Littérature et Philosophie mêlées. Victor Hugo

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Littérature et Philosophie mêlées - Victor Hugo

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patriote. Le premier est plus selon l'humanité, le second est plus selon la cité. Le conteur domestique d'une nation me charme souvent, même dans sa partialité étroite, et je trouve quelque chose de fier qui me plaît dans ce mot d'un arabe à Hagyage: Je ne sais que des histoires de mon pays.

      Voltaire a toujours l'ironie à sa gauche et sous sa main, comme les marquis de son temps ont toujours l'épée au côté. C'est fin, brillant, luisant, poli, joli, c'est monté en or, c'est garni en diamants, mais cela tue.

      Il est des convenances de langage qui ne sont révélées à l'écrivain que par l'esprit de nation. Le mot barbares, qui sied à un romain parlant des gaulois, sonnerait mal dans la bouche d'un français. Un historien étranger ne trouverait jamais certaines expressions qui sentent l'homme du pays. Nous disons que Henri IV gouverna son peuple avec une bonté paternelle; une inscription chinoise, traduite par les jésuites, parle d'un empereur qui régna avec une bonté maternelle. Nuance toute chinoise et toute charmante.

      A UN HISTORIEN

      Vos descriptions de bataille sont bien supérieures aux tableaux poudreux et confus, sans perspective, sans dessin et sans couleur, que nous a laissés Mézeray, et aux interminables bulletins du P. Daniel; toutefois, vous nous permettrez une observation dont nous croyons que vous pourrez profiter dans la suite de votre ouvrage.

      Si vous vous êtes rapproché de la manière des anciens, vous ne vous êtes pas encore assez dégagé de la routine des historiens modernes; vous vous arrêtez trop aux détails, et vous ne vous attachez pas assez à peindre les masses. Que nous importe, en effet, que Brissac ait exécuté une charge contre d'Andelot, que Lanoue ait été renversé de cheval, et que Montpensier ait passé le ruisseau? La plupart de ces noms, qui apparaissent là pour la première fois dans le cours de l'ouvrage, jettent de la confusion dans un endroit où l'auteur ne saurait être trop clair, et lorsqu'il devrait entraîner l'esprit par une succession rapide de tableaux. Le lecteur s'arrête à chercher à quel parti tels ou tels noms appartiennent, pour pouvoir suivre le fil de l'action. Ce n'est point ainsi qu'en usait Polybe, et après lui Tacite, les deux premiers peintres de batailles de l'antiquité. Ces grands historiens commencent par nous donner une idée exacte de la position des deux armées par quelque image sensible tirée de l'ordre physique; l'armée était rangée en demi-cercle, elle avait la forme d'un aigle aux ailes étendues; ensuite viennent les détails. Les espagnols formaient la première ligne, les africains la seconde, les numides étaient jetés aux deux ailes, les éléphants marchaient en tête, etc. Mais, nous vous le demandons à vous-même, si nous lisions dans Tacite: «Vibulenus exécute une charge contre Rusticus, Lentulus est renversé de cheval, Civilis passe le ruisseau», il serait très possible que ce petit bulletin eût paru très clair et très intéressant aux contemporains; mais nous doutons fort qu'il eût trouvé le même degré de faveur auprès de la postérité. Et c'est une erreur dans laquelle sont tombés la plupart des historiens modernes; l'habitude de lire les chroniques leur rend familiers les personnages inférieurs de l'histoire, qui ne doivent point y paraître; le désir de tout dire, lorsqu'ils ne devraient dire que ce qui est intéressant, les leur fait employer comme acteurs dans les occasions les plus importantes. De là vient qu'ils nous donnent des descriptions qu'ils comprennent fort bien, eux et les érudits, parce qu'ils connaissent les masques, mais dans lesquelles la plupart des lecteurs, qui ne sont pas obligés d'avoir lu les chroniques pour pouvoir lire l'histoire, ne voient guère autre chose que des noms et de l'ennui. En général, il ne faut dire à la postérité que ce qui peut l'intéresser. Et pour intéresser la postérité, il ne suffit pas d'avoir bien exécuté une charge ou d'avoir été renversé de cheval, il faut avoir combattu de la main et des dents comme Cynégire, être mort comme d'Assas, ou avoir embrassé les piques comme Vinkelried.

