Correspondance, 1812-1876. Tome 4. Жорж Санд
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A présent, la pièce vaut-elle quelque chose ou rien du tout? Je ne sais pas, vous me le direz; car, à force d'y regarder, je n'y vois plus goutte. La recevra-t-on? ça n'est pas sûr: on a peut-être dit non d'avance.
Ah! j'oubliais: mademoiselle Dubois a du talent, n'est-ce pas? son rôle est des plus importants. J'ai reçu la prime. Je vous remercie d'avoir été un si joli homme d'affaires. Et, sur ce, ma belle et bonne enfant, je vous embrasse et je vous aime. Aimez-moi aussi comme une bonne fille à moi, que vous êtes.
GEORGE SAND.
CCCXCIX
A M. ALEXANDRE DUMAS FILS, A PARIS
Nohant, 26 novembre 1855.
Mon cher enfant, je suis bien contente de recevoir de vos nouvelles. Je ne demande qu'à vous être agréable, et j'ai déjà destiné un de mes rôles à mademoiselle Dubois, que vous m'avez recommandée l'année dernière. Je ne connais pas M. Bâche19, je ne l'ai jamais vu. Si vous ne l'avez pas recommandé par complaisance et si vous vous intéressez véritablement à lui, vous voilà forcé de me répondre; car je vous demande: Est-il grand, petit, gros, jeune, vieux, gai, sérieux? Ferait-il, par exemple, un grand seigneur louche de regard et de caractère, ou un valet fripon? Aurait-il la prétention d'un grand rôle ou en accepterait-il un petit? Enfin a-t-il vraiment de la composition et de l'originalité?
Vous me faites compliment de Favilla; moi, je ne vous ai pas vu depuis le Demi-Monde; vous n'étiez pas à Paris, je crois, quand j'ai vu la pièce. C'est un chef-d'oeuvre d'habileté, d'esprit et d'observation. C'est bien un progrès comme science du théâtre et de la vie, et pourtant j'aimais mieux Diane et Marguerite, parce que j'aime les pièces où je pleure. J'aime le drame plus que la comédie, et, comme une bonne femme, je veux me passionner pour un des personnages. Je regrettais que la jeune fille du Demi-Monde fût si peu développée après avoir été si bien posée, et que cette scélérate, si vraie, d'ailleurs et si bien jouée, fût le personnage absorbant de la pièce. Je sais bien qu'après avoir fait la Dame aux Camélias intéressante, vous deviez faire le revers de la médaille. L'art veut ces études impartiales et ces contrastes qui sont dans la vie. Aussi ce n'est pas une critique que je fais. Je vous tiens toujours pour le premier des auteurs dramatiques dans le genre nouveau, dans la manière d'aujourd'hui, comme votre père est le premier dans le genre d'hier. Moi, je suis du genre d'avant-hier ou d'après-demain, je ne sais pas et peu importe. Je m'amuse à ce que je fais; mais je m'amuse encore mieux à ce que vous faites, et vos pièces sont pour moi des événements de coeur et d'esprit. Me ferez-vous pleurer la prochaine fois? Si vous êtes dans cette veine-là, je vous promets de ne, pas m'en priver. Pourquoi est-ce que je ne vous vois pas quand je vais à Paris? C'est que vous n'avez pas le temps de me savoir là, et que, moi, je n'ai pas le temps de savoir si vous y êtes. C'est ici que vous devriez venir me voir, à Nohant. Vous auriez le temps d'y travailler et nous aurions les heures de récréation pour causer. Prenez donc ce parti-là un de ces jours, si vous m'aimez un peu, moi qui vous aime tant. Je vous envoie aussi les amitiés de Maurice, et je vous prie de dire mes tendresses à votre père. Pourquoi ne voit-on rien de lui? on aurait besoin de cela. Le drame héroïque n'a fini que parce que les maîtres l'ont quitté. Si vous me répondez et que vous ayez des nouvelles fraîches de Montigny, donnez-m'en. Et ce pauvre Villars, nous l'avons tué en ne lui donnant pas les premiers rôles. Mais est-ce notre faute?
GEORGE SAND.
CD
A M. PAUL DE SAINT-VICTOR, A PARIS
Paris, 9 janvier 1856.
M. de Girardin me dit que je ne serai pas refusée. Donc, je m'enhardis, monsieur, à vous demander de venir dîner, avec lui et madame Arnould, chez moi, vendredi prochain, à six heures. Quand je dis chez moi, c'est une métaphore: je n'ai pas de chez moi à Paris; mais, pourvu qu'on dîne ensemble, vous me pardonnerez de vous traiter en artiste. C'est un prétexte pour moi, je vous prie de le croire, et je vous prie de vouloir bien en être dupe, et de me dire oui.
GEORGE SAND.
De chez M. de Girardin.
CDI
AU MÊME
Paris,
Je viens de remercier Théophile Gautier de son bon article, et je vous remercie aussi du vôtre, cher monsieur20. Je passe par-dessus un scrupule de conscience qui m'a toujours empêchée de remercier la critique. Mais, comme vous comprenez d'où venait ce scrupule, vous comprendrez également pourquoi il disparaît vis-à-vis de vous.
Il y a une sotte fierté dont on est accusé par ceux qui n'en ont pas d'autre; il y en a une vraie sur laquelle ne se méprennent pas les caractères élevés. C'est pourquoi je vous dis avec confiance que je me sens encouragée par votre sympathie et que j'en suis reconnaissante.
Si la répétition générale de Comme il vous plaira vous inspire un peu d'intérêt, je serai reconnaissante aussi de vous y voir venir;
Bien à vous,
GEORGE SAND.
CDII
A MADAME AUGUSTINE DE BERTHOLDI, A BRINON-LES-ALLEMANDS, PAR CLAMECY
Paris, 13 avril 1856.
Chère fille, c'est moi qui te trouve oublieuse! sans Eugénie, je n'aurais eu qu'une fois de tes nouvelles depuis ton retour à Brinon. Ce n'est pas parce que je ne te réponds pas (tu sais trop la vie que je mène ici) que tu fais bien de me laisser apprendre par les autres comment tu te portes. Tu n'as que trop de temps pour écrire, tu écris à tout le monde, tu fais même des mariages, et, moi, tu me plantes là. C'est donc toi, petite fille, qui es grondée, pour t'apprendre à me grogner comme tu fais.
Quant au mariage en question, je crois qu'il est très bien assorti et qu'il sera heureux. Je l'ai appris avec grand plaisir, et je m'en réjouis pour les deux familles.
Je ne sais si tu as revu les Girerd depuis leur voyage ici; ils t'auraient dit, bécasse, que je ne t'oubliais pas et que nous avions énormément parlé de toi.
Je t'écris ce soir en revenant du Théâtre-Français. On vient déjouer mon Comme il vous plaira, tiré et imité de Shakspeare.
La pièce a été médiocrement jouée par la plupart des acteurs. Les décors et les costumes splendides, le public très hostile, composé de tous les ennemis de la maison et du dehors. Néanmoins, le succès s'est imposé sans que personne ait pu marquer sa malveillance, et Shakspeare a triomphé plus que je n'y comptais. Moi, j'ai trouvé le public bête et froid; mais tout le monde dit qu'il a été très chaud pour un public de première représentation à ce théâtre, et tous mes amis sont enchantés.
Françoise
19
Bâche le comédien.
20
Sur