Littérature et Philosophie mêlées. Victor Hugo
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Charles IX, dans cette instruction, glisse légèrement sur le danger des flatteurs. Peut-être les rois en sentent-ils moins les inconvénients que leurs sujets. Peut-être aussi serait-ce pour Montesquieu une occasion de glisser sa théorie de climat, espèce de fausse clef qui lui sert à crocheter la serrure de tous les problèmes de l'histoire. C'est en se rapprochant du midi, dirait-il, que les exemples du favoritisme deviennent plus fréquents; sous le ciel énervant de l'Asie et de l'Afrique, les princes règnent rarement par eux-mêmes; au contraire, chez les peuples du nord, le climat est tonique, nous voyons beaucoup plus de tyrans que de favoris. Mais peut-être l'observation tomberait-elle si nous étions mieux instruits dans leur histoire. Nous sommes si disposés à faire science de tout, même de notre ignorance!
Il y a, dans un de nos vieux manuscrits du treizième siècle, attribué à Philippe de Mayzières, un passage qui peut servir de complément à l'instruction du monarque suédois. C'est ainsi que la reine Vérité parle à Charles VI dans le songe du vieil pèlerin s'adressant au blanc faucon, à bec et piés dorés.
«Guarde-toi, beau fils, de ces chevaliers qui ont coutume de bien plumer les rois par leurs soubtiles pratiques, qui s'en vont récitant souvent le proverbe du maréchal Bouciquault, disant: Il n'est peschier que en la mer, et ainsi n'est don que de roi; et te feront vaillant et large comme Alexandre, attrayant de toy tant d'eau à leur moulin qu'il suffiroit à trente-sept moulins qui les deux parts du jour sont oiseulx, etc.»
Je cite ce passage: 1° parce qu'il montre que dans ces temps gothiques on ne parlait pas aux rois avec autant de servilité qu'on voudrait bien nous le faire croire; 2° parce qu'il donne l'origine d'un proverbe, ce qui peut être utile aux antiquaires; 3° parce qu'il peut servir à résoudre une question d'hydraulique en prouvant que les moulins à eau existaient en 1389, ce qui est toujours bon à savoir pour ceux qui ne savent pas que les moulins à eau existent depuis un temps immémorial.
Après s'être occupée des sociétés en général, Mme de M – consacre un chapitre à la guerre, c'est-à-dire au rapport le plus ordinaire des sociétés humaines entre elles.
Ce chapitre devait présenter bien des difficultés à une femme. Mme de M – , comme dans le reste de son ouvrage, y fait preuve de connaissances peu communes; elle établit, avec beaucoup de bonheur, la distinction entre les guerres permises et les guerres injustes; elle range, avec raison, parmi ces dernières, toutes les entreprises de conquête.
«II y a cette différence entre les conquérants et les voleurs de grand chemin, a dit un auteur remarquable que cite Mme de M – , que le conquérant est un voleur illustre, et l'autre un voleur obscur; l'un reçoit des lauriers et de l'encens pour le prix de ses violences, et l'autre la corde.» Il fallait être bien philosophe pour écrire ce passage de la même main qui signa la prise de possession de la Silésie.
Arrivée à ce fameux axiome que «l'argent c'est le nerf de la guerre», axiome que Mme de M – attribue à Quinte-Curce, mais qu'elle trouvera également dans Végèce, dans Montecuculli, dans Santa-Cruz, et dans tous les auteurs qui ont écrit sur la guerre, Mme de M – s'arrête. Ce n'est pas l'argent, dit-elle, c'est le fer. D'accord, ce n'est pas avec des écus que l'on se bat, c'est avec des soldats; toute la question se réduit à savoir s'il est plus facile d'avoir des soldats sans argent que d'en avoir avec de l'argent. Le premier moyen sera plus économique. Il ne paraît pas cependant qu'il fût du goût de Sully.
Je lisais dernièrement dans Grotius la définition de la guerre: «La guerre est l'état de ceux qui tâchent de vider leurs différends par la voie de la force.» Il est évident que cette définition est la même que celle du duel.
Mais, a-t-on dit aux duellistes, vous allez à la mort en riant, vous vous battez par partie de plaisir. Il en a été absolument de même de la guerre. Avant la révolution on ne s'égorgeait plus que le chapeau à la main. Le grand Condé fait donner l'assaut à Lérida avec trente-six violons en tête des colonnes; et dans les champs d'Ettingen et de Clostersevern, on vit les jeunes officiers marcher aux batteries comme à un bal, en bas de soie et en perruque poudrée à blanc.
