Les Chants de Maldoror. Comte de Lautréamont

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Les Chants de Maldoror - Comte de Lautréamont

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rubis, tu seras invisible, comme les princes, dans les contes des fées.

      –Remets tes armes quotidiennes dans l'armoire protectrice, pendant que, de mon côté, j'arrange mes affaires.

      –Quand tu le replaceras dans sa position ordinaire, tu reparaîtras tel que la nature t'a formé, ô jeune magicien. Cela, parce que je t'aime et que j'aspire à faire ton bonheur.

      –Va-t'en, qui que tu sois; ne me prends pas par les épaules.

      –Mon fils, ne t'endors point, bercé par les rêves de l'enfance: la prière en commun n'est pas commencée et tes habits ne sont pas encore soigneusement placés sur une chaise … A genoux! Éternel créateur de l'univers, tu montres la bonté inépuisable jusque dans les plus petites choses.

      –Tu n'aimes donc pas les ruisseaux limpides, où glissent des milliers de petits poissons rouges, bleus et argentés? Tu les prendras avec un filet si beau, qu'il les attirera de lui-même, jusqu'à ce qu'il soit rempli. De la surface, tu verras des cailloux brillants, plus polis que le marbre.

      –Mère, vois ces griffes; je me méfie de lui; mais ma conscience est calme, car je n'ai rien à me reprocher.

      –Tu nous vois, prosternés à tes pieds, accablés du sentiment de ta grandeur. Si quelque pensée orgueilleuse s'insinue dans notre imagination, nous la rejetons aussitôt avec la salive du dédain et nous t'en faisons le sacrifice irrémissible.

      –Tu t'y baigneras avec de petites filles, qui t'enlaceront de leurs bras. Une fois sortis du bain, elles te tresseront des couronnes de roses et d'œillets. Elles auront des ailes transparentes de papillon et des cheveux d'une longueur ondulée, qui flottent autour de la gentillesse de leur front.

      –Quand même ton palais serait plus beau que le cristal, je ne sortirais pas de cette maison pour te suivre. Je crois que tu n'es qu'un imposteur, puisque tu me parles si doucement, de crainte de te faire entendre. Abandonner ses parents est une mauvaise action. Ce n'est pas moi qui serais fils ingrat. Quant à tes petites filles, elles ne sont pas si belles que les yeux de ma mère.

      –Toute notre vie s'est épuisée dans les cantiques de ta gloire. Tels nous avons été jusqu'ici, tels nous serons, jusqu'au moment où nous recevrons de toi l'ordre de quitter cette terre.

      –Elles t'obéiront à ton moindre signe et ne songeront qu'à te plaire. Si tu désires l'oiseau qui ne se repose jamais, elles te l'apporteront. Si tu désires la voiture de neige, qui transporte au soleil en un clin d'œil, elles te l'apporteront. Que ne t'apporteraient-elles pas! Elles t'apporteraient même le cerf-volant, grand comme une tour, qu'on a caché dans la lune, et à la queue duquel sont suspendus, par des liens de soie, des oiseaux de toute espèce. Fais attention à toi … écoute mes conseils.

      –Fais ce que tu voudras: je ne veux pas interrompre ma prière, pour appeler au secours. Quoique ton corps s'évapore, quand je veux l'écarter, sache que je ne te crains pas.

      –Devant toi, rien n'est grand, si ce n'est la flamme exhalée d'un cœur pur.

      –Réfléchis à ce que je t'ai dit, si tu ne veux pas t'en repentir.

      –Père céleste, conjure, conjure les malheurs qui peuvent fondre sur notre famille.

      –Tu ne veux donc pas te retirer, mauvais esprit?

      –Conserve cette épouse chérie, qui m'a consolé dans mes découragements …

      –Puisque tu me refuses, je te ferai pleurer et grincer des dents comme un pendu.

      –Et ce fils aimant, dont les chastes lèvres s'entr'ouvrent à peine aux baisers de l'aurore de vie.

      –Mère, il m'étrangle … Père, secourez-moi … Je ne puis plus respirer … Votre bénédiction!

      Un cri d'ironie immense s'est élevé dans les airs. Voyez comme les aigles, étourdis, tombent du haut des nuages, en roulant sur eux-mêmes, littéralement foudroyés par la colonne d'air.

