Les mystères d'Udolphe. Анна Радклиф

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Les mystères d'Udolphe - Анна Радклиф

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découvrir son chagrin sans désirer aussi d'en découvrir la cause. Elle continua de l'observer en silence, ne doutant point que tous ces papiers ne fussent autant de lettres. Tout d'un coup il se mit à genoux dans une contenance plus solennelle qu'elle ne ne l'eût encore vu; dans une espèce d'égarement qui ressemblait à l'horreur, il fit une très-longue prière.

      Une pâleur mortelle couvrait son visage quand il se releva. Emilie allait se retirer, mais elle le vit se rapprocher des papiers, et elle resta encore. Il y prit une petite boîte, et en tira une miniature; la lumière, qui portait dessus, lui fit distinguer une femme, et cette femme n'était pas sa mère.

      Saint-Aubert regarda le portrait, avec une vive expression de tendresse, le porta à ses lèvres, sur son cœur, et poussa des soupirs convulsifs. Emilie n'en pouvait croire ses yeux; elle ignorait qu'il possédât le portrait d'une autre femme que sa mère, et surtout qu'il y attachât un si grand prix. Elle le regarda longtemps pour trouver les traits de madame Saint-Aubert, mais son attention ne servit qu'à la convaincre que c'était le portrait d'une autre personne. A la fin, Saint-Aubert le remit dans la boîte, et Emilie, réfléchissant qu'elle avait indiscrètement observé ses secrets, se retira le plus doucement possible.

      CHAPITRE III

      Saint-Aubert, au lieu de prendre la route directe qui conduisait en Languedoc, en suivant le pied des Pyrénées, préféra un chemin dans les hauteurs, parce qu'il offrait des vues plus étendues et des points de vue plus pittoresques. Il se détourna un peu pour prendre congé de M. Barreaux; il le trouva herborisant près de son château; et quand Saint-Aubert lui eut expliqué le sujet de sa visite et son dessein, il témoigna une sensibilité dont son ami ne l'avait pas cru capable. Ils se quittèrent avec un mutuel regret.

      Si quelque chose m'avait pu tirer de ma retraite, dit M. Barreaux, c'eût été le plaisir de vous accompagner dans cette petite tournée; je ne fais point de compliments, et vous pouvez me croire. J'attendrai votre retour avec grande impatience.

      Les voyageurs continuèrent leur route; en montant, Saint-Aubert se retourna et vit son château dans la plaine. De tristes idées s'emparèrent de son esprit, et son imagination mélancolique lui suggéra qu'il ne devait point y revenir. Il rejeta cette pensée, mais il continua de regarder son asile, jusqu'au moment où la distance ne permit plus de le distinguer.

      Emilie resta, ainsi que lui, dans un profond silence; mais après quelques lieues, son imagination, frappée de la grandeur des objets, céda aux impressions les plus délicieuses. La route passait tantôt le long d'affreux précipices, tantôt le long des sites les plus gracieux.

      Emilie ne put retenir ses transports, quand, du milieu des montagnes et de leurs forêts de sapins, elle découvrit au loin de vastes plaines qu'ornaient des villes, des vignobles, des plantations en tous genres. La Garonne, dans cette riche vallée, promenait ses flots majestueux et du haut des Pyrénées, où elle prend sa source, les conduisait vers l'Océan.

      La difficulté d'une route si peu fréquentée obligea souvent les voyageurs de mettre pied à terre; mais ils se trouvaient amplement récompensés de leur peine par la beauté du spectacle. Pendant que le muletier conduisait lentement l'équipage, ils avaient le loisir de parcourir les solitudes et de s'y livrer aux sublimes réflexions qui élèvent l'âme, qui l'adoucissent, qui la remplissent enfin de cette consolante certitude qu'il y a un Dieu présent partout. Les jouissances de Saint-Aubert portaient l'empreinte de sa pensive mélancolie. Cette disposition prête un charme secret aux objets et attache un sentiment religieux à la contemplation de la nature.

      Ils s'étaient précautionnés contre le manque d'hôtelleries en portant des provisions dans la voiture; ils pouvaient donc prendre leurs repas en plein air et se reposer la nuit partout où ils trouveraient une chaumière habitable. Ils avaient aussi fait des provisions pour l'esprit; ils avaient un ouvrage de botanique écrit par M. Barreaux, et plusieurs poëtes latins ou italiens. Emilie, d'ailleurs, emportait ses crayons et esquissait par intervalle les points de vue dont elle était le plus frappée.

