Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9). Жорж Санд

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Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9) - Жорж Санд

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l'hiver dont je viens de parler que se firent les immenses préparatifs de la campagne de Russie. Dans toutes les maisons où nous allions, nous rencontrions des officiers partant pour l'armée et venant faire leurs adieux à la famille. On n'était pas assuré de pénétrer jusqu'au cœur de la Russie. On était si habitué à vaincre qu'on ne doutait pas d'obtenir satisfaction par des traités glorieux aussitôt qu'on aurait passé la frontière et livré quelques batailles dans les premières marches russes. On se faisait si peu l'idée du climat, que je me souviens d'une vieille dame qui voulait donner toutes ses fourrures à un sien neveu, lieutenant de cavalerie, et cette précaution maternelle le faisait beaucoup rire. Jeune et fier dans son petit dolman pincé et étriqué, il montrait son sabre, et disait que c'était avec cela qu'on se réchauffe à la guerre. La bonne dame lui disait qu'il allait dans un pays toujours couvert de neige. Mais on était au mois d'avril: les jardins fleurissaient, l'air était tiède. Les jeunes gens, et les Français surtout, croient volontiers que le mois de décembre n'arrivera jamais pour eux. Ce fier jeune homme a pu regretter plus d'une fois les fourrures de sa vieille tante, lors de la fatale retraite.

      Les gens avisés, et Dieu sait qu'il n'en manque point après l'événement, ont prétendu qu'ils avaient tous mal auguré de cette gigantesque entreprise; qu'ils avaient blâmé Napoléon comme un conquérant téméraire: enfin, qu'ils avaient eu le pressentiment de quelque immense désastre. Je n'en crois rien, ou du moins je n'ai jamais entendu exprimer ces craintes, même chez les personnes ennemies, par système ou par jalousie, des grandeurs de l'empire. Les mères qui voyaient partir leurs enfans se plaignaient de l'infatigable activité de l'empereur, et se livraient aux inquiétudes et aux regrets personnels inévitables en pareil cas. Elles maudissaient le conquérant ambitieux; mais jamais je ne vis en elles le moindre doute du succès, et j'entendais tout, je comprenais tout à cette époque. La pensée que Napoléon pût être vaincu ne se présenta jamais qu'à l'esprit de ceux qui le trahissaient. Ils savaient bien que c'était le seul moyen de le vaincre. Les gens prévenus, mais honnêtes, avaient en lui, tout en le maudissant, la confiance la plus absolue, et j'entendais dire à une des amies de ma grand'mère: Eh bien! quand nous aurons pris la Russie, qu'est-ce que nous en ferons?

      D'autres disaient qu'il méditait la conquête de l'Asie, et que la campagne de Russie n'était qu'un premier pas vers la Chine. Il veut être le maître du monde, s'écriait-on, et il ne respecte les droits d'aucune nation. Où s'arrêtera-t-il? Quand se trouvera-t-il satisfait? C'est intolérable. Tout lui réussit.

      Et personne ne disait qu'il pouvait éprouver des revers, et faire payer cher à la France la gloire dont il l'avait enivrée.

      Nous revînmes à Nohant avec le printems de 1812; ma mère vint passer une partie de l'été avec nous, et Ursule, qui retournait tous les hivers chez ses parens, me fut rendue, à ma grande joie et à la sienne aussi. Outre l'affection qu'Ursule avait pour moi, elle adorait Nohant. Elle était plus sensible que moi à ce bien-être, et elle jouissait plus que moi de la liberté, puisque, sauf quelques leçons de couture et de calcul que lui donnait sa tante Julie, elle était livrée à une complète indépendance. Je dois dire qu'elle n'en abusait pas, et que, par caractère, elle était laborieuse. Ma mère lui apprenait à lire et à écrire, et, tandis que je prenais mes autres leçons avec Deschartres ou avec ma bonne maman, bien loin de songer à aller courir, elle restait auprès de ma mère qu'elle adorait et qu'elle entourait des plus tendres soins. Elle savait se rendre utile, et ma mère regrettait de n'avoir pas le moyen de l'emmener à Paris pendant l'hiver.

      Ce maudit hiver était le désespoir de ma pauvre Ursule. Toute différente de moi en ceci, elle se croyait exilée quand elle retournait dans sa famille. Ce n'est pas que ses parens fussent dans la misère. Son père était chapelier et gagnait assez d'argent, surtout dans les foires, où il allait vendre des chapeaux à pleines charretées aux paysans. Sa femme, pour aider à son débit, tenait ramée dans les foires; mais ils avaient beaucoup d'enfans, et de la gêne, par conséquent.

