Les mystères d'Udolphe. Анна Радклиф

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Les mystères d'Udolphe - Анна Радклиф

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abusée par la vivacité de ses désirs, elle conserva l'espoir de la guérison de sa mère, et ne le perdit qu'au dernier moment.

      La maladie faisait des progrès; la résignation et le calme de madame Saint-Aubert semblaient augmenter avec elle; la tranquillité avec laquelle elle attendait la mort ne pouvait venir que d'un retour sur elle-même, sur une vie sans reproche, et autant que l'humaine fragilité le comportait, constamment passée en la présence de Dieu et dans l'espoir d'un meilleur monde; mais la piété ne pouvait subjuguer la douleur qu'elle éprouvait en quittant des amis si chers. Durant ses derniers moments, elle entretint longtemps Saint-Aubert et Emilie sur la vie à venir et sur d'autres sujets religieux; la résignation qu'elle exprima, la ferme espérance de retrouver dans l'éternité ceux qu'elle abandonnait en ce monde, l'effort qu'elle faisait pour cacher la douleur que lui causait cette séparation momentanée, tout affecta tellement Saint-Aubert, qu'il fut obligé de quitter la chambre. Il pleura amèrement, mais enfin il sécha ses larmes, et rentra avec une contrainte qui ne pouvait qu'augmenter son supplice.

      Jamais Emilie n'avait mieux conçu combien il était sage de modérer sa sensibilité; jamais non plus elle n'y avait travaillé avec tant de courage; mais après l'événement elle fut anéantie sous le poids de la douleur, et comprit que l'espérance autant que la force avait concouru à la soutenir. Saint-Aubert était trop affligé lui-même pour pouvoir consoler sa fille.

      CHAPITRE II

      Madame Saint-Aubert fut enterrée dans l'église du village voisin: son époux et sa fille accompagnèrent ce convoi, et furent suivis d'un prodigieux nombre d'habitants qui tous pleuraient sincèrement une si excellente femme.

      De retour de l'église, Saint-Aubert s'enferma dans sa chambre, il en sortit avec la sérénité du courage et la pâleur du désespoir: il donna ordre à toutes les personnes qui composaient sa maison de se rassembler. Emilie seule ne paraissait point: subjuguée par la scène dont elle venait d'être témoin, elle s'était enfermée dans son cabinet pour y pleurer en liberté. Saint-Aubert l'y alla chercher: il prit sa main en silence, et ses larmes continuèrent. Il fut longtemps lui-même avant de retrouver sa voix et la faculté de s'exprimer; il dit enfin en tremblant: Mon Emilie, nous allons prier, voulez-vous vous joindre à nous? nous allons implorer le secours d'en haut, d'où pouvons-nous l'attendre que du ciel?

      Emilie retint ses larmes, et suivit son père au salon où les domestiques étaient réunis. Saint-Aubert lut d'une voix basse l'office du soir, et ajouta une prière pour les âmes des trépassés. Pendant sa lecture, la voix lui manqua, ses larmes arrosèrent le livre; il s'arrêta, mais les sublimes émotions d'une dévotion pure élevèrent successivement ses idées au-dessus de ce monde, et versèrent enfin la consolation dans son cœur.

      Quand l'office fut achevé et que les domestiques furent retirés, il embrassa tendrement Emilie. Je me suis efforcé, lui dit-il, de vous donner dès vos premières années un véritable empire sur vous-même, je vous en ai représenté l'importance dans toute la conduite de la vie; c'est cette qualité qui nous soutient contre les plus dangereuses tentations du vice, et nous rappelle à la vertu; c'est lui encore qui modère l'excès des émotions les plus vertueuses. Il est un point où elles cessent de mériter ce nom, puisque leur conséquence est un mal; tout excès est un tort; le chagrin même, quoique aimable dans son principe, devient une passion injuste quand on s'y livre aux dépens de ses devoirs. Par devoir, j'entends ce qu'on se doit à soi-même, aussi bien que ce qu'on doit aux autres. Une douleur sans règle énerve l'âme, et la prive de ces douces jouissances qu'un Dieu bienfaisant destine à embellir notre vie. Ma chère Emilie, appelez, pratiquez tous les préceptes que vous avez reçus de moi, et dont l'expérience vous a souvent démontré la sagesse.

