Le portrait de monsieur W. H.. Оскар Уайльд

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Le portrait de monsieur W. H. - Оскар Уайльд страница 4

Le portrait de monsieur W. H. - Оскар Уайльд

Скачать книгу

sûrement pas autre que le jeune acteur pour qui il créa Viola et Imogène, Juliette et Rosalinde, Portia et Desdemone, et Cléopâtre elle-même.

      Telle était la théorie de Cyril Graham, tirée, comme vous le voyez, uniquement des _Sonnets _et dont l'acceptation ne dépendait pas tant d'une preuve par démonstration ou d'une évidence formelle que d'une sorte de flair spirituel et artistique par lequel seul, prétendait-il, on pouvait discerner le vrai sens des poésies.

      Je me souviens qu'il me lut ce beau sonnet:

       Comment ma muse pourrait-elle manquer de sujet tant que de ton souffle tu verses dans mon vers ton ineffable inspiration trop parfaite pour être confiée à un papier vulgaire?

       Oh! Remercie-toi toi-même si tu trouves chez moi rien qui vaille la peine que tu le lises; car quel est l'être assez muet pour ne rien pouvoir te dire, quand toi-même tu donnes la lumière à ton invention.

       Sois pour lui la dixième muse, dix fois plus puissante que les neuf vieilles invoquées par les rimeurs: et celui qui t'invoquera produira des nombres éternels qui mûriront dans un avenir lointain.

      Il me fit remarquer combien c'était une complète confirmation de sa théorie.

      En effet, il feuilleta attentivement tous les _Sonnets _et montra, ou s'imagina qu'il montrait que dans la nouvelle explication de leur signification qu'il proposait, les choses qui avaient paru obscures, ou défectueuses, ou exagérées, devenaient claires et rationnelles et de haute portée artistique, illuminant la conception de Shakespeare des vrais rapports entre l'art de l'acteur et l'art du dramaturge.

      Il est, certes, évident qu'il devait y avoir dans la compagnie de Shakespeare quelque merveilleux jeune acteur d'une grande beauté, à qui il confiait le soin de personnifier ses nobles héroïnes; car Shakespeare était un organisateur de tournée dramatique, en même temps qu'un poète plein d'imagination. Or, Cyril Graham avait fini par découvrir le nom du jeune acteur.

      C'était Will, ou comme il préférait l'appeler Willie Hughes.

      Il avait trouvé le nom de baptême dans les sonnets à jeu de mots 125 et 143 et le nom de famille, d'après lui, était caché dans le huitième vers du sonnet 20 ou monsieur W. H. est décrit comme.

       Un homme par le teint mais battant tous les TEINTS possibles.

      Dans l'édition originale des _Sonnets, TEINTS (hews) _est imprimé en lettres capitales et en italiques et cela, prétendait-il, montrait clairement qu'il y avait là une tentative de jeu de mots.

      Cette façon de voir recevait une grande part de confirmation de ces sonnets dans lesquels des jeux de mots bizarres étaient faits sur les mots _usage _et usure.

      Naturellement je me laissai convaincre d'emblée et Willie Hughes devint pour moi un être aussi réel que Shakespeare.

      La seule objection, que je fis à la théorie, était que le nom de Willie Hughes ne se trouve pas dans la liste des acteurs de la compagnie de Shakespeare imprimée au premier folio.

      Cyril, pourtant, établit que l'absence du nom de Willie Hughes de cette liste démontrait réellement la théorie, puisqu'il résultait du sonnet 86 que Willie Hughes avait abandonné la troupe de Shakespeare pour jouer dans un théâtre rival, probablement dans quelques-unes des pièces de Chapman10.

      C'est en allusion à ce fait que dans le grand sonnet sur Chapman, Shakespeare dit à Willie Hughes:

       Mais dès que votre jeu a rehaussé sa poésie, la mienne n'a plus eu de sujet et c'est ce qui l'a fait languir.

      l'expression _dès que votre jeu a rehaussé sa poésie _se rapportant sans nul doute à la beauté du jeune acteur qui faisait vivre, réalisait les vers de Chapman et leur ajoutait du charme.

      La même idée se trouvait encore énoncée dans le 79e sonnet:

       Tant que seul j'ai invoqué ton aide, mon vers seul a possédé toute ta gentille grâce; mais maintenant mes nombres gracieux sont déchus et ma muse malade cède la place à une autre,

      et dans le sonnet qui le précède immédiatement où Shakespeare dit:

       Toutes les autres plumes ont pris exemple sur moi 11 et répandent leur poésie sous ton patronage,

      le jeu de mot use=Hughes étant naturellement voulu et la phrase _répandent leur poésie sous ton patronage _signifiant avec votre concours comme acteur donnent leurs pièces au public.

      C'était une nuit superbe.

      Presque jusqu'au jour nous demeurâmes assis là à lire et à relire les Sonnets.

      Un peu après pourtant, je commençai à voir que, avant que la théorie pût être lancée publiquement sans une forme vraiment parfaite, il était nécessaire d'apporter une démonstration de l'existence de ce jeune acteur Willie Hughes, en dehors des Sonnets.

      Si, un jour, l'on pouvait établir l'existence de ce personnage, il n'y aurait plus de doute possible sur son identité avec monsieur W. H.

      Autrement la théorie tomberait à terre.

      J'exposai cela à Cyril de la façon la plus nette.

      Il fut fort ennuyé de ce qu'il appelait ma tournure d'esprit de Philistin et il fut même un peu amer sur ce sujet.

      Pourtant, je lui fis promettre que, dans son propre intérêt, il ne publierait pas sa découverte avant d'avoir mis toute la question hors de doute et, pendant de longues semaines, nous feuilletâmes les registres des églises de la Cité, les manuscrits Alleyn à Dulwich, les papiers du Record Office, les papiers de lord Chamberlain, bref tout ce que nous pensions pouvoir contenir quelque allusion à Willie Hughes.

      Nous ne découvrîmes rien, cela va sans dire et chaque jour l'existence de Willie Hughes me paraissait devenir plus problématique.

      Cyril était dans un état épouvantable. Il remettait la question sur le tapis tous les jours, s'efforçant de me convaincre, mais j'avais vu le point faible de la théorie et je me refusais à y croire tant que l'existence de Willie Hughes, l'acteur adolescent du temps d'Elisabeth, n'avait pas été démontrée sans doute ni hésitation possible.

      Un jour, Cyril quitta Londres pour se rendre chez son grand-père, du moins je le crus alors, mais plus tard j'ai appris de lord Crediton qu'il n'en fut pas ainsi.

      Après une quinzaine, je reçus de Cyril un télégramme, expédié de Warwick, où il me priait de ne pas manquer de venir dîner avec lui, ce soir-là, à huit heures précises.

      À mon arrivée, il m'accueillit par ces mots:

      – Le seul apôtre, qui ne méritait pas que rien lui fût prouvé, était saint Thomas et saint Thomas fut le seul apôtre à qui la preuve fut donnée.

      Je lui demandai ce qu'il voulait dire.

      Il répondit qu'il ne lui avait pas été seulement possible d'établir l'existence au XVIe siècle d'un acteur adolescent nommé Willie Hughes, mais de prouver, avec l'évidence la plus concluante, que c'était bien là le monsieur W. H. des Sonnets.

      Il

Скачать книгу


<p>10</p>

Georges Chapman (1557-1534) contemporain de Shakespeare, remis en honneur par Algernon C. Swinburne et réédité en 1873. (Note du traducteur.)

<p>11</p>

Ou ont pris mon Hughes. (Note du traducteur.)