Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке. Андре Жид
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Читать онлайн книгу Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке - Андре Жид страница 6
– Tu trouves que j’aurais dû leur demander la permission, hein?
Le ton de sa voix était si froidement ironique qu’Olivier sentit aussitôt l’absurdité de sa question. Il n’a pas encore compris que Bernard est parti “pour de bon”; il croit qu’il n’a l’intention de découcher que ce seul soir et ne s’explique pas bien le motif de cette équipée. Il l’interroge: – Quand Bernard compte-t-il rentrer? – Jamais! – Le jour se fait dans l’esprit d’Olivier. Il a grand souci de se montrer à la hauteur des circonstances et ne se laisser surprendre par rien; pourtant un: “C’est énorme, ce que tu fais là” lui échappe.
Il ne déplaît pas à Bernard d’étonner un peu son ami; il est surtout sensible à ce qui perce d’admiration dans cette interjecion; mais il hausse de nouveau les épaules. Olivier lui a pris la main; il est très grave; il demande anxieusement:
– Mais… pourquoi t’en vas-tu?
– Ah! ça, mon vieux, c’est des affaires de famille. Je ne peux pas te le dire. Et pour ne pas avoir l’air trop sérieux, il s’amuse, du bout de son soulier, à faire tomber la babouche qu’Olivier balance au bout de son pied, car ils se sont assis au bord du lit.
– Alors où vas-tu vivre?
– Je ne sais pas.
– Et avec quoi?
– On verra ça.
– Tu as de l’argent?
– De quoi déjeuner demain.
– Et ensuite?
– Ensuite il faudra chercher. Bah! je trouverai bien quelque chose. Tu verras; je te raconterai.
Olivier admire immensément son ami. Il le sait de caraâère résolu; pourtant, il doute encore; à bout de ressources et pressé par le besoin bientôt, ne va-t-il pas chercher à rentrer? Bernard le rassure: il tentera n’importe quoi plutôt que de retourner près des siens. Et comme il répète à plusieurs reprises et toujours plus sauvagement: n’importe quoi – une angoisse étreint le coeur d’Olivier. Il voudrait parler, mais il n’ose. Enfin, il commence, en baissant la tête et d’une voix mal assurée:
– Bernard… tout de même, tu n’as pas l’intention de… Mais il s’arrête. Son ami lève les yeux et, sans bien voir Olivier, distingue sa confusion.
– De quoi? demande-t-il. Qu’est-ce que tu veux dire? Parle. De voler?
Olivier remue la tête. Non, ce n’est pas cela. Soudain il éclate en sanglots; il étreint convulsivement Bernard.
Promets que tu ne te…
Bernard l’embrasse, puis le repousse en riant. Il a compris:
– Ça, je te le promets. Non, je ne ferai pas le marlou. Et il ajoute: – Avoue tout de même que ça serait le plus simple. Mais Olivier se sent rassuré; il sait bien que ces derniers mots ne sont dits que par affectation de cynisme.
– Ton examen?
– Oui; c’est ça qui m’embête. Je ne voudrais tout de même pas le rater. Je crois que je suis prêt; c’est plutôt une question de ne pas être fatigué ce jour-là. Il faut que je me tire d’affaire très vite. C’est un peu risqué; mais… je m’en tirerai; tu verras.
Ils restent un instant silencieux. La seconde babouche est tombée. Bernard:
– Tu vas prendre froid. Recouche-toi.
– Non, c’est toi qui vas te coucher.
– Tu plaisantes! Allons, vite – et il force Olivier à rentrer dans le lit défait.
– Mais toi? Où vas-tu dormir?
– N’importe où. Par terre. Dans un coin. Il faut bien que je m’habitue.
– Non, écoute. Je veux te dire quelque chose, mais je ne pourrai pas si je ne te sens pas tout près de moi. Viens dans mon lit. Et après que Bernard, qui s’est en un instant dévêtu, l’a rejoint: – Tu sais, ce que je t’avais dit l’autre fois… Ça y est. J’y ai été.
Bernard comprend à demi-mot. Il presse contre lui son ami, qui continue:
– Eh bien! mon vieux, c’est dégoûtant. C’est horrible… Après, j’avais envie de cracher, de vomir, de m’arracher la peau, de me tuer.
– Tu exagères.
– Ou de la tuer, elle…
– Qui était-ce? Tu n’as pas été imprudent, au moins?
– Non, c’est une gonzesse que Dhurmer connaît bien; à qui il m’avait présenté. C’est surtout sa conversation qui m’écoeurait. Elle n’arrêtait pas de parler. Et ce qu’elle est bête! Je ne comprends pas qu’on ne se taise pas à ces moments-là. J’aurais voulu la bâillonner, l’étrangler…
– Mon pauvre vieux! Tu devrais pourtant bien penser que Dhurmer ne pouvait t’offrir qu’une idiote… Était-elle belle, au moins?
– Si tu crois que je l’ai regardée!
– Tu es un idiot. Tu es un amour. Dormons… Est-ce qu’au moins tu as bien…
– Parbleu! C’est bien ça qui me dégoûte le plus: c’est que j’aie pu tout de même… tout comme si je la désirais.
– Eh bien! mon vieux, c’est épatant.
– Tais-toi donc. Si c’est ça l’amour, j’en ai soupe pour longtemps.
– Quel gosse tu fais!
– J’aurais voulu t’y voir.
– Oh! moi, tu sais, je ne cours pas après. Je te l’ai dit: j’attends l’aventure. Comme ça, froidement, ça ne me dit rien. N’empêche que si je…
– Que si tu…
– Que si elle… Rien. Dormons. Et brusquement il tourne le dos, s’écartant un peu de ce corps dont la chaleur le gêne. Mais Olivier, au bout d’un instant:
– Dis… tu crois que Barrés sera élu?
– Parbleu!… Ça te congestionne!
– Je m’en fous! Dis… Écoute un peu… Il pèse sur l’épaule de Bernard qui se retourne. – Mon frère a une maîtresse.
– Georges?
Le petit, qui fait semblant de dormir, mais qui écoute tout, l’oreille tendue dans le noir, en entendant son nom, retient son souffle.
– Tu es fou! Je te parle de Vincent. (Plus âgé qu’Olivier, Vincent vient d’achever ses premières années de médecine).
– Il te l’a dit?
– Non. Je l’ai appris sans qu’il s’en doute. Mes parents