Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449. Anonyme
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Le dimanche 8 février, un sermon fut prêché à Saint-Nicolas-des-Champs, par un religieux jacobin, qui exposa «en quel inconvenient de conscience s'estoient mis ceulx qui avoient fait ung libelle diffamatoire.» Suivant le compte du receveur de Saint-Martin-des-Champs [20], auquel nous empruntons ces détails, après le sermon le prieur de Saint-Martin fit offrir une collation au prédicateur «en attendant le disner, en l'ostel du Gros Tournois, devant l'eglise de Sainct Nicolas.» Toutes ces particularités, qui ne présentent à nos yeux qu'un intérêt très restreint, avaient une tout autre importance dans le milieu où vivait un homme d'église du XVe siècle. Pour le curé de Saint-Nicolas-des-Champs, l'apposition d'un libelle diffamatoire dans son église, le sermon prêché par ce jacobin, étaient autant d'événements de nature à produire impression sur son esprit et qu'il n'eût pas manqué de rappeler dans sa chronique.
Or, comme il est facile de s'en convaincre, l'auteur du Journal parisien, pour toute l'année 1439, ne mentionne même pas l'église de Saint-Nicolas-des-Champs, pas plus qu'il ne s'en occupe en 1440 et 1441, au moment où le curé Beaurigout était en procès avec son évêque. Nous touchons ici au principal argument, dont s'est servi M. Longnon, pour justifier l'attribution du Journal parisien à Jean Beaurigout; à première vue, il paraît décisif, tellement le jugement sévère porté par notre chroniqueur sur l'évêque de Paris cadre bien avec l'animosité que Beaurigout devait nourrir à cette époque contre Denis du Moulin, son adversaire en cour du Parlement. Mais, en relisant le passage sur lequel s'appuie M. Longnon et que ce critique reproduit en entier dans ses Conjectures, on constate facilement qu'il comprend plusieurs détails sans lien aucun avec le procès soutenu par Jean Beaurigout au Parlement de Paris; ce n'est que très incidemment, en effet, que l'auteur du Journal arrive à dire que Denis du Moulin «avoit plus de cinquante procès au Parlement et que de lui n'avoit on rien sans procès.» Par quel enchaînement d'idées cette réflexion est-elle amenée, s'agit-il dans ce qui précède de l'église de Saint-Nicolas-des-Champs et de son curé? Nullement, le chroniqueur commence par nous apprendre qu'en 1440, le cimetière des Innocents fut mis en interdit pendant quatre mois, et ce par suite des prétentions exagérées de l'évêque de Paris, qui réclamait une somme d'argent dépassant les ressources de l'église des Innocents; c'est donc l'église des Innocents et non celle de Saint-Nicolas-des-Champs qui est en question. Comprendrait-on dans la bouche du curé de cette dernière église une diatribe à propos du cimetière et de l'église des Innocents qui lui sont absolument étrangers, tandis que lui-même, en procès pour sa propre paroisse, garderait le silence sur ce qui l'intéresse personnellement; ce n'est pas admissible, à moins de prétendre que l'auteur de notre Journal ait voulu cacher avec un soin jaloux sa personnalité. Plus loin, après avoir montré l'esprit processif et cupide de l'évêque Denis du Moulin, le chroniqueur insiste longuement sur certains procédés vexatoires imaginés par ce prélat et ses officiers pour extorquer de l'argent, en faisant rendre compte d'exécutions testamentaires, dont la trace s'était perdue. Quel rapport cela a-t-il avec le procès du curé Beaurigout et l'administration de la paroisse de Saint-Nicolas-des-Champs? Les préoccupations du chroniqueur sont de tout autre nature. S'il nous parle du cimetière des Innocents, s'il juge à propos de nous entretenir des testaments et de leur exécution, c'est que ses intérêts personnels étaient en jeu, tandis que la cure de Saint-Nicolas-des-Champs, comme le prouve surabondamment l'ensemble de son Journal, devait lui être complètement étrangère.
