Le Rêve. Emile Zola
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![Le Rêve - Emile Zola Le Rêve - Emile Zola](/cover_pre236134.jpg)
Ses yeux couleur de violette s'étaient encore adoucis, sa bouche s'entrouvrait, découvrait les petites dents blanches, dans l'ovale allongé du visage, que les cheveux blonds, d'une légèreté de lumière, nimbaient d'or. Elle avait grandi, sans devenir fluette, le cou et les épaules toujours d'une grâce fière, la gorge ronde, la taille souple; et gaie, et saine, une beauté rare, d'un charme infini, où fleurissaient la chair innocente et l'âme chaste.
Les Hubert, chaque jour, se prenaient pour elle d'une affection plus vive. L'idée leur était venue à tous deux de l'adopter. Seulement, ils n'en disaient rien, de peur d'éveiller leur éternel regret. Aussi, le matin où le mari se décida, dans leur chambre, la femme, tombée sur une chaise, fondit-elle en sanglots. Adopter cette enfant, n'était-ce pas renoncer à en avoir jamais un? Certes, il n'y fallait plus guère compter, à leur âge; et elle consentit, vaincue par la bonne pensée d'en faire sa fille.
Angélique, quand ils lui en parlèrent, leur sauta au cou, étrangla de larmes. C'était chose entendue, elle resterait avec eux, dans cette maison toute pleine d'elle maintenant, rajeunie de sa jeunesse, rieuse de son rire. Mais, dès la première démarche, un obstacle les consterna. Le juge de paix, M. Grandsire, consulté, leur expliqua la radicale impossibilité de l'adoption, la loi exigeant que l'adopté soit majeur. Puis, comme il voyait leur chagrin, il leur suggéra l'expédient de la tutelle officieuse: tout individu, âgé de plus de cinquante ans, peut s'attacher un mineur de moins de quinze ans, par un titre légal, en devenant son tuteur officieux. Les âges y étaient, ils acceptèrent, enchantés; et même il fut convenu qu'ils conféreraient ensuite l'adoption à leur pupille, par voie testamentaire, ainsi que le Code le permet. M. Grandsire se chargea de la demande du mari et de l'autorisation de la femme, puis se mit en rapport avec le directeur de l'Assistance publique, tuteur de tous les enfants assistés, dont il fallait obtenir le consentement. Il y eut enquête, enfin les pièces furent déposées à Paris, chez le juge de paix désigné. Et l'on n'attendait plus que le procès-verbal, qui constitue l'acte de la tutelle officieuse, lorsque les Hubert furent pris d'un scrupule tardif. Avant d'adopter ainsi Angélique, est-ce qu'ils n'auraient pas dû faire un effort pour retrouver sa famille? Si la mère existait, où prenaient-ils le droit de disposer de la fille, sans être absolument certains de son abandon? Puis, au fond, il y avait cet inconnu, cette souche gâtée d'où sortait l'enfant peut-être, qui les inquiétait autrefois, dont le souci leur revenait à cette heure. Ils s'en tourmentaient tellement, qu'ils n'en dormaient plus.
Brusquement, Hubert fit le Voyage de Paris. C'était une catastrophe, dans son existence calme. Il mentit à Angélique, il parla de la nécessité de sa présence, pour la tutelle. En vingt quatre heures, il espérait tout savoir. Mais, à Paris, les jours coulèrent, des obstacles se dressaient à chaque pas, il y passa une semaine, rejeté des uns aux autres, battant le pavé, éperdu, pleurant presque. D'abord, à l'Assistance publique, on le reçut fort sèchement. La règle de l'Administration est que les enfants ne soient pas renseignés sur leur origine, jusqu'à leur majorité. Trois matins de suite, on le renvoya. Il dut s'obstiner, s'expliquer dans quatre bureaux, s'enrouer à se présenter comme tuteur officieux, avant qu'un sous-chef, un grand sec, voulût bien lui apprendre l'absence absolue de documents précis. L'Administration ne savait rien, une sage-femme avait déposé l'enfant Angélique, Marie, sans nommer la mère.
Désespéré, il allait reprendre la route de Beaumont, quand une idée le ramena une quatrième fois, pour demander communication de l'extrait de naissance, qui devait porter le nom de la sage-femme. Ce fut toute une affaire encore. Enfin, il connut le nom, Mme Foucart, et il apprit même que cette femme demeurait rue des Deux-Écus, en 1850.
