Les Chants de Maldoror. Comte de Lautréamont
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Читать онлайн книгу Les Chants de Maldoror - Comte de Lautréamont страница 13
Cet enfant, qui est assis sur un banc du jardin des Tuileries, comme il est gentil! Ses yeux hardis dardent quelque objet invisible, au loin, dans l'espace. Il ne doit pas avoir plus de huit ans, et, cependant, il ne s'amuse pas, comme il serait convenable. Tout au moins il devrait rire et se promener avec quelque camarade, au lieu de rester seul; mais, ce n'est pas son caractère.
Cet enfant, qui est assis sur un banc du jardin des Tuileries, comme il est gentil! Un homme, mû par un dessein caché, vient s'asseoir à côté de lui, sur le même banc, avec des allures équivoques. Qui est-ce? Je n'ai pas besoin de vous le dire; car, vous le reconnaîtrez à sa conversation tortueuse. Écoutons-les, ne les dérangeons pas:
–A quoi pensais-tu, enfant?
–Je pensais au ciel.
–Il n'est pas nécessaire que tu penses au ciel; c'est déjà assez de penser à la terre. Es-tu fatigué de vivre, toi qui viens à peine de naître?
–Non, mais chacun préfère le ciel à la terre.
–Eh bien, pas moi. Car, puisque le ciel a été fait par Dieu, ainsi que la terre, sois sûr que tu y rencontreras les mêmes maux qu'ici-bas. Après ta mort, tu ne seras pas récompensé d'après tes mérites; car, si l'on te commet des injustices sur cette terre (comme tu l'éprouveras, par expérience, plus tard), il n'y a pas de raison pour que, dans l'autre vie, on ne t'en commette non plus. Ce que tu as de mieux à faire, c'est de ne pas penser à Dieu, et de te faire justice toi-même, puisqu'on te la refuse. Si un de tes camarades t'offensait, est-ce que tu ne serais pas heureux de le tuer?
–Mais, c'est défendu.
–Ce n'est pas si défendu que tu crois. Il s'agit seulement de ne pas se laisser attraper. La justice qu'apportent les lois ne vaut rien; c'est la jurisprudence de l'offensé qui compte. Si tu détestais un de tes camarades, est-ce que tu ne serais pas malheureux de songer qu'à chaque instant tu aies sa pensée devant tes yeux?
–C'est vrai.
–Voilà donc un de tes camarades qui te rendrait malheureux toute ta vie: car, voyant que ta haine n'est que passive, il ne continuera pas moins de se narguer de toi, et de te causer du mal impunément. Il n'y a donc qu'un moyen de faire cesser la situation; c'est de se débarrasser de son ennemi. Voilà où je voulais en venir, pour te faire comprendre sur quelles bases est fondée la société actuelle. Chacun doit se faire justice lui-même, sinon il n'est qu'un imbécile. Celui qui remporte la victoire sur ses semblables, celui-là est le plus rusé et le plus fort. Est-ce que tu ne voudrais pas un jour dominer tes semblables?
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