      Ursule ne pouvait supporter sans se plaindre le changement annuel de régime et d'habitudes. On pensa que le richement menaçait de lui tourner la tête, on commença à regretter de lui avoir fait manger son pain blanc le premier, et on parla de la reprendre et de la mettre en apprentissage pour lui donner une profession. Je ne voulais pas entendre parler de cela, et ma grand'mère hésita quelque temps. Elle avait quelque désir de garder Ursule, disant qu'un jour elle pourrait gouverner ma maison et s'y rendre utile en ne cessant pas d'être heureuse: mais il y avait du temps jusque-là; on ne savait ce qui pourrait arriver, et Ursule n'était pas d'un caractère à être jamais une fille de chambre. Elle avait trop de fierté, de franchise et d'indépendance pour faire penser qu'elle se plierait à faire des volontés des autres pour de l'argent. Il lui fallait une fonction et non un service domestique. C'était donc une position à lui assurer dans une famille qu'elle aimerait et dont elle serait aimée. Si, par quelque événement imprévu, la nôtre venait à lui manquer, que deviendrait-elle sans profession acquise, et avec l'habitude du bien-être? Mlle Julie pensait judicieusement que la pauvre enfant serait horriblement malheureuse, et elle insista pour qu'on ne la laissât pas plus longtemps s'accoutumer à ce chez nous dont le souvenir la tourmentait si fort en notre absence. Ma grand'mère céda, et il fut décidé qu'Ursule s'en irait tout à fait au moment où nous repartirions pour Paris, mais que, jusque-là, on ne ferait part de cette résolution ni à elle ni à moi, afin de ne pas troubler notre bonheur présent. C'était, en effet, la fin de mon bonheur qui approchait. En même temps qu'Ursule, je devais bientôt perdre la présence de ma mère et tomber sous le joug et dans la société des femmes de chambre.

      Cet été de 1812 fut donc encore sans nuage, Tous les dimanches, les trois sœurs d'Ursule venaient passer la journée avec nous. L'aînée, qu'on appelait de son nom de famille féminisé, selon la coutume du pays, était une bonne personne d'une beauté angélique, à laquelle j'ai conservé une grande sympathie de cœur. Elle nous chantait des rondes, nous enseignait le cob, la marelle, les évalines, le traîne-balin, l'aveuglat6, enfin tous les jeux de notre pays, dont le nom est aussi ancien que l'usage, et qu'on ne retrouverait même pas tous dans l'immense nomenclature des jeux d'enfans rapportés dans le Gargantua. Toutes ces amusettes nous passionnaient. La maison, le jardin et le petit bois retentissaient de nos jeux et de nos rires: mais, vers la fin de la journée, j'en avais assez, et, s'il avait fallu passer ainsi deux journées de suite, je n'aurais pas pu y tenir. J'avais déjà pris l'habitude du travail, et je souffrais d'une sorte d'ennui indéfinissable au milieu de mes amusemens. Pour rien au monde, je ne me serais avoué à moi-même que je regrettais ma leçon de musique ou d'histoire, et pourtant elle me manquait. A mon insu, mon cerveau, abandonné à la dérive au milieu de ces plaisirs enfantins et de cette activité sans but, arrivait à la satiété, et n'eût été la joie de revoir ma chère Godignonne, j'aurais désiré, le dimanche soir, que les sœurs d'Ursule ne revinssent pas le dimanche suivant, mais le dimanche suivant ma gaîté et mon ardeur au jeu revenaient dès le matin et duraient encore une partie de la journée.

      Nous eûmes cette année-là une nouvelle visite de mon oncle de Beaumont, et la fête de ma bonne maman fut de nouveau préparée avec des surprises. Nous n'étions déjà plus assez naïfs et assez confians en nous-mêmes pour désirer de jouer la comédie, mon oncle se contenta de faire des couplets sur l'air de la Pipe de tabac que je dus chanter à déjeuner en présentant mon bouquet. Ursule eut un long compliment en prose moitié sérieux, moitié comique, à dégoiser; Hippolyte dut jouer, sans faire une seule faute, le menuet de Fischer sur le flageolet, et même il eut l'honneur, ce jour-là, de soufler et de cracher dans le flageolet d'ébène de Deschartres.

      Les visites que nous recevions et que nous rendions me mettaient en rapport avec de jeunes enfans qui sont restés les amis de toute ma vie. Le capitaine Fleury, dont il est question dans les premières lettres de mon père, avait un fils et une fille. La fille, charmante et excellente personne, est morte peu d'années après son mariage, et son frère Alphonse est

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L'aveuglat est une sorte de collin-maillard. Le cob et les évalines sont une manière de jouer aux osselets avec une grosse bille de marbre. Le traîne-balin s'appelle, je crois, les petits-paquets, à Paris. La marelle doit-être connue dans beaucoup de provinces. Elle est expliquée dans les notes de Pantagruel, par Esmengard. Un grave antiquaire du Berry s'est donné la peine de composer un ouvrage sur l'étymologie du mot évaline. Il n'a pas osé se risquer pour le cob. Cela devenait sans doute plus ardu et trop sérieux.