Correspondance, 1812-1876. Tome 4. Жорж Санд

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Correspondance, 1812-1876. Tome 4 - Жорж Санд

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les Vacances de Pandolphe, le personnage principal est un professeur de droit, un bourgeois pur et simple, un misanthrope bienfaisant, qui aime paternellement et qui est finalement aimé.

      Dans le Pressoir, ce sont des artisans. Vous les avez trouvés trop vertueux, trop dévoués, trop intelligents. Et pourtant, à propos de Flaminio, où il n'y a pas de bourgeois, vous disiez plus tard: «Artiste, à la bonne heure. Artisan vaut mieux. Minerve Artisane est un des noms grecs de Minerve.»

      Je n'ai pas lu ce que vous avez écrit sur Mauprat. Là, il n'y a ni bourgeois ni artiste. Je ne sais pas sur quoi a porté le réquisitoire de votre éloquence indignée.

      Nous voici à Favilla. C'est bien, en effet, maintenant et pour la première fois qu'un artiste et un artisan sont aux prises. Il vous a plu de faire une analyse infidèle de ma pièce, vous armant d'une première version qui a été imprimée et non publiée en Belgique.

      Vous n'avez, je crois, ni vu jouer ni lu la pièce représentée et publiée, et vous racontez, vous citez celle qui n'a été ni publiée ni représentée. Ce procédé de critique n'est loyal ni envers l'auteur, ni envers le public, ni envers vous-même mon cher confrère, et si vous n'étiez gravement affecté, ce que je regrette et déplore sans en savoir la cause, vous n'agiriez pas ainsi.

      Que je n'aie pas été satisfaite de ma pièce de la Baronnie de Muhldorf17, cela est certain, puisque je l'ai refaite à peu près entière; que le caractère du bourgeois Keller y fût trop durement accusé au point de vue de l'art, cela n'est pas douteux, puisque j'ai changé ce caractère, essentiellement.

      Je dis au point de vue de l'art; car, au point de vue moral, la bourgeoisie n'était pas là plus gravement offensée qu'elle ne l'est dans Maître Favilla. Eussé-je fait du père Keller un monstre, le fils Keller n'en restait pas moins un noble coeur, et même, dans ma première ébauche, ce dernier personnage était plus développé et plus actif.

      Aucun de mes coreligionnaires à moi (car je suis de la religion de l'égalité chrétienne, et plusieurs pensent comme moi) ne m'eût reproché de lui montrer un jeune bourgeois enthousiaste et généreux. Pourquoi ceux qui professent la doctrine de l'autorité par la richesse eussent-ils trouvé mauvais qu'un gros bourgeois dur et vicieux leur fût présenté? Quelle haine veut-on chercher dans les enseignements de l'art? Sommes-nous au temps de Tartufe, où il n'était point permis de montrer la figure de l'hypocrite? Mais, au temps même de Tartufe, les vrais chrétiens ne voyaient dans ce scélérat qu'une ombre favorable à la vraie lumière. Je serais tentée de croire, mon cher confrère, que vous ne croyez pas aux vertus de la bourgeoisie, et que, prenant ses travers plus au sérieux que je ne le fais, vous allez, un de ces matins, me forcer d'embrasser sa défense.

      J'ai donc dit qu'au point de vue de l'art, ma première esquisse du bourgeois Keller m'avait paru trop sèchement dessinée. C'était une figure trop noire dans un tableau dont je voulais rendre l'effet général doux et sentimental. Je travaille avec beaucoup plus de conscience qu'il ne plaît à votre charité fraternelle de vouloir bien le supposer. Ceux qui me voient travailler le savent, et le public, quoi qu'il vous en semble, veut bien aussi s'en apercevoir; car il accorde des larmes sympathiques à ce fou impossible de Favilla et des sourires attendris aux bons retours de ce terrible, Keller, qui n'est à tout prendre que ridicule. Voyez le grand crime! supposer qu'un ancien marchand de toile puisse ne pas comprendre la musique, ne pas aimer les artistes, ne pas distinguer à première vue une honnête femme d'une bohémienne, ne pas vouloir manger tout son revenu en aumônes ou en libéralités seigneuriales, enfin ne pas marier son fils sans hésiter à une fille qui n'a rien que ses beaux yeux! Voilà, en effet, une condamnation du bourgeois bien cruelle, bien acerbe, bien amère, bien systématique! La haine systématique, voilà le reproche que je repousse, mon cher confrère; car je ne vois pas l'honneur qui vous revient de professer un tel sentiment contre les artistes. Combien de fois, en d'autres temps, n'avez-vous pas fait gloire d'appartenir à cette race du sentiment et de l'inspiration! et pourquoi cette horreur du comédien affichée par vous à propos de Flaminio, vous qui avez découvert et illustré l'illustre paillasse Deburau? Qui donc vous a blessé ainsi, et pourquoi reniez-vous votre destinée, qui est de voir, de comprendre et d'aimer le théâtre? Je pourrais bien vous mettre cent fois pour une en contradiction avec vous-même, en vous citant à vous-même; mais ce n'est pas pour lutter contre votre judiciaire artistique que je vous écris, c'est pour vous dire: Laissez tomber sous vos pieds ces dépits qui vous troublent, et ne commettez pas d'injustices volontaires, quant à la morale des choses. Ma morale, à moi, c'est la seule force que je revendique contre des arrêts irréfléchis, et, puisque vous ne la sentez pas, il est utile, une fois pour toutes, que je vous la dise.