      La solitude de la route augmentait l'effet de la scène; à peine rencontrait-on de temps en temps un paysan avec ses mules, ou quelques enfants qui jouaient dans les rochers. Saint-Aubert, enchanté de cette manière de voyager, se décida, s'il pouvait trouver un chemin, à avancer toujours dans les montagnes et à n'en sortir qu'en Roussillon, près de la mer, pour gagner ensuite le Languedoc.

      Un peu après midi, ils atteignirent le haut d'un sommet élevé qui dominait une partie de la Gascogne et du Languedoc. On jouissait en ce lieu d'un épais ombrage. Une source jaillissait, et s'enfuyant sous les arbres à travers le gazon, courait se précipiter de cascade en cascade. Son doux murmure enfin se perdait dans l'abîme, et la vapeur blanche de son écume servait seule à distinguer son cours au milieu des noirs sapins.

      Le lieu invitait au repos. On se mit à dîner; on détela les mules, et le gazon qui croissait à l'entour leur fournit une ample nourriture.

      Le repas terminé, Saint-Aubert prit la main d'Emilie et la serra tendrement sans rien dire. Bientôt après, il appela son muletier et lui demanda s'il connaissait une route dans les montagnes qui pût conduire en Roussillon. Michel lui répondit qu'il y en avait plusieurs, mais qu'il les connaissait fort peu. Saint-Aubert, qui ne voulait voyager que jusqu'au coucher du soleil, demanda le nom de quelque hameau voisin, et s'informa du temps qu'ils mettraient à l'atteindre. Le muletier calcula que l'on pouvait gagner Mateau, mais que, si l'on voulait se jeter au sud, du côté du Roussillon, il y avait un village où l'on arriverait avant même le coucher du soleil.

      Saint-Aubert prit ce dernier parti. Michel finit son repas, attela ses mules, se remit en route, et l'instant d'après s'arrêta. Saint-Aubert l'aperçut qu'il saluait une croix plantée sur la pointe d'un rocher au bord du chemin; la dévotion finie, il fit claquer son fouet, et, sans égard ni pour la difficulté du chemin ni pour la vie de ses pauvres mules, il les mit au grand galop au bord d'un précipice dont l'aspect faisait frissonner. L'effroi d'Emilie la priva presque de ses sens. Saint-Aubert, qui redoutait encore plus le danger d'arrêter soudain, fut contraint de se rasseoir et de tout abandonner aux mules, qui parurent plus sages que leur conducteur. Les voyageurs arrivèrent sains et saufs dans la vallée, et s'arrêtèrent sur le bord d'un ruisseau.

      Oubliant désormais la magnificence des vues étendues, ils s'enfoncèrent dans cet étroit vallon. Tout y était solitaire et stérile; on n'y voyait aucune créature vivante que le bouquetin des montagnes, qui, parfois, se montrait tout à coup sur la pointe élancée de quelque rocher inaccessible. C'était un site tel que l'eût choisi Salvator Rosa, s'il eût existé. Alors Saint-Aubert, frappé de cet aspect, s'attendait presque à voir débusquer de quelque caverne voisine une troupe de bandits, et tenait la main sur ses armes.

      Cependant ils avançaient, et la vallée s'élargissait et prenait un caractère moins effrayant. Vers le soir, ils se retrouvèrent sur les montagnes, au milieu des bruyères. Loin, autour d'eux, la clochette des troupeaux, la voix de leur gardien, étaient l'unique son qui se fît entendre, et la demeure des bergers était l'unique habitation qu'on découvrît. Saint-Aubert remarqua que l'yeuse, le liége et le sapin végétaient les derniers au sommet des montagnes. La plus riante verdure tapissait le fond de la vallée. On voyait dans les profondeurs, à l'ombre des châtaigniers et des chênes, paître et bondir de riches troupeaux, dispersés, groupés avec grâce; les uns dormaient près du courant, d'autres y étanchaient leur soif, et quelques-uns s'y baignaient.

      Le soleil commençait à quitter le vallon: ses derniers rayons brillaient sur le torrent et relevaient les riches couleurs du genêt et de la bruyère en fleurs. Saint-Aubert questionna Michel sur la distance du hameau qu'il avait annoncé, mais celui-ci ne put répondre avec exactitude. Emilie commença à craindre qu'il ne les eût égarés: il n'y avait pas un être humain qui pût les secourir ni les conduire. Ils avaient laissé depuis longtemps et le berger et la cabane; le

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