Le Ventre de Paris. Emile Zola
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Le marchand de volailles, pour toute famille, n'avait plus qu'une belle-soeur et une nièce. Quand sa femme mourut, la soeur aînée de celle-ci, madame Lecoeur, qui était veuve depuis un an, la pleura d'une façon exagérée, en allant presque chaque soir porter ses consolations au malheureux mari. Elle dut nourrir, à cette époque, le projet de lui plaire et de prendre la place encore chaude de la morte. Mais Gavard détestait les femmes maigres; il disait que cela lui faisait de la peine de sentir les os sous la peau; il ne caressait jamais que les chats et les chiens très-gras, goûtant une satisfaction personnelle aux échines rondes et nourries. Madame Lecoeur, blessée, furieuse de voir les pièces de cent sous du rôtisseur lui échapper, amassa une rancune mortelle. Son beau-frère fut l'ennemi dont elle occupa toutes ses heures. Lorsqu'elle le vit s'établir aux Halles, à deux pas du pavillon où elle vendait du beurre, des fromages et des oeufs, elle l'accusa d'avoir « inventé ça pour la taquiner et lui porter mauvaise chance. » Dès lors, elle se lamenta, jaunit encore, se frappa tellement l'esprit, qu'elle finit réellement par perdre sa clientèle et faire de mauvaises affaires. Elle avait gardé longtemps avec elle la fille d'une de ses soeurs, une paysanne qui lui envoya la petite, sans plus s'en occuper. L'enfant grandit au milieu des Halles. Comme elle se nommait Sarriet de son nom de famille, on ne l'appela bientôt que la Sarriette. À seize ans, la Sarriette était une jeune coquine si délurée, que des messieurs venaient acheter des fromages uniquement pour la voir. Elle ne voulut pas des messieurs, elle était populacière, avec son visage pâle de vierge brune et ses yeux qui brûlaient comme des tisons. Ce fut un porteur qu'elle choisit, un garçon de Ménilmontant qui faisait les commissions de sa tante. Lorsque, à vingt ans, elle s'établit marchande de fruits, avec quelques avances dont on ne connut jamais bien la source, son amant, qu'on appelait monsieur Jules, se soigna les mains, ne porta plus que des blouses propres et une casquette de velours, vint seulement aux Halles l'après-midi, en pantoufles. Ils logeaient ensemble, rue Vauvilliers, au troisième étage d'une grande maison, dont un café borgne occupait le rez-de-chaussée. L'ingratitude de la Sarriette acheva d'aigrir madame Lecoeur, qui la traitait avec une furie de paroles ordurières. Elles se fâchèrent, la tante exaspérée, la nièce inventant avec monsieur Jules des histoires qu'il allait raconter dans le pavillon aux beurres. Gavard trouvait la Sarriette drôle; il se montrait plein d'indulgence pour elle, il lui tapait sur les joues, quand il la rencontrait: elle était dodue et exquise de chair.
Une après-midi, comme Florent était assis dans la charcuterie, fatigué de courses vaines qu'il avait faites le matin à la recherche d'un emploi, Marjolin entra. Ce grand garçon, d'une épaisseur et d'une douceur flamandes, était le protégé de Lisa. Elle le disait pas méchant, un peu bêta, d'une force de cheval, tout à fait intéressant, d'ailleurs, puisqu'on ne lui connaissait ni père, ni mère. C'était elle qui l'avait placé chez Gavard.
Lisa était au comptoir, agacée par les souliers crottés de Florent, qui tachaient le dallage blanc et rose; deux fois déjà elle s'était levée pour jeter de la sciure dans la boutique. Elle sourit à Marjolin.
– Monsieur Gavard, dit le jeune homme, m'envoie pour vous demander…
Il s'arrêta, regarda autour de lui, et baissant la voix:
– Il m'a bien recommandé d'attendre qu'il n'y eût personne et de vous répéter ces paroles, qu'il m'a fait apprendre par coeur: « Demande-leur s'il n'y a aucun danger, et si je puis aller causer avec eux de ce qu'ils savent. »
– Dis à monsieur Gavard que nous l'attendons, répondit Lisa, habituée aux allures mystérieuses du marchand de volailles.
Mais Marjolin ne s'en alla pas; il restait en extase devant la belle charcutière, d'un air de soumission câline. Comme touchée de cette adoration muette, elle reprit:
– Te plais-tu chez monsieur Gavard? Ce n'est pas un méchant homme, tu feras bien de le contenter.
– Oui, madame Lisa.
– Seulement, tu n'es pas raisonnable, je t'ai encore vu sur les toits des Halles, hier; puis, tu fréquentes un tas de gueux et de gueuses. Te voilà homme, maintenant; il faut pourtant que tu songes à l'avenir.
– Oui, madame Lisa.
Elle dut répondre à une dame qui venait commander une livre de côtelettes aux cornichons. Elle quitta le comptoir, alla devant le billot, au fond de la boutique. Là, avec un couteau mince, elle sépara trois côtelettes d'un carré de porc; et, levant un couperet, de son poignet nu et solide, elle donna trois coups secs. Derrière, à chaque coup, sa robe de mérinos noir se levait légèrement; tandis que les baleines de son corset marquaient sur l'étoffe tendue du corsage. Elle avait un grand sérieux, les lèvres pincées, les yeux clairs, ramassant les côtelettes et les pesant d'une main lente.
Quand la dame fut partie et qu'elle aperçut Marjolin ravi de lui avoir vu donner ces trois coups de couperet, si nets et si roides:
– Comment! tu es encore là? cria-t-elle.
Et il allait sortir de la boutique, lorsqu'elle le retint.
– Écoute, lui dit-elle, si je te revois avec ce petit torchon de Cadine… Ne dis pas non. Ce matin, vous étiez encore ensemble à la triperie, à regarder casser des tètes de mouton… Je ne comprends pas comment un bel homme comme toi puisse se plaire avec cette traînée, cette sauterelle… Allons, va, dis à monsieur Gavard qu'il vienne tout de suite, pendant qu'il n'y a personne.
Marjolin s'en alla confus, l'air désespéré, sans répondre.
La belle Lisa resta debout dans son comptoir, la tête un peu tournée du côté des Halles; et Florent la contemplait, muet,