meilleure. J'y ai beaucoup de distractions, cela dure trop longtemps; mais enfin il y a un bon moment où je prie Dieu de tout mon cœur, et cela me soulage. — Pourtant, lui disait

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<p>5</p>

Le Berrichon a le goût des verbes réfléchis. Il dit: Cet homme ne sait pas ce qu'il se veut, il ne sait quoi se faire ni s'inventer.