Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9). Жорж Санд

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Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9) - Жорж Санд

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Elle sentait que cela pouvait être préjudiciable à ma santé, et elle ne me gardait plus guère auprès d'elle. Elle était poursuivie par une somnolence fréquente, et comme son sommeil était fort léger, que le moindre souffle la réveillait péniblement, elle voulut, pour échapper à ce malaise continuel, régulariser son sommeil de la journée. Elle s'enfermait donc à midi pour faire sur son grand fauteuil une sieste qui durait jusqu'à trois heures. Et puis c'étaient des bains de pieds, des frictions et mille soins particuliers qui la forçaient à s'enfermer avec Mlle Julie, si bien que je ne la voyais plus guère qu'aux heures des repas et pendant la soirée, pour faire sa partie ou tenir les cartes, tandis qu'elle faisait des patiences et des réussites. Cela m'amusait médiocrement, comme on peut croire: mais je n'ai point à me reprocher d'y avoir jamais laissé paraître un instant d'humeur ou de lassitude.

      Chaque jour j'étais donc livrée davantage à moi-même, et les courtes leçons qu'elle me donnait consistaient en un examen de mon cahier d'extraits, tous les deux ou trois jours, et une leçon de clavecin qui durait à peine une demi-heure. Deschartres me donnait une leçon de latin que je prenais de plus en plus mal, car cette langue morte ne me disait rien; et une leçon de versification française qui me donnait des nausées, cette forme, que j'aime et que j'admire pourtant, n'étant point la mienne, et ne me venant pas plus naturellement que l'arithmétique, pour laquelle j'ai toujours eu une incapacité notoire. J'étudiais pourtant l'arithmétique et la versification, et le latin, voire un peu de grec et un peu de botanique par-dessus le marché, et rien de tout cela ne me plaisait. Pour comprendre la botanique (qui n'est point du tout une science à la portée des demoiselles), il faut connaître le mystère de génération et la fonction des sexes; c'est même tout ce qu'il y a de curieux et d'intéressant dans l'organisme des plantes. Comme on le pense bien, Deschartres me faisait sauter à pieds joints par là-dessus, et j'étais beaucoup trop simple pour m'aviser par moi-même de la moindre observation en ce genre. La botanique se réduisait donc pour moi à des classifications purement arbitraires, puisque je n'en saisissais pas les lois cachées, et à une nomenclature grecque et latine qui n'était qu'un aride travail de mémoire. Que m'importait de savoir le nom scientifique de toutes ces jolies herbes des prés, auxquelles les paysannes et les pâtres ont donné des noms souvent plus poétiques et toujours plus significatifs: le thym de bergère, la bourse à berger, la patience, le pied de chat, le baume, la nappe, la mignonnette, la boursette, la repousse, le danse-toujours, la pâquerette, l'herbe aux gredots, etc. Cette botanique à noms barbares me semblait la fantaisie des pédans, et de même pour la versification latine et française, je me demandais, dans ma superbe ignorance, à quoi bon ces alignemens et ces règles desséchantes qui gênaient l'élan de la pensée et qui en glaçaient le développement. Je me répétais tout bas ce que j'avais entendu dire à ma naïve mère: «A quoi ça sert-il, toutes ces fadaises-là?» Elle avait le bon sens de Nicole, moi la sauvagerie instinctive d'un esprit très logique sans le savoir, et très positif par cela même qu'il était très romanesque: ceci peut sembler un paradoxe, mais j'aurai tant à y revenir, qu'on me permettra de passer outre pour le moment.

      CHAPITRE HUITIEME

      Mes rapports avec mon frère. — Les ressemblances et les incompatibilités de nos caractères. — Violences de ma bonne. — Tendances morales que développe en moi cette tyrannie. — Ma grand'mère devient royaliste sans l'être. — Le portrait de l'empereur Alexandre. — Retour de l'île d'Elbe. — Nouvelles visions. — Ma mère revient à Nohant. — Je pardonne à ma bonne. — Le passage de l'armée de la Loire. — La cocarde du général Subervic. — Le général Colbert. — Comme quoi Nohant faillit être le foyer et le théâtre d'une Vendée patriotique. — Le licenciement. — Le colonel Sourd. — Les brigands de la Loire. — Les pêches de Deschartres. — Le régiment de mon père. — Visite de notre cousin. — Dévotion de Mme de la Marlière. — Départ de ma mère. — Départ de mon frère. — Solitude.

