Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449. Anonyme
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449 - Anonyme страница 10
Le canonicat de Sainte-Opportune, qui était des plus modestes, ne fut pour Jean Chuffart qu'un acheminement à de plus importants bénéfices. Un siège canonial s'étant trouvé vacant à Saint-Germain-l'Auxerrois par suite de la résignation d'Hervé Fresnoy, il l'obtint le 8 octobre 1438. Seulement ses visées étaient plus ambitieuses, il désirait non une simple prébende, mais la dignité de doyen que laissait libre la mort de Jean Vivien; ses efforts furent couronnés de succès. L'élection de Jean Chuffart comme doyen suivit de très près sa réception comme chanoine; nommé le 24 octobre 1438, il fut installé le 7 novembre suivant [59]. Ne s'estimant point satisfait, le même personnage, sur la fin de sa carrière, ajouta à ces nombreux bénéfices des fonctions pastorales à Saint-Laurent, où il remplaça Louis le Mercier le 3 janvier 1442 [60], et à Saint-Eustache, où nous le voyons prêter serment comme curé le 27 décembre 1448 [61].
Mais, nous objectera-t-on, l'accession de Jean Chuffart à toutes ces dignités n'a aucun rapport avec le Journal parisien ni son auteur; nous répondrons que l'ensemble de ces particularités nous paraît fournir un nouvel argument en faveur de l'attribution de cette chronique au chancelier de Notre-Dame. Une lecture attentive de la portion du Journal comprise entre les années 1437 et 1449 met en évidence ce fait curieux, que pour cette seule période de douze années les mentions relatives à l'église et au cimetière des Innocents sont en nombre infiniment plus considérable que dans tout le reste du récit. Comment s'expliquer le soin minutieux avec lequel notre anonyme a noté tout ce qui intéresse l'église des Innocents, et pourquoi à cette époque plutôt qu'à une autre? Pour quelle raison a-t-il inséré dans le journal de ces douze dernières années des détails d'un intérêt aussi restreint que l'inauguration d'une simple chapelle le 15 août 1437, tandis que pour une période bien plus étendue, il ne s'arrête qu'aux faits de nature à frapper l'attention de tout le monde, tels que la représentation picturale de la danse macabre, et le sermon prêché par le cordelier Richard? Pour qu'à un certain moment de son existence, le chroniqueur parisien ait pris intérêt à fixer le souvenir de tout ce qui pouvait concerner l'église et le cimetière des Innocents, il faut que le cercle quotidien de ses occupations l'y ait en quelque sorte amené. Or, Jean Chuffart, chanoine de Sainte-Opportune depuis 1433, se trouvait par ce fait mêlé à l'administration intérieure de la paroisse des Innocents, puisque le chapitre de Sainte-Opportune avait non seulement le droit de présentation à cette cure, mais encore droit de collation des différentes chapellenies. Les délibérations capitulaires conservées depuis l'année 1451 nous montrent le chapitre nommant les chapelains des autels de Notre-Dame, de Saint-Denis et Saint-Antoine, de Saint-Michel, de Saint-Louis, faisant réparer la maison presbytérale, recevant un nouveau vicaire perpétuel ou curé des Innocents, réglant en un mot toutes questions ayant trait au spirituel et au temporel de l'église [62]. De plus, le vicaire perpétuel n'exerçait aucun acte de son ministère sans le soumettre au contrôle du chapitre [63]. Ces points établis, devrons-nous nous étonner de rencontrer dans le Journal parisien à la date de juin 1437 un long paragraphe relatif à la profanation de l'église des Innocents par des mendiants et à l'interruption du service divin, paragraphe rédigé avec une précision de détails qu'on aurait droit de trouver extraordinaire dans la plume de tout autre qu'un habitué de la paroisse ou d'un chanoine de Sainte-Opportune?
