Littérature et Philosophie mêlées. Victor Hugo
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«Permettez que je vous informe de ce qui vient de m'arriver avec M. Makartney, gentilhomme anglais très jeune et pourtant très sage; très instruit, mais modeste; fort riche et fort simple; et qui criera bientôt au parlement mieux qu'un autre. Il m'a nié que vous eussiez des bontés pour moi. Je me suis échauffé, je me suis vanté de votre protection; il m'a répondu que si je disais vrai, je prendrais la liberté de vous écrire; j'ai les passions vives. Pardonnez, monseigneur, au zèle, à l'attachement et au profond respect du vieux montagnard.»
Le vieux suisse libre est bon courtisan, comme on voit. Vous retrouverez dans la plupart des autres lettres la gaîté communicative, la vivacité et souvent la témérité de jugement, la flatterie adroite, la raillerie tantôt douce et tantôt mordante, auxquelles on reconnaît la touche inimitable de Voltaire prosateur. Parmi le petit nombre de pièces de vers, mêlées aux morceaux de prose, la suivante, adressée à la fameuse Mlle Raucourt, n'a jamais été imprimée:
Raucourt, tes talents enchanteurs
Chaque jour te font des conquêtes;
Tu fais soupirer tous les coeurs,
Tu fais tourner toutes les têtes.
Tu joins au prestige de l'art
Le charme heureux de la nature,
Et la victoire toujours sûre
Se range sous ton étendard.
Es-tu Didon, es-tu Monime,
Avec toi nous versons des pleurs;
Nous gémissons de tes malheurs
Et du sort cruel qui t'opprime.
L'art d'attendrir et de charmer
A paré ta brillante aurore;
Mais ton coeur est fait pour aimer,
Et ton coeur ne dit rien encore.
Défends ce coeur du vain désir
De richesse et de renommée;
L'amour seul donne le plaisir,
Et le plaisir est d'être aimée.
Déjà l'amour brille en tes yeux,
Il naîtra bientôt dans ton âme;
Bientôt un mortel amoureux
Te fera partager sa flamme.
Heureux! trop heureux cet amant
Pour qui ton coeur deviendra tendre,
Si tu goûtes le sentiment
Comme tu sais si bien le rendre!
De jolis vers sans doute. J'avoue pourtant que j'ai peu de sympathie pour cette espèce de poésie. J'aime mieux Homère.
SUR UN POËTE APPARU EN 1820
Mai 1820.
Vous en rirez, gens du monde, vous hausserez les épaules, hommes de lettres, mes contemporains, car, je je vous le dis entre nous, il n'en est peut-être pas un de vous qui comprenne ce que c'est qu'un poëte. Le rencontrera-t-on dans vos palais? Le trouvera-t-on dans vos retraites? Et d'abord, pour ce qui regarde l'âme du poëte, la première condition n'est-elle pas, comme l'a dit une bouche éloquente, de n'avoir jamais calculé le prix d'une bassesse ou le salaire d'un mensonge? Poëtes de mon siècle, cet homme-là se voit-il parmi vous? Est-il dans vos rangs l'homme qui possède l'os magna sonaturum, la bouche capable de dire de grandes choses, le ferrea vox, la voix de fer? l'homme qui ne fléchira pas devant les caprices d'un tyran ou les fureurs d'une faction? N'avez-vous pas été tous, au contraire, semblables aux cordes de la lyre, dont le son varie quand le temps change.
Franchement, on trouvera parmi vous des affranchis, prêts à invoquer la licence après avoir déifié le despotisme; des transfuges, prêts à flatter le pouvoir après avoir chanté l'anarchie, et des insensés qui ont baisé hier des fers illégitimes, et, comme le serpent de la fable, veulent aujourd'hui briser leurs dents sur le frein des lois; mais on n'y découvrira pas un poëte. Car, pour ceux qui ne prostituent pas les titres, sans un esprit droit, sans un coeur pur, sans une âme noble et élevée, il n'est point de véritable poëte. Tenez-vous cela pour dit, non pas en mon nom, car je ne suis rien, mais au nom de tous les gens qui raisonnent, et qui pensent – je veux bien ne choisir mon exemple que dans l'antiquité – que ces mots: Dulce et decorum est pro patria mori, sonnent mal dans la bouche d'un fuyard. Je l'avouerai donc, j'ai cherché jusqu'ici autour de moi un poëte, et je n'en ai pas rencontré; de là, il s'est formé dans mon imagination un modèle idéal que je voudrais dépeindre, et, comme Milton aveugle, je suis tenté quelquefois de chanter ce soleil que je ne vois pas.