Le portrait de monsieur W. H.. Оскар Уайльд
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Naturellement j'allai chez lui et, quand j'arrivai, je le trouvai dans un état de grande surexcitation.
Il me dit qu'il avait enfin découvert le vrai secret des _Sonnets _de Shakespeare, que tous les lettrés et les critiques avaient fait fausse route et qu'il était le premier qui, travaillant uniquement d'après l'évidence des faits, avait élucidé qui était réellement monsieur W. H.
Il était tout à fait fou de joie et il demeura longtemps sans vouloir me dire sa théorie.
Enfin, il exhiba un paquet de notes, prit son exemplaire des _Sonnets _sur sa cheminée, s'assit et me fît une longue conférence sur toute la question.
Il débuta par établir que le jeune homme, à qui Shakespeare adressait ces poèmes étrangement passionnés, devait être quelqu'un qui avait été réellement un facteur vital dans le développement de son art dramatique et que ni lord Pembroke ni lord Southampton ne se trouvaient dans ce cas.
En outre, à tout prendre, ce ne pouvait être un homme de haute naissance, comme il résulte abondamment du sonnet 25, dans lequel Shakespeare le met en parallèle avec ceux qui sont les favoris de _grands princes _et dit avec une entière franchise:
Que ceux qui sont en faveur auprès de leurs étoiles se parent des honneurs publics et des titres superbes, tandis que moi, que la fortune prive de tels triomphes, je jouis d'un bonheur inespéré qui est pour moi l'honneur suprême, et termine le sonnet en se félicitant de la condition médiocre de celui qu'il adorait tant.
Heureux suis-je donc, moi qui aime et suis aimé, sans pouvoir infliger la disgrâce ni la subir.
Cyril déclarait que ce sonnet serait tout à fait inintelligible si nous imaginions qu'il était adressé soit au comte de Pembroke, soit au comte de Southampton qui, tous deux, étaient des hommes de la plus haute situation en Angleterre et pleinement en droit d'être qualifiés de «grands princes».
Pour appuyer cette opinion, il me lut les sonnets 124 et 125, dans lesquels Shakespeare nous dit que son amour n'est pas _un enfant royal, _qu'il _n'est pas gêné par la pompe souriante, _mais qu'il a été élevé loin de tout accident.
J'écoutais avec un très grand intérêt, car je ne crois pas que la remarque eut été faite jusque-là; mais ce qui suivit était encore plus curieux et me sembla alors solutionner complètement la cause de Pembroke.
Nous avons appris de Meres8 que les _Sonnets _ont été écrits avant 1598 et le sonnet 104 nous informe que l'amitié de Shakespeare pour monsieur W. H. existait déjà depuis trois ans. Or, lord Pembroke, qui était né en 1580, n'est pas venu à Londres avant sa dix-huitième année, c'est-à-dire avant 1598 et la liaison de Shakespeare avec monsieur W. H. doit avoir commencé en 1594 ou au début de 1595. En conséquence, Shakespeare n'a pu connaître lord Pembroke qu'après avoir écrit les Sonnets.
Cyril remarqua aussi que le père de Pembroke ne mourut pas avant 1601; tandis qu'il résulte du vers:
Vous avez eu un père; puisse votre fils en dire autant, que le père de monsieur W. H. était mort en 1598.
En outre, il était absurde d'imaginer que quelque éditeur du temps, – et la préface est de la main de l'éditeur – aurait osé appeler William Herbert comte de Pembroke monsieur.
Le cas de lord Buckhurst, qualifié de M. Sackville, n'a rien de similaire, car lord Buckhurst n'était pas un pair, mais simplement le plus jeune fils d'un pair qui recevait un titre de courtoisie, et le passage du _Parnasse d'Angleterre, _où il est ainsi parlé de lui, n'est pas une dédicace en forme et avec apparat, mais une simple allusion fortuite.
Voilà pour lord Pembroke, dont Cyril démolissait aisément les prétendues prétentions, tandis que je restais abasourdi de sa démonstration.