      J'entrerai plus tard dans un détail plus raisonné du goût ou du dégoût que m'inspirèrent mes diverses études. Ce que je veux retracer ici, c'est la disposition morale dans laquelle je me trouvai, livrée pour ainsi dire à mes propres pensées, sans guide, sans causerie, sans épanchement. J'avais besoin d'exister pourtant, et ce n'est pas exister que d'être seul. Hippolyte devenait de plus en plus turbulent, et, dans nos jeux, il n'était pas question d'autre chose que de faire du mouvement et du bruit. Il m'en donnait bien vite plus que je n'avais besoin d'en prendre, et cela finissait toujours par quelque susceptibilité de ma part et quelque rebuffade de la sienne. Nous nous aimions pourtant, nous nous sommes toujours aimés. Il y avait certains rapports de caractère et d'intelligence entre nous, malgré d'énormes différences d'ailleurs. Il était aussi positif que j'étais romanesque, et pourtant il y avait dans son esprit un certain sens artiste, et dans sa gaîté un tour d'observation critique qui répondait au côté enjoué de mes instincts. Il ne venait personne chez nous qu'il ne jugeât, ne devinât et ne sût reprendre et analyser avec beaucoup de pénétration, mais avec trop de causticité. Cela m'amusait assez, et nous étions horriblement moqueurs ensemble. J'avais besoin de gaîté, et personne n'a jamais su comme lui me faire rire. Mais on ne peut pas toujours rire, et j'avais encore plus besoin d'épanchement sérieux que de folie à cette époque-là.

      Ma gaîté avec lui avait donc souvent quelque chose sinon de forcé, du moins de nerveux et de fébrile. A la moindre occasion, elle se changeait en bouderies et puis en larmes. Mon frère prétendait que j'avais un mauvais caractère; cela n'était pas, il l'a reconnu plus tard: j'avais tout bonnement un secret ennui, un profond chagrin que je ne pouvais pas lui dire, et dont il se fût peut-être moqué comme il se moquait de tout, même de la tyrannie et des brutalités de Deschartres.

      Je m'étais dit que tout ce que j'apprenais ne me servirait de rien, puisque, malgré le silence de ma mère à cet égard, j'avais toujours la résolution de retourner auprès d'elle et de me faire ouvrière avec elle, aussitôt qu'elle le jugerait possible. L'étude m'ennuyait donc d'autant plus que je ne faisais pas comme Hippolyte qui, bien résolûment, s'en abstenait de son mieux. Moi, j'étudiais par obéissance, mais sans goût et sans entraînement, comme une tâche fastidieuse que je fournissais durant un certain nombre d'heures fades et lentes. Ma bonne maman s'en apercevait et me reprochait ma langueur, ma froideur avec elle, ma préoccupation continuelle qui ressemblait souvent à de l'imbécilité, et dont Hippolyte me raillait tout le premier sans miséricorde. J'étais blessée de ces reproches et de ces railleries, et on m'accusait d'avoir un amour-propre excessif. J'ignore si j'avais beaucoup d'amour-propre en effet, mais j'ai bien conscience que mon dépit ne venait pas de l'orgueil contrarié, mais d'un mal plus sérieux, d'une peine de cœur méconnue et froissée.

      Jusqu'alors Rose m'avait menée assez doucement, en égard à l'impétuosité naturelle de son caractère. Elle avait été tenue en bride par la fréquente présence de ma mère à Nohant, ou plutôt elle avait obéi à un instinct qui commençait à se modifier, car elle n'était pas dissimulée, j'aime à lui rendre cette justice. Je pense qu'elle était de la nature de ces bonnes couveuses qui soignent tendrement leurs petits tant qu'ils peuvent dormir sous leur aile, mais qui ne leur épargnent pas les coups de bec quand ils commencent à voler et à courir seuls. A mesure que je me faisais grandelette, elle ne me dorlotait plus, et, en effet, je n'avais plus besoin de l'être; mais elle commençait à me brutaliser, ce dont je me serais fort bien passée. Désirant ardemment complaire à ma grand'mère, elle prenait en sous-ordre le soin et la responsabilité de mon éducation physique, et elle m'en fit une sorte de supplice. Si je sortais sans prendre toutes les petites précautions indiquées contre le rhume, j'étais d'abord, je ne dirai pas grondée mais abasourdie; le mot n'est que ce qu'il faut pour exprimer la tempête de sa voix et l'abondance des épithètes injurieuses qui ébranlaient mon système nerveux. Si je déchirais ma robe, si je cassais mon sabot, si, en tombant dans les broussailles, je me faisais une égratignure qui eût pu faire soupçonner à ma grand'mère que je n'avais pas été bien surveillée, j'étais battue assez doucement d'abord, et

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