Il prit un jour fantaisie à Rousseau, le don Quichotte du paradoxe, de soutenir une vérité. C'était pour lui chose nouvelle. Il s'y prit comme pour une mauvaise cause, il alla chercher des autorités comme les gens qui ne trouvent pas de bonnes raisons. C'est ainsi qu'à propos du duel il a cité les anciens. Il est probable que Rousseau n'avait pas lu Quinte-Curce. Il y aurait vu qu'il n'y avait guère de festin chez Alexandre où il n'y eût quelques combats singuliers entre les convives. Qu'était-ce d'ailleurs que le combat d'Étéocle et de Polynice? Et, dans l'Iliade, est-il probable que si Minerve n'était pas venue prendre Achille par les oreilles, Agamemnon aurait laissé son épée dans le fourreau?
Mais, ont dit les philosophes, les grecs! Ah! les grecs! Il est bien vrai que les grecs ne se battaient pas comme nos aïeux, avec juges et parrains, ainsi que nous le voyons dans La Colombière; mais voulez-vous savoir ce que faisaient sur ce point ces grecs dont on nous cite si souvent l'exemple? Les grecs faisaient mieux, ils assassinaient. Voyez, par exemple, Plutarque, dans la vie de Cléomène. On tuait son homme en trahison, cela ne tirait point à conséquence. Il lui tendit des embûches, disait tranquillement l'historien, à peu près comme nous dirions aujourd'hui: Il lui avait fait un serment.
De cela que veut-on conclure? Que je plaide pour le duel? Bien au contraire; c'est seulement une des mille et une inconséquences humaines que je m'amuse à relever; occupation philosophique. On s'étonne que nos lois ne défendent pas le duel; ce qui m'étonne, c'est qu'elles ne l'aient pas encore autorisé. Pourquoi, en effet, nos sottises n'obtiendraient-elles pas, comme nos vices, droit de vivre en payant patente, et n'est-ce pas une injustice véritable que d'interdire aux duellistes ce qui est permis à tant d'honnêtes gens, d'échapper au code en se réfugiant dans le budget?
S'il n'y a point de sociétés sans guerre, il est difficile qu'il y ait des guerres sans armées. Ainsi Mme de M – est pleinement justifiée de se livrer dans le chapitre suivant aux détails d'un camp. Mme de M – est, je crois, le premier auteur de son sexe qui se soit occupé de cette matière après la chevalière d'Éon; non que je veuille établir la comparaison entre Mme de M – et l'amazone du siècle dernier; c'est purement un rapprochement bibliographique, et ma remarque subsiste.
Mme de M – , comme tous les auteurs militaires, se montre grand partisan de l'obéissance absolue; c'est une question qui a été souvent agitée par les philosophes, mais qui est tous les jours parfaitement résolue à la plaine de Grenelle.
Il y a sur cette question une opinion de Hobbes que Mme de M – aurait pu citer, et qui ne laisse pas que d'être assez singulière: «Si notre maître, dit-il, nous ordonne une action coupable, nous devons l'exécuter, à moins que cette action ne puisse être réputée nôtre.» C'est-à-dire que Hobbes, pour règle des actions humaines, n'admettrait plus que l'égoïsme.
Mme de M – rapporte, d'après Folard, quelques-unes des qualités que doit posséder un vrai capitaine. Quant à moi, je me défie de ces définitions si parfaites par lesquelles il n'y aurait plus que des exceptions dans la nature. C'est une chose épouvantable à voir que la nomenclature des études préparatoires auxquelles doit se livrer un apprenti général; mais combien y a-t-il eu d'excellents généraux qui ne savaient pas lire? Il semblerait que la première condition, la condition sine qua non de tout homme qui se destine à la guerre, serait d'avoir de bons yeux, ou tout au moins d'être robuste et dispos. Eh bien! une foule de grands guerriers ont été borgnes ou boiteux. Philippe était borgne, boiteux, et de plus manchot; Agésilas était boiteux et contrefait; Annibal était borgne; Bajazet et Tamerlan, les deux foudres de guerre de leur temps, étaient l'un borgne et l'autre boiteux; Luxembourg était bossu. Il semble même que la nature, pour dérouter toutes nos idées, ait voulu nous montrer le phénomène d'un général totalement