Pour lord Southampton, Cyril éprouvait encore moins de difficultés.
Southampton devint, à un âge encore tendre, l'amoureux d'Elisabeth Vernon: il n'avait donc pas besoin qu'on le suppliât de se marier.
Il n'était pas beau. Il ne ressemblait pas à sa mère, comme monsieur W. H.
Tu es le miroir de ta mère, et elle retrouve en toi l'aimable avril de sa jeunesse…
et par dessus tout son nom de baptême était Henry, tandis que les sonnets à jeux de mots (le 135e et le 143e) prouvent que le nom de baptême de l'ami de Shakespeare était le même que le sien, Will.
Quant aux autres insinuations des infortunés commentateurs que monsieur W. est une faute d'impression pour monsieur W. S., c'est- à-dire William Shakespeare; que _monsieur W. H. all _doit être un monsieur W. Hall, que monsieur W. H. est monsieur William Hathevay et qu'après Wisheth9 il faut mettre un point, ce qui fait de monsieur W. H. l'auteur et non le sujet de la dédicace, Cyril se débarrassa d'elles en fort peu de temps et il ne vaut pas la peine de mentionner ses raisonnements, quoique je me souvienne qu'il me fit éclater de rire en me lisant – je suis heureux de dire que ce ne fut pas dans l'original – quelques extraits d'un commentateur allemand du nom de Bernstroff qui prétendait soutenir que monsieur Will n'était autre que monsieur William Himself (lui-même).
Graham se refusait à admettre un seul instant que les _Sonnets _fussent de pures satires de l'oeuvre de Drayton et de John Davies d'Hereford.
Pour lui, comme pour moi, c'étaient des poèmes d'une portée sérieuse et tragique, expression de l'amertume de coeur de Shakespeare et adoucis par le miel de ses lèvres.
Encore moins voulait-il admettre que ce fut une simple allégorie philosophique et que Shakespeare adressât ses Sonnets au Moi idéal, à la Nature humaine idéale, à l'Esprit de beauté, à la Raison, au divin Logos ou à l'Église catholique.
Il sentait, comme certes, je crois que nous le sentons tous que les _Sonnets _sont adressés à un être qui a une individualité propre, à un jeune homme déterminé, dont la personnalité, pour une raison quelconque, semble avoir rempli l'âme de Shakespeare d'une terrible joie et d'un non moins terrible désespoir.
Après avoir de la sorte débarrassé la route, Cyril me demanda de chasser de mon esprit toutes les idées préconçues que je pouvais m'être faites sur ce sujet et de prêter une oreille impartiale et bienveillante à sa propre théorie.
Le problème, qu'il signalait, était celui-ci: Quel était le jeune homme contemporain de Shakespeare, à qui, sans qu'il fût de noble naissance ou même de noble caractère, il avait pu s'adresser en termes d'une telle adoration passionnée que nous ne pouvons que nous étonner de ce culte étrange et être presque effrayés de tourner la clé de la serrure qui enferme le mystère du coeur du poète? Quel était celui dont la beauté physique était telle qu'elle devint la vraie pierre angulaire de l'art de Shakespeare, la vraie source de l'inspiration de Shakespeare, la vraie incarnation des rêves de Shakespeare?
Le regarder uniquement comme l'objet de certains poèmes d'amour, c'est oublier toute la signification des poèmes, car l'art, dont Shakespeare parle dans les _Sonnets, _n'est pas l'art des _Sonnets _eux-mêmes, qui certes ne furent pour lui que des choses légères et intimes, c'est l'art du Dramaturge à qui il fait toujours allusion et celui dont Shakespeare dit:
Tu es tout mon art et tu exaltes jusqu'à la science mon ignorance grossière,
celui à
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Francis Meres (1565-16471, auteur du Discours comparatif _de nos poètes anglais _avec les
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Voici le texte de la dédicace des Sonnets. Je copie la disposition typographique et traduis le plus littéralement possible. To The only begetter of these ensuing sonnets Mr W. H.