      C'est une moralité du coeur, qui m'est venue surtout avec l'âge. Ceci n'est pas une fantaisie, comme vous l'appelez, c'est un sentiment très profond et très salutaire de ce que les hommes se doivent les uns aux autres en tout temps et en tout lieu, derrière les coulisses d'un théâtre comme au comptoir d'une boutique, à la clarté, du soleil qui éclaire les doux rêves du poète comme à celle de la lampe qui éclaire les veilles contemplatives du savant, du philosophe, du spéculateur ou du critique. Voyez-vous, mon cher confrère, vous avez trop veillé à cette lampe pour connaître les hommes: vous ne connaissez plus que le papier écrit, et vous prononcez sur le fond quand vous ne devriez prononcer que sur la forme. Là, en fait de forme, vous ayez été souvent un maître. Nourri de belles lectures et brillant d'érudition, vous avez écrit des pages exquises quand vous étiez, sans passion et, sans prévention. Mais vous n'avez rien d'un philosophe. Et, pour arriver à être un critique complet, il faudrait un peu de philosophie. Vous faites de la critique en artiste, avec des émotions, des boutades, des accès de poésie et des accès de spleen. Je ne me plains pas quand je vous lis: je talent que vous avez—quand vous ne vous pressez pas trop—désarme le jugement, dont vous froissez parfois les notions vraies. On s'écrie à chaque page: «Artiste, artiste, et non pas artisan! Muse de théâtre et de poésie, et non pas Minerve Artisane! jamais bourgeois, quoi qu'il dise et quoi qu'il fasse; car le bourgeois, dans son bon et beau type, est sage, équitable et conséquent. A celui-ci le lourd marteau de la logique; à l'autre la marotte brillante de la fantaisie.»

      Vous ne connaissez plus les hommes quand vous essayez de les parquer en classes distinctes, en artisans, en artistes, en bourgeois, en rêveurs, en bohémiens, en sages, en fous, et même en riches et en pauvres. Toutes ces démarcations étaient bonnes, il y a dix ans, et, si nous n'avons gardé la tradition dans nos façons de parler, c'est par habitude. Ouvrons, les yeux sur la société présente. Dans ces dernières agitations politiques, toutes ses notions, toutes ses habitudes, tous ses destins se sont brouillés comme les cartes se brouillent dans les mains du grand joueur qui est le progrès.

      Oui, le progrès quand même est toujours plus rapide au milieu du trouble qu'au sein du repos. Je connais vos opinions et vous connaissez les miennes; elles sont divergentes, mais elles n'ont rien à voir ici.

      Il s'est fait un grand ébranlement dans les moeurs et dans les idées. Est-ce que vous n'avez pas senti la terre trembler sous nos pieds et le ciel vaciller sur nos têtes, rêveur et fantaisiste que vous êtes? Ne voyez-vous pas que les choses et les hommes ont changé? La fortune aveugle et passive n'a-t-elle pas déraillé comme une machine qu'aucune main humaine ne peut gouverner? Qui sont les riches et qui sont les pauvres, selon vous, aujourd'hui? Selon vous, les riches sont les sages, les pauvres sont les fous. Eh bien, voilà une erreur qui vous abandonnerait si vous regardiez hors de vos livres et de vos souvenirs. Le travail, le commerce, l'économie, le calcul, la raison, c'étaient là, en effet, du temps de Keller, des sources presque certaines de gain, de succès et de sécurité. A présent, c'est le hasard, la mode, la vogue, l'audace, la chance, qui seules décident des destinées du riche. Le bourgeois que notre mémoire a embaumé et que votre imagination veut faire revivre n'existe plus. Ce bourgeois-là, qui compte, chaque soir, les honnêtes et modestes profits du

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<p>17</p>

Titre primitif de Maître Favilla.