Le portrait de monsieur W. H.. Оскар Уайльд

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Le portrait de monsieur W. H. - Оскар Уайльд

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dans une pièce que l'on irait voir jouer.

      Pendant deux semaines, je travaillai avec acharnement sur les _Sonnets, _sortant à peine et refusant toutes les invitations.

      Chaque jour, il me semblait que je découvrais quelque chose de nouveau et Willie Hughes devint pour moi une espèce de compagnon spirituel, une personnalité toujours dominante.

      Je finis presque par m'imaginer que je l'avais vu debout dans l'atmosphère de ma chambre tant Shakespeare l'avait clairement dessiné avec ses cheveux d'or, sa tendre grâce de fleur, ses doux yeux aux profondeurs de rêve, ses membres délicats et mobiles et ses mains d'une blancheur de lis.

      Son seul nom exerçait sur moi une vraie fascination. Willie Hughes! Willie Hughes! Comme il avait un son de musique! Oui, quel autre que lui pouvait être «le maître et la maîtresse de la passion» de Shakespeare12, le «seigneur de son amour à qui il a été lié en vasselage»13, le délicat favori du plaisir14, la «rose de tout l'univers»15, le «héraut du printemps»16 «paré de la superbe livrée de la jeunesse»17, le «ravissant garçon qui est une douce musique pour son auditeur»18 et dont «la beauté était le vrai vêtement du coeur» de Shakespeare»19, de même qu'il était la clé de voûte de sa force dramatique.

      Combien me paraissait amère maintenant toute la tragédie de sa désertion et de sa honte qu'il rendait «douce et jolie20« par la pure magie de sa personne, mais qui n'en était pas moins honte.

      Pourtant, si Shakespeare l'a pardonné, pourquoi ne lui pardonnerons-nous pas aussi.

      Je ne me souciai pas de chercher à pénétrer le mystère de son péché.

      Son abandon du théâtre de Shakespeare était une question différente et je la creusai très avant.

      Finalement j'en vins à cette conclusion que Cyril Graham s'était trompé en regardant Chapman comme le dramaturge rival dont il est parlé dans le 80e sonnet.

      C'était évidemment Marlowe à qui il était fait allusion21.

      Alors que les _Sonnets _furent écrits, on ne pouvait appliquer à l'oeuvre de Chapman une expression telle que «l'orgueilleuse arrogance de son grand vers», bien qu'on eût pu l'appliquer plus tard au style de ses dernières pièces du temps du roi Jacques.

      Non, Marlowe était sans contredit le dramaturge dont Shakespeare parla en ces termes louangeurs et cet _affable fantôme familier qui, la nuit, le comble de ses inspirations, _était le Méphistophélès de son Docteur Faustus.

      Sans nul doute, Marlowe fut fasciné par la beauté et la grâce du jeune acteur et l'enleva au théâtre de Blackfriars afin de leur faire jouer le Gaveston de son Édouard II.

      Que Shakespeare eut légalement le droit de retenir Willie Hughes dans sa propre troupe, cela résulte à l'évidence du sonnet 87 où il dit:

      _Adieu! tu es un bien trop précieux pour moi et tu ne sais que trop sans doute ce que tu vaux: _LA CHARTE _de _TA VALEUR te permet de te dégager et tes engagements envers moi ont tous pris fin.

       Car ai-je d'autres droits sur toi que ceux que tu m'accordes? Et où sont mes titres, à tant de richesses? Rien en moi ne peut justifier ce don SPLENDIDE ET AINSI MA PATENTE M'EST-ELLE RETIRÉE.

       Tu t'étais donné à moi par ignorance de ce que tu vaux ou par une pure méprise sur mon compte. Aussi cette grande concession fondée sur un malentendu, tu la révoques en te ravisant.

       Ainsi je t'aurai possédé comme dans l'illusion d'un rêve; roi dans le sommeil, mais au réveil plus rien.

