Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке. Андре Жид

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Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке - Андре Жид Littérature contemporaine

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appris, toi?

      – Voici: depuis quelque temps Vincent sort la nuit, après que mes parents sont couchés. Il fait le moins de bruit qu’il peut en descendant, mais je reconnais son pas dans la rue. La semaine dernière, mardi je crois, la nuit était si chaude que je ne pouvais pas rester couché. Je me suis mis à la fenêtre pour respirer mieux. J’ai entendu la porte d’en bas s’ouvrir et se refermer. Je me suis penché, et quand il a passé près du réverbère, j’ai reconnu Vincent. Il était minuit passé. C’était la première fois. Je veux dire: la première fois que je le remarquais. Mais, depuis que je suis averti, je surveille – oh! sans le vouloir… et presque chaque nuit, je l’entends sortir. Il a sa clef et mes parents lui ont arrangé notre ancienne chambre, à Georges et à moi, en cabinet de consultation, pour quand il aura de la clientèle. Sa chambre est à côté, à gauche du vestibule, tandis que le reste de l’appartement est à droite. Il peut sortir et rentrer quand il veut, sans qu’on le sache. D’ordinaire, je ne l’entends pas rentrer, mais avant-hier, lundi soir, je ne sais ce que j’avais; je songeais au projet de revue de Dhurmer… Je ne pouvais pas m’endormir. J’ai entendu des voix dans l’escalier; j’ai pensé que c’était Vincent.

      – Il était quelle heure? demande Bernard, non tant par désir de le savoir que pour marquer son intérêt.

      – Trois heures du matin, je pense. Je me suis levé et j’ai mis mon oreille contre la porte. Vincent causait avec une femme. Ou plutôt c’était elle seule qui parlait.

      – Alors comment savais-tu que c’était lui? Tous les locataires passent devant ta porte.

      – C’est même rudement gênant quelquefois: plus il est tard, plus ils font de chahut en montant; ce qu’ils se fichent des gens qui dorment!… Ça ne pouvait être que lui; j’entendais la femme répéter son nom. Elle lui disait… oh! ça me dégoûte de redire ça…

      – Va donc.

      – Elle lui disait: “Vincent, mon amant, mon amour, ah! ne me quittez pas!”

      – Elle lui disait vous?

      – Oui. N’est-ce pas que c’est curieux?

      – Raconte encore.

      – “Vous n’avez plus le droit de m’abandonner à présent. Que voulez-vous que je devienne? Où voulez-vous que j’aille? Dites-moi quelque chose. Oh! parlez-moi.” – Et elle l’appelait de nouveau par son nom et répétait: “Mon amant, mon amant”, d’une voix de plus en plus triste et de plus en plus basse. Et puis j’ai entendu un bruit (ils devaient être sur les marches) – un bruit comme de quelque chose qui tombe. Je pense qu’elle s’est jetée à genoux.

      – Et lui, il ne répondait rien?

      – Il a dû monter les dernières marches; j’ai entendu la porte de l’appartement qui se refermait. Et ensuite elle est restée longtemps tout près, presque contre ma porte. Je l’entendais sangloter.

      – Tu aurais dû lui ouvrir.

      – Je n’ai pas osé. Vincent serait furieux s’il savait que je suis au courant de ses affaires. Et puis j’ai eu peur qu’elle ne soit très gênée d’être surprise en train de pleurer. Je ne sais pas ce que j’aurais pu lui dire.

      Bernard s’était retourné vers Olivier.

      – A ta place, moi, j’aurais ouvert.

      – Oh! parbleu, toi tu oses toujours tout. Tout ce qui te passe par la tête, tu le fais.

      – Tu me le reproches?

      – Non, je t’envie.

      – Tu vois qui ça pouvait être, cette femme?

      – Comment veux-tu que je sache? Bonne nuit.

      – Dis… tu es sûr que Georges ne nous a pas entendus? chuchote Bernard à l’oreille d’Olivier. Ils restent un moment aux aguets.

      – Non, il dort, reprend Olivier de sa voix naturelle; et puis il n’aurait pas compris. Sais-tu ce qu’il a demandé, l’autre jour, à papa?… Pourquoi les…

      Cette fois Georges n’y tient plus; il se dresse à demi sur son lit et coupant la parole à son frère:

      – Imbécile, crie-t-il; tu n’as donc pas vu que je faisais exprès?… Parbleu, oui, j’ai entendu tout ce que vous avez dit tout à l’heure; oh! c’est pas la peine de vous frapper. Pour Vincent je savais ça déjà depuis longtemps. Seulement, mes petits, tâchez maintenant de parler plus bas, parce que j’ai sommeil. Ou taisez-vous.

      Olivier se tourne du côté du mur. Bernard, qui ne dort pas, contemple la pièce. Le clair de lune la fait paraître plus grande. Au fait, il la connaît à peine. Olivier ne s’y tient jamais dans la journée; les rares fois qu’il a reçu Bernard, c’a été dans l’appartement du dessus. Le clair de lune touche à présent le pied du lit où Georges enfin s’est endormi; il a presque tout entendu de ce qu’a raconté son frère; il a de quoi rêver. Au-dessus du lit de Georges, on distingue une petite bibliothèque à deux rayons, où sont des livres de classe. Sur une table, près du lit d’Olivier, Bernard aperçoit un livre de plus grand format; il étend le bras, le saisit pour regarder le titre: – Tacqueville; mais quand il veut le reposer sur la table, le livre tombe et le bruit réveille Olivier.

      – Tu lis du Tocqueville, à présent?

      – C’est Dubac qui m’a prêté ça.

      – Ça te plaît?

      – C’est un peu rasoir. Mais il y a des choses très bien.

      – Écoute. Qu’est-ce que tu fais demain?

      Le lendemain, jeudi, les lycéens sont libres. Bernard songe à retrouver peut-être son ami. Il a l’intention de ne plus retourner au lycée; il prétend se passer des derniers cours et préparer son examen tout seul.

      – Demain, dit Olivier, je vais à onze heures et demie à la gare Saint-Lazare, pour l’arrivée du train de Dieppe, à la rencontre de mon oncle Edouard qui revient d’Angleterre. L’après-midi, à trois heures, j’irai retrouver Dhurmer au Louvre. Le reste du temps il faut que je travaille.

      – Ton oncle Edouard?

      – Oui, c’est un demi-frère de maman. Il est absent depuis six mois, et je ne le connais qu’à peine; mais je l’aime beaucoup. Il ne sait pas que je vais à sa rencontre et j’ai peur de ne pas le reconnaître. Il ne ressemble pas du tout au reste de ma famille; c’est quelqu’un de très bien.

      – Qu’est-ce qu’il fait?

      – Il écrit. J’ai lu presque tous ses livres; mais voici longtemps qu’il n’a plus rien publié.

      – Des romans?

      – Oui; des espèces de romans.

      – Pourquoi est-ce que tu ne m’en as jamais parlé?

      – Parce que tu aurais voulu les lire; et si tu ne les avais pas aimés…

      – Eh bien! achève.

      – Eh bien, ça m’aurait fait de la peine. Voilà.

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