EXTRAIT DU COURRIER FRANÇAIS DU JEUDI 14 SEPTEMBHE 1792 (IV DE LA LIBERTÉ). – № 257

      «La municipalité d'Herespian, département de l'Hérault, a signifié à M. François, son pasteur, qu'elle entendait à l'avenir avoir un curé qui ne fût pas célibataire. Le curé François a répondu d'une manière qui a surpassé les espérances de ses paroissiens. Il entend, lui, avoir cinq enfants; le premier s'appellera J. – J. Rousseau; le second, Mirabeau; le troisième, Pétion; le quatrième, Brissot; le cinquième, Club-des-Jacobins. Le bon curé léguera son patriotisme à ses enfants, et il les remettra aux soins de la patrie qui veille sur tous les citoyens vertueux.»

APRÈS UNE LECTURE DU _MONITEUR

      Proëthès et Cyestris, vieux philosophes dont on ne parle plus, que je sache, soutinrent jadis contradictoirement une thèse à peu près oubliée de nos jours. Il s'agissait de savoir s'il était possible à l'homme de rire à gorge déployée et de pleurer à chaudes larmes tout à la fois. Cette querelle resta sans décision, et ne fit que rendre un peu plus irréconciliables les disciples d'Héraclite et les sectateurs de Démocrite. Depuis 1789, la question est résolue affirmativement; je connais un in-folio qui opère ce phénomène, et il est convenable que la solution d'une dispute philosophique se trouve dans un in-folio. Cet in-folio est le Moniteur. Vous qui voulez rire, ouvrez le Moniteur; vous qui voulez pleurer, ouvrez le Moniteur; vous qui voulez rire et pleurer tout ensemble, ouvrez encore le Moniteur.

      Quelque bonne volonté que l'on apporte à juger l'époque de notre régénération, on ne peut s'empêcher de trouver singulière la façon dont cet âge de raison préparait notre âge de lumières. Les académies, collèges des lettres, étaient détruites; les universités, séminaires des sciences, étaient dissoutes; les inégalités de génie et de talent étaient punies de mort, comme les inégalités de rang et de fortune. Cependant il se trouvait encore, pour célébrer la ruine des arts, des orateurs éclos dans les tavernes, des poëtes vomis des échoppes. Sur nos théâtres, d'où étaient bannis les chefs-d'oeuvre, on hurlait d'atroces rapsodies de circonstance, ou de dégoûtants éloges des vertus dites civiques. Je viens de tomber, en ouvrant le Moniteur au hasard, sur les spectacles du 4 octobre 1793; cette affiche justifie du reste les réflexions qu'elle m'a suggérées:

      «THÉÂTRE DE L'OPÉRA-COMIQUE NATIONAL. La première représentation de la Fête civique, comédie en cinq actes.

      – THÉÂTRE NATIONAL. La Journée de Marathon; ou le Triomphe de laLiberté, pièce héroïque en quatre actes.

      – THÉÂTRE DU VAUDEVILLE. La Matinée et la Veillée villageoises; leDivorce; l'Union villageoise.

      – THÉÂTRE DU LYCÉE DES ARTS. Le Retour de la flotte nationale.

      – THÉÂTRE DE LA RÉPUBLIQUE. Le Divorce tartare, comédie en cinq actes.

      – THÉÂTRE FRANÇAIS COMIQUE ET LYRIQUE. Buzot, roi du Calvados

      En ces dix lignes littéraires, la révolution est caractérisée. Des lois immorales dignement vantées dans d'immorales parades; des opéras-comiques sur les morts. Cependant je n'aurais point dû prostituer le noble nom de poëtes aux auteurs de ces farces lugubres; la guillotine, et non le théâtre, était alors pour les poëtes.

      Après l'odieux vient le risible. Tournez la page. Vous êtes à une séance des jacobins. En voici le début: «La section de la Croix-Rouge, craignant que cette dénomination ne perpétue le poison du fanatisme, déclare au conseil qu'elle y substituera celle de la section du Bonnet-Rouge…» Je proteste que la citation est exacte.

      Veut-on à la fois de l'atroce et du ridicule? Qu'on lise une lettre du représentant Dumont à la Convention, en date du 1er octobre 1793: «Citoyens collègues, je vous marquais, il y a deux jours, la cruelle situation dans laquelle se trouvaient les sans-culottes de Boulogne, et la criminelle gestion des administrateurs et officiers municipaux. Je vous en dis autant de Montreuil, et j'ai usé en cette dernière ville de mon excellent remède – la guillotine. – Après avoir ainsi agi au gré de tous

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