      Votre douleur est inutile; ne regardez pas cette vérité comme un lieu commun de consolation, mais comme un véritable motif de courage. Je ne voudrais pas étouffer votre sensibilité, mon enfant, je ne voudrais qu'en modérer l'intensité. Quels que puissent être les maux dont un cœur trop tendre est la cause, on ne doit rien espérer de celui qui ne l'est point. Vous connaissez ma peine, vous savez si mes paroles sont de ces discours légers jetés au hasard pour dessécher la sensibilité dans sa source, et dont le but unique est le frivole étalage d'une prétendue philosophie. Je vous montrerai, mon Emilie, que je puis pratiquer les conseils que je donne. Je vous parle ainsi, parce que je ne puis sans douleur vous voir vous consumer en larmes superflues, et n'essayer aucun effort sur vous-même; je ne vous ai pas parlé plus tôt, parce qu'il y a un moment où tout raisonnement doit céder à la nature. Ce moment est passé, et quand on le prolonge à l'excès, la triste habitude que l'on contracte accable les esprits au point de leur ôter tout ressort; vous touchez à cet écueil; mais vous, mon Emilie, vous montrerez que vous voulez l'éviter.

      Emilie, en pleurant, sourit à son père. O mon père! s'écria-t-elle; et la voix lui manqua. Elle aurait sans doute ajouté: Je veux me montrer digne d'être votre fille. Un mouvement confus de reconnaissance, de tendresse, de douleur, la subjugua; Saint-Aubert la laissa pleurer sans l'interrompre, et parla d'autre chose.

      La première personne qui vint s'affliger avec Saint-Aubert fut un M. Barreaux: c'était un homme austère et qui paraissait insensible; le goût de la botanique les avait rapprochés, ils s'étaient souvent rencontrés dans les montagnes. M. Barreaux s'était retiré du monde, et presque de la société pour vivre dans un joli château, à l'entrée des bois et tout près de la vallée. Il avait été, comme Saint-Aubert, cruellement désabusé de l'opinion qu'il avait eue des hommes; mais, comme lui, il ne se bornait pas à s'en affliger et à les plaindre: il sentait plus d'indignation contre leurs vices que de compassion pour leurs faiblesses.

      Saint-Aubert fut surpris de le voir. Souvent il l'avait pressé de visiter sa famille, et n'avait pu l'obtenir: il vint ce jour-là sans cérémonie, sans réserve, et entra dans la maison comme aurait fait un vieil ami. Les besoins du malheur semblaient avoir adouci sa rudesse et renversé ses préjugés. La désolation de Saint-Aubert semblait l'unique idée qui remplît son esprit; ses manières, plus que ses discours, exprimaient son émotion; il parla peu du sujet de leur affliction, mais ses attentions délicates, le son de sa voix, l'intérêt de ses regards, exprimaient le sentiment de son cœur; et ce langage fut entendu.

      A cette douloureuse époque, Saint-Aubert fut visité par madame Chéron, l'unique sœur qui lui restât. Elle était veuve depuis plusieurs années, et habitait alors ses propres terres auprès de Toulouse. Leur correspondance n'avait pas été bien fréquente: les mots ne lui manquèrent pas; elle n'entendait pas cette magie du regard qui parle si bien à l'âme, cette douceur d'accent qui verse un baume au fond du cœur. Elle assura Saint-Aubert qu'elle prenait une part sincère à sa douleur, elle loua les vertus de son épouse, et ajouta ce qu'elle imagina de plus consolant. Emilie ne cessa de pleurer tandis qu'elle parla. Saint-Aubert fut plus calme, écouta en silence, et changea de conversation.

      En les quittant, elle les pria de la venir voir bientôt. Le changement de lieu vous distraira, dit-elle; c'est mal fait de s'affliger ainsi. Saint-Aubert sentit la justesse de ces paroles, mais il sentait plus de répugnance que jamais à quitter un asile consacré par son bonheur. La présence de son épouse avait sanctifié tous les lieux, et chaque jour, en calmant l'amertume de ses regrets, augmentait le charme de ses souvenirs.

      Il y avait pourtant des devoirs à acquitter, et de ce genre était une visite à M. Quesnel, son beau-frère. Une affaire importante ne permettait pas de la différer plus longtemps: désirant d'ailleurs tirer Emilie de son abattement, il prit avec elle la route d'Epourville.

      Quand la voiture entra dans la forêt qui entourait son ancien patrimoine, et qu'il découvrit l'avenue de châtaigniers et les tourelles du château, au souvenir des événements qui s'étaient écoulés dans l'intervalle, à la pensée que le possesseur actuel ne savait ni respecter ni apprécier un tel bien, Saint-Aubert soupira profondément. A la fin, il entra dans l'avenue; il revit ces grands arbres, les délices de son enfance et les confidents

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