Qu'on lise le récit de la «belle prédication» faite en 1449 aux Innocents par l'évêque Guillaume Chartier, et de la procession bien piteuse des enfants de toutes les écoles qui partirent des Innocents pour se rendre à Notre-Dame, et l'on nous dira si la personnalité du chanoine de Sainte-Opportune et de Notre-Dame ne semble pas s'y révéler à tous les yeux. Celle du chanoine et doyen de Saint-Germain-l'Auxerrois apparaît avec non moins de certitude dans d'autres circonstances dignes de remarque. Le chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois possédait d'ancienneté sur le cimetière des Innocents un droit de propriété foncière qui, souvent contesté, donna naissance à d'interminables procès; c'est en vertu de ce droit qu'il se prétendait fondé à instituer les fossoyeurs, à accorder ou refuser les permissions de sépulture, à octroyer les autorisations nécessaires pour l'érection de croix, tombes et épitaphes dans le cimetière, sous les charniers et entre les piliers des charniers.
En nous rappelant que Jean Chuffart était chanoine et doyen de Saint-Germain-l'Auxerrois dès 1438, n'y a-t-il point quelque chose de caractéristique dans l'intérêt particulier que manifeste l'auteur du Journal parisien pour certains faits d'une importance secondaire relatifs au cimetière des Innocents, notamment en 1441, lorsqu'il nous apprend que quatre mois durant les inhumations y furent suspendues par suite des prétentions exagérées de l'évêque de Paris qui réclamait une somme d'argent excédant les ressources de l'église? Si notre anonyme semble prendre à cœur cette affaire au point d'exprimer en termes amers tout le mécontentement qu'il en ressent, c'est qu'il est lui-même victime de la cupidité de l'évêque Denis du Moulin; au lieu de voir dans ce passage, comme le fait M. Longnon, le langage d'un des adversaires de l'évêque en cour de Parlement, nous avons une explication plus naturelle à proposer.
Jean Chuffart, en sa qualité de chanoine de Saint-Germain-l'Auxerrois, se trouvait, ainsi que ses confrères, directement intéressé au débat soulevé par l'évêque, et surtout ne devait être que médiocrement satisfait d'avoir à s'imposer un sacrifice pécuniaire. L'extrait suivant des délibérations capitulaires de Saint-Germain-l'Auxerrois prouve que les chanoines de cette collégiale durent payer une certaine somme d'argent pour obtenir la «réconciliation» ou bénédiction nouvelle des lieux profanés:
Anno 1440, penultima die decembris, capitulantibus dominis, concluserunt quod magister Nicasius predictus (Nicaise Joye, l'un des chanoines) tradat pro prosequcione reconciliacionis cimisterii Sanctorum Innocentium, prout ceteri ad quos pertinet, vi solidos Parisiensium [64].
Poursuivant l'analyse de notre Journal, nous arrivons à ce passage bien connu où le chroniqueur parisien raconte sous la date du 11 octobre 1442 l'installation d'une recluse dans sa logette du cimetière des Innocents. Ici encore se dévoile l'individualité du chanoine de Saint-Germain-l'Auxerrois. Il semble que l'auteur du Journal, lorsqu'il nous parle de la recluse, soit parfaitement au courant de ce qui la concerne.
Effectivement, la nouvelle recluse des Innocents n'était pas une étrangère pour le doyen de Saint-Germain-l'Auxerrois, puisque dans la séance capitulaire tenue le 2 août 1442, Jeannette la Verrière fit demander par Jean Boileau, curé de l'église de Sainte-Croix en la Cité, la permission de construire dans le cimetière des Innocents, près de l'église, un réduit où elle se proposait de finir ses jours dans la prière. Les chanoines appelés à délibérer sur cette requête prirent en considération le pieux dessein de Jeanne la Verrière et accordèrent l'autorisation nécessaire [65]. Il n'est donc pas étonnant que, dans son Journal, notre chanoine ait mentionné la cérémonie imposante par laquelle la recluse était retranchée du nombre des vivants.
Jean Chuffart, si l'on se place à un point de vue personnel, voyait d'un œil sympathique ces pauvres cloîtrées; il en donna un témoignage l'année même de sa mort. Dans l'expression de ses dernières