Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449. Anonyme

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Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449 - Anonyme

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de l'autel Saint-Léonard en l'église cathédrale, sa personne semble a priori devoir être écartée; en effet, les registres synodaux de Notre-Dame [23] qui à partir de 1428 donnent les noms de tous les chapelains année par année, ne nous montrent Jean Beaurigout comme titulaire de cette chapellenie qu'à une époque qui ne saurait être antérieure à l'année 1435 [24]. Eu égard au rang important que l'auteur du Journal devait occuper dans l'Université, c'est plutôt dans le corps des chanoines que dans celui des chapelains que ce personnage doit être recherché.

      Nos investigations ont donc forcément dû prendre une autre direction; à force de compulser les registres capitulaires de Notre-Dame et de comparer les données que nous y avons recueillies avec le texte de notre chronique, nous croyons pouvoir établir que l'homme d'église, à qui nous sommes redevables du Journal parisien, est précisément un chanoine de Notre-Dame, Jean Chuffart, successeur de l'illustre Gerson dans le poste de chancelier de l'église de Paris.

      Cette nouvelle hypothèse surprendra peut-être au premier abord, mais elle est basée sur de longues et patientes recherches, et peut se défendre par des arguments non moins sérieux et non moins probants que ceux dont on s'est servi jusqu'à ce jour. A l'appui de nos conjectures nous avons relevé à divers points de vue de nombreux indices qui permettront de se former une opinion sur l'individualité de notre chroniqueur; pour plus de clarté nous grouperons ces témoignages de nature différente sous un certain nombre de propositions ou de théorèmes que nous essayerons de démontrer.

      a. L'AUTEUR DU JOURNAL PARISIEN APPARTIENT AU CLERGÉ DE NOTRE-DAME.

      Nous attribuons, avons-nous dit, le Journal parisien à Jean Chuffart, chanoine de Notre-Dame de Paris; examinons d'abord si l'époque de son existence peut concorder avec les années extrêmes de notre Journal. Jean Chuffart, originaire de Tournai, maître ès arts et licencié en droit canon, succéda le 8 mai 1420 à Jean de Saint-Verain, décédé, et mourut le 8 mai 1451, chancelier de l'église cathédrale [25]; ces dates cadrent parfaitement avec la période qu'embrasse la chronique anonyme des règnes de Charles VI et Charles VII. Reste maintenant à examiner si le texte même de ce document ne contrarie point notre hypothèse. De 1420 à 1449, il n'est pour ainsi dire pas une année du Journal qui ne contienne quelques particularités relatives à Notre-Dame ou au corps capitulaire. L'auteur trahit involontairement sa qualité, soit qu'il décrive avec un véritable luxe de détails la cérémonie des obsèques de Charles VI, la réception du régent à Notre-Dame en 1424, le sacre du jeune roi d'Angleterre en 1431, soit qu'il parle des processions de 1426, 1427, 1429, 1431, soit qu'il mentionne les élections des différents prélats qui se succédèrent sur le trône épiscopal de Paris, élections auxquelles il dut prendre part comme chanoine de Notre-Dame. S'il consacre un paragraphe à l'élection de Nicolas Fraillon demeurée sans résultat, c'est que Nicolas Fraillon fut choisi et recommandé par le chapitre, qui par ce choix se mit en opposition avec le gouvernement anglais [26].

      Dans diverses occasions, l'auteur du Journal parisien nous entretient de cérémonies religieuses qui se passaient à Notre-Dame et qui n'intéressaient que le clergé de la cathédrale; nous voulons parler des ordinations faites par l'évêque de Paris à la fin de la semaine sainte. A deux reprises différentes, en 1433 et 1439, il mentionne la venue à Paris d'un prélat étranger pour la célébration des offices de la semaine sainte et la collation des ordres; il observe même à l'année 1433 que cet évêque «les fit si matin que grande partie de toutes ordres à ce jour faillirent.» Ces détails dans la bouche de notre chroniqueur ne peuvent s'expliquer qu'en admettant sa présence habituelle au sein du clergé de Notre-Dame, seul au courant de toutes ces particularités.

