Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9). Жорж Санд

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Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9) - Жорж Санд

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Elle me fit comprendre que Caroline avait besoin d'elle, que nous serions bientôt réunies à Paris, qu'elle viendrait encore à Nohant l'année suivante. Je me soumis.

      Ces deux mois se passèrent sans encombre: je m'habituais aux manières imposantes de ma bonne maman; j'étais devenue assez raisonnable pour obéir sans effort, et elle s'était, de son côté, un peu relâchée envers moi de ses exigences de bonne tenue. A la campagne, elle était moins frappée des inconvéniens de mon laisser-aller. C'est à Paris qu'en me comparant aux petites poupées du beau monde, elle s'effrayait de mon franc parler et de mes allures de paysanne. Alors recommençait la petite persécution qui me profitait si peu.

      Nous quittâmes Nohant, ainsi qu'on me l'avait promis, aux premiers froids. Il fut décidé qu'on mettrait Hippolyte en pension à Paris pour le dégrossir aussi de ses manières rustiques. Deschartres s'offrit à l'y conduire, à faire choix de l'établissement destiné au bonheur de posséder un élève si gentil, et à l'y installer. On lui fit donc un trousseau; et comme il devait aller prendre avec Deschartres la diligence à Châteauroux, il fut convenu que nous traverserions la brande ensemble, nous dans la voiture, conduite par Saint-Jean et les deux vieux chevaux, Hippolyte et Deschartres à cheval sur les paisibles jumens de la ferme. Mais quelques jours avant de partir, on s'avisa que, pour faire cette partie d'équitation, il lui fallait des bottes, car la culotte courte et les bas blancs de la première communion n'étaient plus de saison.

      Une paire de bottes! c'était depuis longtemps le rêve, l'ambition, l'idéal, le tourment du gros garçon. Il avait essayé de s'en faire avec de vieilles tiges de Deschartres et un grand morceau de cuir qu'il avait trouvé dans la remise, peut-être le tablier de quelque cabriolet réformé. Il avait travaillé quatre jours et quatre nuits, taillant, cousant, faisant tremper son cuir dans l'auge des chevaux pour l'amollir, et il avait réussi à se confectionner des chaussures informes, dignes d'un Esquimau, mais qui crevèrent le premier jour qu'il les mit. Ses vœux furent donc comblés quand le cordonnier lui apporta de véritables bottes, avec fer au talon et courroies pour recevoir des éperons.

      Je crois que c'est la plus grande joie que j'aie vu éprouver à un mortel. Le voyage à Paris, le premier déplacement de sa vie! la course à cheval, l'idée de se séparer bientôt de Deschartres, tout cela n'était rien en comparaison du bonheur d'avoir des bottes. Lui-même met encore cette satisfaction d'enfant, dans ses souvenirs, au-dessus de toutes celles qu'il a goûtées depuis, et il dit souvent: «Les premières amours? je crois bien! les miennes ont eu pour objet une paire de bottes; et je vous réponds que je me suis trouvé heureux et fier!»

      C'étaient des bottes à la hussarde, selon la mode d'alors, et on les portait par dessus le pantalon plus ou moins collant. Je les vois encore, car mon frère me les fit tant regarder et tant admirer bon gré mal gré, que j'en fus obsédée jusqu'à en rêver la nuit. Il les mit la veille du départ et ne les quitta plus qu'à Paris, car il se coucha avec. Mais il ne put dormir, tant il craignait, non que ses bottes vinssent à déchirer ses draps de lit, mais que ses draps de lit n'enlevassent le brillant de ses bottes. Il se releva donc sur le minuit, et vint dans ma chambre pour les examiner à la clarté du feu qui brillait encore dans la cheminée. Ma bonne, qui couchait dans un cabinet voisin, voulut le renvoyer. Ce fut impossible. Il me réveilla pour me montrer ses bottes, puis s'assit devant le feu ne voulant point dormir, car c'eût été perdre pour quelques instans le sentiment de son bonheur. Pourtant le sommeil vainquit cette ivresse, et quand ma bonne m'éveilla pour partir, nous vîmes Hippolyte qui s'était laissé glisser par terre et qui dormait sur le carreau, devant la cheminée.