      Mais celui qu'il ne pouvait retenir par amour, il ne voulait pas le retenir par force. Willie Hughes devint un des sujets de la troupe de lord Pembroke et peut-être joua-t-il, dans la cour ouverte de la Taverne du Taureau Rouge, le rôle du délicat favori du roi Édouard.

      Lors de la mort de Marlowe, il semble être revenu à Shakespeare qui, quoi qu'en aient pu penser ses camarades de théâtre, ne tarda pas à pardonner le coup de tête et la trahison du jeune acteur.

      Vraiment, comme Shakespeare a dessiné en traits précis le tempérament de l'acteur. Willie Hughes était un de ceux-là,

       qui ne commettent pas l'action dont ils menacent le plus, qui tout en émouvant les autres sont eux-mêmes comme la pierre.

      Il pouvait jouer l'amour, mais il ne pouvait pas l'éprouver. Il pouvait mimer la passion sans la réaliser.

       Chez beaucoup l'histoire d'un coeur perfide est écrite dans les regards, écrite dans des moues, des froncements de sourcils, des grimaces étranges.

      Mais avec Willie Hughes il n'en était pas ainsi. Le Ciel, dit Shakespeare dans un sonnet d'idolâtrie folle,

      le ciel a décrété, en te créant, qu'un doux amour respirerait toujours sur ta face; quelles que soient tes pensées ou les émotions de ton coeur, ton regard ne peut jamais exprimer que la douceur.

      Dans son «esprit inconstant» et son «coeur faux», il était facile de distinguer le défaut de sincérité et la tricherie qui paraît en quelque sorte inséparable de la nature de l'artiste, comme dans son amour des louanges ce désir d'une récompense immédiate qui caractérise tous les acteurs. Et pourtant, en cela plus heureux que les autres acteurs, Willie Hughes devait connaître quelque chose de l'immortalité: inséparablement lié aux pièces de Shakespeare, il devait vivre en elles.

       Votre nom tirera de mes vers l'immortalité, lors même qu'une fois disparu je devrais mourir au monde entier. La terre ne peut me fournir qu'une fosse vulgaire, tandis que vous serez enseveli à la vue de toute l'humanité.

       Vous aurez pour monument mon noble vers que liront les yeux à venir: et les langues futures rediront votre existence, quand tous les souffles de notre génération seront éteints.

      Il y avait des allusions sans fin à la puissance de Willie Hughes sur son auditoire, les «spectateurs attentifs», comme les appelle Shakespeare, mais peut-être la plus parfaite description de sa merveilleuse maîtrise en art dramatique était-elle dans la _Plainte d'une Amante _où Shakespeare dit de lui:

       Il employait à ses artifices une masse de matière subtile à laquelle il donnait les formes les plus étranges: rougeurs enflammées, flots de larmes, pâleurs défaillantes; il prenait, il quittait tous les visages, pouvant, au gré de ses perfidies, rougir à d'impurs propos, pleurer de douleur ou devenir blanc et s'évanouir avec des mines tragiques.

       De même au bout de sa langue dominatrice, toutes sortes d'arguments et de questions profondes, de promptes répliques et de fortes raisons dormaient et s'éveillaient sans cesse à son service. Pour faire rire le pleureur et pleurer le rieur, il avait une langue et une éloquence variée, attrapant toutes les passions au piège de son caprice.

      Un jour, je crus avoir réellement trouvé Willie Hughes dans la littérature de l'époque d'Elisabeth.

      Dans

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<p>12</p>

Sonnet XX, 8.

<p>13</p>

Sonnet CIX, 14.

<p>14</p>

Sonnet VIII, 1.

<p>15</p>

Sonnet XXVI, 1.

<p>16</p>

Sonnet 1, 10.

<p>17</p>

Sonnet XXII, 6.

<p>18</p>

Sonnet CXXVI, 9.

<p>19</p>

Sonnet II, 3.

<p>20</p>

Sonnet XCV, 1.

<p>21</p>

Christophe Marlowe (1564-1593). Voir l'excellente étude de Félix Rabbe préfaçant sa traduction du _Théâtre. _Stock, éditeur. (Note du traducteur.)