      Lorsque l'auteur du Journal nous apprend qu'au mois de juillet 1427 l'évêque de Paris interdit à toute femme l'entrée du chœur du «moustier» pendant la durée des offices, de quel «moustier» veut-il parler, si ce n'est de l'église cathédrale, et qui pouvait connaître ce règlement transitoire en dehors des chanoines et chapelains? Une réflexion analogue vient à l'esprit en lisant ce paragraphe où le chroniqueur prend soin de noter que le dimanche 26 janvier 1428 (v. st.) on commença à dire les heures canoniales à Saint-Jacques de la Boucherie comme à Notre-Dame, et il est permis de se demander pour qui un détail aussi insignifiant pouvait présenter quelqu'intérêt, si ce n'est pour un prêtre de Notre-Dame? On pourrait en dire autant de l'article du Journal relatif à la refonte de la grosse cloche de Notre-Dame, connue sous le nom de Jacqueline: l'exactitude des renseignements donnés par notre auteur n'indique-t-elle pas jusqu'à un certain point la source officielle à laquelle ils sont puisés? D'après les délibérations capitulaires de cette époque, Jean Chuffart fut précisément l'un des commissaires désignés par le chapitre pour présider à divers travaux préliminaires, veiller notamment à ce qu'il ne fût distrait aucune portion de métal provenant de la cloche brisée [27]; ce fut le même personnage qui fit marché avec un charpentier pour la descente de la cloche Jacqueline.

      Lors de l'entrée du régent à Paris le 18 décembre 1434, notre chroniqueur met dans son récit qu'à la bastide Saint-Denis se tenaient «les enfans de cuer de Nostre Dame qui moult chantoient melodieusement». Cette mention qui, en elle-même, n'offre pas grand intérêt, mérite cependant d'être remarquée, parce que les registres capitulaires témoignent de la sollicitude avec laquelle le chancelier de l'église de Paris s'occupait des enfants de chœur de Notre-Dame et de leurs intérêts [28], sollicitude qui ne se démentit pas un instant; par son testament, Jean Chuffart laissa aux enfants de chœur de Notre-Dame une maison sise rue Saint-Denis, en même temps qu'il légua son hôtel du Bourget à ceux de Saint-Germain l'Auxerrois [29].

      La main d'un prêtre de Notre-Dame mêlé aux incidents de la vie capitulaire se retrouve à tout instant dans la rédaction du Journal parisien, il est facile de s'en rendre compte en parcourant un recueil d'actes dressé pendant la domination anglaise par le notaire du chapitre de Notre-Dame, Nicolas Sellier; ce recueil nous permet de compléter le récit de quelques menus faits rappelés sommairement dans notre Journal. Ainsi en 1426, le chroniqueur parle en termes assez vagues d'une procession à Saint-Magloire au sujet de certains hérétiques plus amplement mentionnés dans une portion de son Journal aujourd'hui perdue. Le protocole de Nicolas Sellier contient les principales pièces de la procédure instruite contre ces hérétiques et rend intelligible une suite de faits dont l'ensemble est difficile à saisir. D'après ce registre, un clerc du nom de Guillaume Vignier, et ses associés, maître Ange Jouen, Jean l'Amy, Ambroise Maloisel de Gênes et Philippe de Roques se laissèrent circonvenir par un prêtre nommé Rodigue, qui, pensant leur extorquer de l'argent, leur fit espérer la découverte de trésors au moyen de sortilèges; ces malheureux furent l'objet de poursuites dirigées par Jean Graveran, inquisiteur de la foi, et tinrent prison une année durant. Par suite d'un conflit de juridiction que souleva l'évêque de Paris, le pape Martin V dut intervenir et désigner des commissaires chargés de juger le procès; savoir, les évêques de Noyon et de Thérouanne; lors de la vacance du siège épiscopal de Paris, le chapitre se vit obligé de suivre cette affaire et de prendre en main la défense des droits de l'évêque. Cette intervention du corps capitulaire explique jusqu'à un certain point la mention spéciale consacrée par l'un de ses membres à d'obscurs hérétiques [30].

      Sous la date du 25 mai 1431, l'auteur du Journal donne tout au long le texte des indulgences accordées par le pape Martin V en l'honneur de la fête du Saint-Sacrement; nous n'avons pas été peu surpris de retrouver ces mêmes indulgences reproduites mot pour mot à la fin du protocole de Nicolas Sellier [31].

      Dans sa relation des obsèques d'Isabeau de Bavière, notre chroniqueur constate que l'abbé de Sainte-Geneviève célébra l'office des morts à Notre-Dame; si ce détail a pris place dans son récit, c'est qu'il s'agit d'un fait exceptionnel, en dehors des traditions de l'église de Paris. En effet, le même protocole nous a conservé la teneur d'une déclaration de l'abbé de Sainte-Geneviève portant que la célébration du service funèbre par lui faite en vertu d'une autorisation du chapitre de Notre-Dame ne préjudiciera en rien aux immunités du même chapitre [32].

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