      –Son cœur ne bat plus … Et celle-ci est morte, en même temps que le fruit de ses entrailles, fruit que je ne reconnais plus, tant il est défiguré … Mon épouse!… Mon fils!… Je me rappelle un temps lointain où je fus époux et père.

      Il s'était dit, devant le tableau qui s'offrit à ses yeux, qu'il ne supporterait pas cette injustice. S'il est efficace, le pouvoir que lui ont accordé les esprits infernaux, ou plutôt qu'il tire de lui-même, cet enfant, avant que la nuit s'écoule, ne devait plus être.

      Celui qui ne sait pas pleurer (car il a toujours refoulé la souffrance en dedans) remarqua qu'il se trouvait en Norwège. Aux îles Faeroé, il assista à la recherche des nids d'oiseaux de mer, dans les crevasses à pic, et s'étonna que la corde de trois cents mètres, qui retient l'explorateur au-dessus du précipice, fût choisie d'une telle solidité. Il voyait là, quoi qu'on dise, un exemple frappant de la bonté humaine, et il ne pouvait en croire ses yeux. Si c'était lui qui eût dû préparer la corde, il aurait fait des entailles en plusieurs endroits, afin qu'elle se coupât, et précipitât le chasseur dans la mer! Un soir, il se dirigea vers un cimetière, et les adolescents qui trouvent du plaisir à violer les cadavres de belles femmes mortes depuis peu, purent, s'ils le voulurent, entendre la conversation suivante, perdue dans le tableau d'une action qui va se dérouler en même temps.

      –N'est-ce pas, fossoyeur, que tu voudras causer avec moi? Un cachalot s'élève peu à peu du fond de la mer, et montre sa tête au-dessus des eaux, pour voir le navire qui passe dans ses parages solitaires. La curiosité naquit avec l'univers.

      –Ami, il m'est impossible d'échanger des idées avec toi. Il y a longtemps que les doux rayons de la lune font briller le marbre des tombeaux. C'est l'heure silencieuse où plus d'un être humain rêve qu'il voit apparaître des femmes enchaînées, traînant leurs linceuls, couverts de taches de sang, comme un ciel noir, d'étoiles. Celui qui dort pousse des gémissements, pareils à ceux d'un condamné à mort, jusqu'à ce qu'il se réveille, et s'aperçoive que la réalité est trois fois pire que le rêve. Je dois finir de creuser cette fosse, avec ma bêche infatigable, afin qu'elle soit prête demain matin. Pour faire un travail sérieux, il ne faut pas faire deux choses à la fois.

      –Il croit que creuser une fosse est un travail sérieux! Tu crois que creuser une fosse est un travail sérieux?

      –Lorsque le sauvage pélican se résout à donner sa poitrine à dévorer à ses petits, n'ayant pour témoin que celui qui sut créer un pareil amour, afin de faire honte aux hommes, quoique le sacrifice soit grand, cet acte se comprend. Lorsqu'un jeune homme voit, dans les bras de son ami, une femme qu'il idolâtrait, il se met alors à fumer un cigare; il ne sort pas de la maison, et se noue d'une amitié indissoluble avec la douleur; cet acte se comprend. Quand un élève interne, dans un lycée, est gouverné, pendant des années, qui sont des siècles, du matin jusqu'au soir et du soir jusqu'au lendemain, par un paria de la civilisation, qui a constamment les yeux sur lui, il sent les flots tumultueux d'une haine vivace, monter comme une épaisse fumée, à son cerveau, qui lui paraît près d'éclater. Depuis le moment où on l'a jeté dans la prison, jusqu'à celui, qui s'approche, où il en sortira, une fièvre intense lui jaunit la face, rapproche ses sourcils, et lui creuse les yeux. La nuit, il réfléchit, parce qu'il ne veut pas dormir. Le jour, sa pensée s'élance au-dessus des murailles de la demeure de l'abrutissement, jusqu'au moment où il s'échappe, ou qu'on le rejette, comme un pestiféré, de ce cloître éternel; cet acte se comprend. Creuser une fosse dépasse souvent les forces de la nature. Comment veux-tu, étranger, que la pioche remue cette terre, qui d'abord nous nourrit, et puis nous donne un lit commode, préservé du vent de l'hiver soufflant avec furie dans ces froides

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