Un point qui n'est pas sans importance et que M. Longnon a laissé dans l'ombre est celui qui touche à la personne de l'auteur du Journal, considéré comme membre de l'Université de Paris. Jean Beaurigout ne nous apparaît dans la dissertation de M. Longnon que comme un homme d'église assez obscur d'ailleurs; nulle part on n'entrevoit le suppôt de l'Université, et cependant, à moins de tenir l'auteur du Journal parisien pour l'un de ces «clercs enflés de science», qu'il tourne en ridicule dans quelque endroit de ses mémoires, nous devons croire qu'il occupa un rang assez élevé dans le corps universitaire, puisqu'il se met au nombre «des parfaits clercs» qui prirent part à la dispute du collège de Navarre. Beaurigout était-il un théologien, ou appartenait-il à quelque autre faculté, comme beaucoup de gens d'église de son temps qui n'étaient que simples maîtres ès-arts ou bacheliers en décret? rien ne nous renseigne à cet égard; en tout cas, il faut bien que son rôle ait été singulièrement effacé pour que pendant plus de quarante ans il soit resté en dehors de tout ce qui s'est passé au sein de l'Université.
§ 2.—Opinion personnelle du présent éditeur.
On le voit, l'opinion émise par M. Longnon soulève certaines objections auxquelles il nous paraît difficile de répondre, et nous ne saurions considérer comme irréfutable l'attribution du Journal au curé Beaurigout. Reprenons l'examen de notre chronique et voyons si le texte conforme aux manuscrits ne peut nous apporter aucune donnée nouvelle. Dans plusieurs passages déjà signalés par la critique, l'auteur du Journal parle de sa personne, mais en termes si ambigus qu'il ne laisse point pénétrer son individualité. Ainsi l'on savait bien jusqu'à présent qu'en mai 1427, il se trouva parmi les personnages ecclésiastiques qui accompagnèrent une procession jusqu'à Montmartre; mais quel parti peut-on tirer d'un renseignement aussi vague? Ici le manuscrit de Rome devient d'un précieux secours, et nous permet de restituer ce passage de façon à introduire un élément nouveau dans la discussion [21]. En effet il n'est pas indifférent de savoir qu'au lieu d'eschevins enfondrez, il faut lire chemins effondrés, qu'il s'agit d'une cérémonie exclusivement religieuse et que, le lundi qui précéda l'Ascension (26 mai 1427), ce fut la procession de Nostre-Dame qui se rendit à Montmartre. En présence de déclarations aussi explicites, n'est-il pas permis de supposer avec quelque vraisemblance que l'auteur du Journal parisien, qui est, ne l'oublions pas, un homme d'église, pouvait bien faire partie du clergé de Notre-Dame, soit à titre de chanoine, soit à titre de chapelain? On nous objectera sans doute que cette procession, comme la plupart de celles qui avaient lieu à cette époque, pouvait comprendre non seulement les prêtres de Notre-Dame, mais encore ceux d'autres églises.
Nous répondrons que notre chroniqueur n'entend point parler d'une de ces processions générales qui mettaient en mouvement toute la population parisienne, et où l'on voyait cheminer côte à côte prêtres, suppôts de l'Université, magistrats et bourgeois, celles-là sont toujours bien clairement désignées dans notre Journal; l'auteur n'a en vue qu'une procession ordinaire du clergé de Notre-Dame, qui se rendait chaque année à Montmartre, le jour de la fête des Rogations, cérémonie particulière à l'église cathédrale, à laquelle ne devaient participer que les prêtres appartenant au corps de Notre-Dame [22].
Le passage du Journal relatif à la procession du 26 mai 1427 avait déjà frappé l'attention du plus ancien possesseur connu du manuscrit de Rome, le président Fauchet, qui inscrivit en marge de son volume la réflexion suivante: «Il semble que l'autheur fut du corps de Nostre Dame.» Du moment que notre chroniqueur, auquel