Aristophane; Traduction nouvelle, tome premier. Аристофан
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Cette jovialité d'humeur, cette prestesse d'esprit ont précisément trouvé dans le naturel de M. Talbot des similitudes qui l'ont très bien servi. Pour traduire, il n'avait pas à s'oublier soi-même, à se métamorphoser. Il lui suffisait de s'adapter, de grossir et d'acérer tour à tour les traits de sa verve enjouée pour donner à ses lecteurs l'impression que leur donnerait Aristophane en personne ressuscité, mais parlant français. On ne saurait, certes, demander davantage à l'interprétation des anciens: elle ne peut, elle ne doit pas agir sur les contemporains de l'interprète comme le faisait l'auteur original sur les siens, sur les hommes à qui jadis il s'adressait. Aussi faut-il nous résigner à ne pas toujours comprendre et goûter ce qu'ils y prisaient. D'une autre race et d'un autre temps qu'eux, nous ne pouvons épouser toutes leurs manières d'être et de sentir. Il n'est donc pas sûr que notre admiration ait le même principe que la leur, et, à cet égard, une bonne traduction, par son exactitude même, doit nous faire apprécier la divergence irréductible entre le point de vue ancien et le moderne, tout essai de les concilier par des compromis, par des adoucissements et des atténuations est une trahison; là est l'infériorité des traductions d'autrefois. Celles d'aujourd'hui permettent de constater la diversité et les vicissitudes des mœurs et du goût, et par là leur propre valeur et l'estime qu'elles s'acquièrent échappent à ces fluctuations mêmes.
Tel est, à mon avis, le mérite et telle sera, je n'en doute pas, la récompense du présent ouvrage.
LES AKHARNIENS
(L'AN 426 AVANT J.-C.)
Cette pièce, composée en vue de ramener la paix, a pour principal personnage un charbonnier du bourg d'Acharnes, nommé Dikæopolis (le bon citoyen), qui, en vertu d'un traité particulier passé avec les Lacédémoniens, est à l'abri, ainsi que sa famille, de tous les maux de la guerre, tandis que les autres Acharniens, égarés par Cléon et Lamachos, sont en proie aux vexations et au pillage.
PERSONNAGES DU DRAME
Dikæopolis.
Un Héraut.
Amphithéos.
Un Prytane.
Envoyés Des Athéniens, revenant d'auprès du roi de Perse.
Pseudartabas.
Théoros.
Chœur de Vieillards Akharniens.
Femme de Dikæopolis.
Fille de Dikæopolis.
Képhisophôn.
Euripidès.
Lamakhos.
Un Mégarien.
Deux Filles du Mégarien.
Un Sykophante.
Un Bœotien.
Nikarkhos.
Un Serviteur de Lamakhos.
Un Laboureur.
Un Paranymphe.
Messagers.
La scène se passe sur l'Agora, puis devant la maison de Dikæopolis.
LES AKHARNIENS
Que de fois j'ai été mordu au cœur! Et de plaisirs bien peu, tout à fait peu! Quatre! Mais de douleurs, un amoncellement de sables à la hauteur des Gargares! Voyons donc: qui m'a été un juste sujet de joie? Oui, je vois pourquoi j'ai eu l'âme réjouie: c'est quand Kléôn a revomi les cinq talents. Quel bonheur j'en ai ressenti! Et j'aime les Chevaliers pour ce service: il fait honneur à la Hellas, mais bientôt j'ai éprouvé une douleur tragique: la bouche béante, j'attendais de l'Æskhylos, quand un homme crie: «Théognis, fais entrer le Chœur!» Comment croyez-vous que ce coup m'ait frappé l'âme? Mais voici pour moi une autre joie, lorsque, concourant pour un veau, Dexithéos s'avança et joua un air bœotien. Cette année-ci, au contraire, je vis que j'étais mort, mis en lambeaux, lorsque Khæris préluda sur le mode orthien. Mais jamais, depuis que je vais aux bains, la paupière ne m'a piqué les sourcils comme aujourd'hui: c'est jour d'assemblée régulière: voici le matin, et la Pnyx est encore déserte. On bavarde sur l'Agora: en haut, en bas, on évite la corde rouge. Les Prytanes mêmes n'arrivent pas: ils arrivent à une heure indue; puis ils se bousculent, vous savez comme, les uns les autres, pour gagner le premier banc, et ils s'y jettent serrés. De la paix à conclure, ils n'ont aucun souci. O la ville, la ville! Pour moi qui viens toujours le premier à l'assemblée, je m'assois, et là, tout seul, je soupire, je bâille, je m'étire, je pète, je ne sais que faire, je trace des dessins, je m'épile, je réfléchis, l'œil sur la campagne, épris de la paix, détestant la ville, regrettant mon dême, qui ne m'a jamais dit: «Achète du charbon, du vinaigre, de l'huile!» Il ne connaissait pas le mot: «Achète», mais il fournissait tout, et il n'y avait pas ce terme, «achète», qui est une scie. Aujourd'hui, je ne viens pas pour rien; je suis tout prêt à crier, à clabauder, à injurier les orateurs, s'il en est qui parlent d'autre chose que de la paix. Mais voici les Prytanes! Il est midi! Ne l'ai-je pas annoncé? C'est bien ce que je disais. Tous ces gens-là se ruent sur le premier siège.
Avancez sur le devant; avancez, pour être dans l'enceinte purifiée.
A-t-on déjà parlé?
Qui veut prendre la parole?
Moi.
Qui, toi?
Amphithéos.
Pas un homme?
Non; mais un immortel. Amphithéos était fils de Dèmètèr et de Triptolémos: de celui-ci naît Kéléos. Kéléos épouse Phænarètè, mon aïeule, de laquelle naît Lykinos. Né de lui, je suis un immortel. A moi seul les dieux ont confié le soin de faire une trêve avec les Lakédæmoniens. Mais tout immortel que je suis, citoyens, je n'ai pas de quoi manger; car les Prytanes ne me donnent rien.
Archers!
O Triptolémos, ô Kéléos, m'abandonnez-vous?
Citoyens Prytanes, vous faites injure à l'assemblée,