      Je vis peut-être un peu moins ma mère à Paris dans l'hiver de 1811 à 1812. On m'habituait peu à peu à me passer d'elle, et, de son côté, sentant qu'elle se devait davantage à Caroline, qui n'avait pas de bonne maman pour la gâter, elle secondait le désir qu'on éprouvait de me voir prendre mon parti. J'eus, cette fois, des distractions et des plaisirs conformes à mon âge. Ma grand'mère était liée avec Mme de Fargès, dont la fille, Mme de Pontcarré, avait une fille charmante, nommée Pauline. On nous fit faire connaissance, et nous sommes restées intimement liées jusqu'à l'époque de nos mariages respectifs, qui nous ont éloignées l'une de l'autre, avec des circonstances que je raconterai en leur lieu. Pauline, qui fut plus tard une ravissante jeune fille, était un enfant blond, mince, un peu pâle, vif, agréable et fort enjoué. Elle avait une magnifique chevelure bouclée, des yeux bleus superbes, des traits réguliers. Elle avait, à peu de chose près, le même âge que moi. Comme sa mère était une femme de beaucoup d'esprit, l'enfant n'était point maniéré. Cependant, elle avait une meilleure tenue que moi, elle marchait plus légèrement et perdait beaucoup moins souvent ses gants et son mouchoir. Aussi ma grand'mère me la proposait-elle pour modèle à toute heure, moyen infaillible pour me la faire détester si j'avais eu l'amour-propre qu'on voulait me donner, et si je n'avais pas eu toute ma vie un besoin irrésistible de m'attacher aux êtres avec lesquels le hasard me fait vivre.

      J'aimais donc tendrement Pauline qui se laissa aimer: c'était là sa nature. Elle était bonne, sincère, aimable, mais froide. J'ignore si elle a changé. Cela m'étonnerait beaucoup.

      Nous prenions toutes nos leçons ensemble, et ma grand'mère n'ayant guère le temps, à Paris, de s'occuper de moi sous ce rapport, Mme de Pontcarré eut la bonté de m'associer aux études de Pauline, comme on associait Pauline à mes leçons. Il vint chez nous, pour nous deux, trois fois par semaine, un maître d'écriture, un maître de danse, une maîtresse de musique. Les autres jours, Mme de Pontcarré venait me chercher, et c'était elle-même qui se donnait la peine de nous faire repasser les principes et de nous mettre les mains sur son piano. Elle était excellente musicienne et chantait avec beaucoup de feu et de grandeur. Sa belle voix et les brillans accompagnemens qu'elle trouvait sur un instrument moins aigre et plus étendu que le clavecin de Nohant, augmentèrent mon goût pour la musique. Après la musique, elle nous enseignait la géographie et un peu d'histoire. Pour tout cela, elle se servait des méthodes de l'abbé Gaultier, qui étaient en vogue alors et que je crois excellentes. C'était une sorte de jeu avec des boules et des jetons comme au loto, et on apprenait en s'amusant.

      Elle était fort douce et encourageante avec moi; mais, soit que Pauline fût plus distraite, soit le grand désir qu'ont les mères de pousser leurs enfans à de rapides progrès, elle la brutalisait un peu, et lui pinçait même les oreilles d'une façon toute napoléonienne. Pauline pleurait et criait, mais la leçon arrivait à bonne fin, et, aussitôt après, Mme de Pontcarré nous menait promener et jouer chez sa mère qui avait un appartement au rez-de-chaussée et un jardin quelque part comme rue de la Ferme-des-Mathurins ou de la Victoire. Je m'y amusais beaucoup, parce que nous y trouvions souvent des enfans plus âgés que nous, il est vrai, de quelques années, mais qui voulaient bien nous inviter à leur colin-maillard et à leur partie de barres. C'étaient les enfans de Mme Debrosse, seconde fille, je crois, de Mme de Fargès, par conséquent les cousins de Pauline. Je ne me rappelle du garçon que le nom d'Ernest. La fille était déjà une assez grande personne relativement à nous. Mais elle était gaie, vive et fort spirituelle. Elle s'appelait Constance, et était alors au couvent des Anglaises, où nous avons été depuis, Pauline et moi. Il y avait aussi un jeune garçon qui s'appelait Fernand de Prunelet, dont la figure était agréable, malgré un énorme nez. Il était le doyen de nos parties de jeu, par conséquent le plus obligeant et le plus tolérant à l'égard des bouderies ou des caprices des deux petites filles. Nous dînions quelquefois tous ensemble et, après le dîner, on nous laissait nous évertuer dans la salle à manger, où nous faisions grand vacarme. Les domestiques, et même les mamans venaient aussi se mêler aux jeux. C'était une sorte de vie de campagne transportée à Paris, et j'avais grand besoin de cela.

      Je voyais aussi de temps en temps ma chère Clotilde, avec qui je me querellais beaucoup plus qu'avec Pauline, parce qu'elle répondait davantage à mon affection et ne prenait pas mes torts avec la même insouciance. Elle se fâchait quand je me fâchais, s'obstinait

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