Alors, les courses recommencèrent. Le bout de la rue des Deux-Écus était démoli, aucun boutiquier des rues voisines ne se rappelait Mme Foucart. Il consulta un annuaire: le nom ne s'y trouvait plus. Les yeux levés, guettant les enseignes, il se résigna à monter chez les sages-femmes; et ce fut ce moyen qui réussit, il eut la chance de tomber sur une vieille dame, laquelle se récria. Comment! si elle connaissait Mme Foucart! une personne d'un si grand mérite, qui avait eu bien des malheurs! Elle demeurait rue Censier, à l'autre bout de Paris. Il y courut. Là, instruit par l'expérience, il s'était promis d'agir diplomatiquement. Mais Mme Foucart, une femme énorme, tassée sur des jambes courtes, ne le laissa pas déployer en bel ordre les questions qu'il avait préparées à l'avance. Dès qu'il lâcha les prénoms de l'enfant et la date du dépôt, elle partit d'elle même, elle conta toute l'histoire, dans un flot de rancune. Ah! la petite vivait! eh bien, elle pouvait se flatter d'avoir pour mère une fameuse coquine! Oui, Mme Sidonie, comme on la nommait depuis son veuvage, une femme très bien apparentée, ayant un frère ministre, disait-on, ce qui ne l'empêchait pas de faire les plus vilains commerces! Et elle expliqua de quelle façon elle l'avait connue, quand la gueuse tenait, rue Saint-Honoré, un commerce de fruits et d'huile de Provence, à son arrivée de Plassans, d'où ils débarquaient, elle et son mari, pour tenter fortune. Le mari mort et enterré, elle avait eu une fille quinze mois après, sans savoir au juste où elle l'avait prise, car elle était sèche comme une facturé, froide comme un protêt, indifférente et brutale comme un recors!.. On pardonne une faute, mais l'ingratitude! Est-ce que le magasin mangé, elle, Mme Foucart, ne l'avait pas nourrie pendant ses couches, ne s'était pas dévouée jusqu'à la débarrasser, en portant la petite là-bas?
Et, pour récompense, lorsqu'elle était, à son tour, tombée dans la peine, elle n'avait pas réussi à en tirer le mois de la pension, ni même quinze francs prêtés de la main à la main. Aujourd'hui, Mme Sidonie occupait, rue du Faubourg-Poissonnière, une petite boutique et trois pièces, à l'entresol, où, sous le prétexte de vendre des dentelles, elle vendait de tout. Ah! oui, ah! oui, une mère de cette espèce, il valait mieux ne pas la connaître! Une heure plus tard, Hubert était à rôder autour de la boutique de Mme Sidonie. Il y entrevit une femme maigre, blafarde, sans âge et sans sexe, vêtue d'une robe noire élimée, tachée de toutes sortes de trafics louches. Jamais le ressouvenir de sa fille, née d'un hasard n'avait dû échauffer ce cœur de courtière. Discrètement, il se renseigna, apprit des choses qu'il ne répéta à personne, pas même à sa femme. Pourtant, il hésitait encore, il revint une dernière fois passer devant l'étroit magasin mystérieux. Ne devait-il point se faire connaître, obtenir un consentement? C'était à lui, honnête homme, de juger s'il avait le droit de trancher ainsi le lien, pour toujours.
Brusquement, il tourna le dos, il rentra le soir à Beaumont.
Hubertine venait justement de savoir, chez M. Grandsire, que le procès-verbal, pour la tutelle officieuse, était signé. Et, lorsque Angélique se jeta dans les bras d'Hubert, il vit bien, à l'interrogation suppliante de ses yeux, qu'elle avait compris le vrai motif de son voyage. Alors, simplement, il lui dit:
– Mon enfant, ta mère est morte.
Angélique, pleurante, les embrassa avec passion. Jamais il n'en fut reparlé. Elle était leur fille.
III
Cette année-là, le lundi de la Pentecôte, les Hubert avaient mené Angélique déjeuner aux ruines du château d'Hautecœur, qui domine le Ligneul, à deux lieues en aval de Beaumont; et, le lendemain, après toute cette journée de plein air, de courses et de rires, lorsque la vielle horloge de l'atelier sonna sept heures, la jeune fille dormait encore.
Hubertine dut monter frapper à la porte.
– Eh bien! paresseuse!.. nous avons déjà déjeuné, nous autres.
Vivement Angélique s'habilla, descendit déjeuner seule.
Puis, quand elle entra dans l'atelier, où Hubert et sa femme venaient de se mettre au travail:
– Ah! ce que je dormais! Et cette chasuble