Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449. Anonyme
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L'affaire suivit son cours, et un mandement d'Henri VI, roi d'Angleterre, rendu le 11 décembre 1430 à la requête du chapitre de Saint-Marcel, ordonna au Parlement de procéder au principal dans la cause pendante entre Jean Chuffart et les chanoines. Dès la fin de janvier 1431, les chanoines de Saint-Marcel proposèrent d'entrer en arrangement, ce qui fut accepté, et le procès se termina par un accord homologué au Parlement le 11 avril 1431 [78]. Les registres capitulaires de Saint-Marcel nous montrent comment intervint une transaction entre le chapitre et son adversaire; Jean Chuffart vint en personne à la séance du 20 mars 1431 et, en présence de l'évêque de Paris appelé pour la circonstance, sollicita à titre gracieux l'autorisation de construire dans sa maison du bourg Saint-Marcel un petit pressoir sans arbre, et d'en faire usage, sa vie durant, pour la vendange de ses vignes. Le chapitre accéda à cette demande le 4 mai suivant, à charge d'une redevance annuelle de 12 deniers parisis, et, pour couper court à toute contestation, s'empressa l'année suivante d'admettre Jean Chuffart parmi ses membres [79]. Voilà donc un ensemble de faits qui établit catégoriquement la possession de vignes par notre auteur du côté de la porte Bordelles.
Indépendamment de ses vignobles de Saint-Marcel, le chanoine Jean Chuffart exploitait encore à Fontenay, depuis le 22 novembre 1426, quatre arpents de vignes qu'il s'était fait concéder par le chapitre de Notre-Dame, avec un pressoir refait à neuf et deux masures adjacentes, moyennant 8 livres parisis de rente annuelle [80]; il possédait également des vignes sur le territoire de Villejuif. En 1430 le même chanoine récolta une partie des vins de Mons [81]. Au commencement d'octobre 1436, lors de la perception d'une taxe de quatre sols sur chaque queue de vin entrée à Paris, Jean Chuffart, qui remplissait alors les fonctions de chambrier clerc, saisit le chapitre de la question en ce qui concernait les vignes de Mons [82] et s'occupa avec ses confrères des voies et moyens à mettre en œuvre pour échapper à cet impôt. Ne peut-on rapprocher ce fait de ce passage du Journal relatif aux vendanges de 1436, où l'auteur se plaint longuement, et avec une certaine amertume, de la cherté de ces vendanges et des droits élevés que les gouverneurs de Paris faisaient percevoir aux portes de Paris sur chaque «hotteur» et sur chaque charrette amenant des cuves de vendange?
Jean Chuffart, avons-nous dit plus haut, fut investi par le chapitre de l'office de chambrier clerc, et pendant plus de vingt années ne cessa de veiller sur le temporel de Notre-Dame. Lorsqu'au mois d'octobre 1433 les chanoines jugèrent à propos de centraliser entre les mains de quelques-uns d'eux l'administration de leurs biens qui ne faisait que péricliter, ils choisirent Jean Chuffart avec deux de ses confrères. On voit par le règlement rédigé à cette époque que les trois chanoines délégués avaient pour mission de recevoir tout ce qui appartenait à Notre-Dame, tant des offices de la chambre, des anniversaires, des matines, des stations, que des rentes et revenus afférents aux enfants de chœur et aux prévôtés; ils devaient également faire déposer dans les greniers et celliers du chapitre les grains et vins amenés à Paris. Le 13 juillet 1444, Jean Chuffart, tant en son nom qu'au nom de ses collègues d'Orgemont et Moustardier, rendit compte de sa gestion et se fit délivrer quittance en règle.
La multiplicité et variété extrême des détails dans lesquels devaient entrer celui ou ceux des chanoines qui s'occupaient du temporel de Notre-Dame explique aisément pourquoi l'auteur du Journal, qui était, ne l'oublions pas, du corps de Notre-Dame, attache une si grande importance à toutes ces particularités relatives au prix du vin et du blé, à l'abondance ou à la rareté des biens de la terre, céréales, fruits et légumes; on comprend mieux le soin avec lequel le chroniqueur note les accidents de la température, tels que les gelées de mai, les pluies excessives, les chaleurs prolongées, les dégâts des hannetons, tout ce qui en un mot pouvait compromettre les récoltes. L'auteur du Journal, quoique s'intéressant d'une façon toute spéciale aux vignes, ne néglige point les autres cultures; aussi le voit-on s'apitoyer sur les malheurs des habitants des campagnes ruinés par les incursions des gens de guerre qui prenaient tout ce qui pouvait s'emporter et détruisaient le reste. Cette sollicitude n'est point une simple question d'humanité: Jean Chuffart faisait valoir des terres de labour aux environs de Paris, notamment à l'Hay et à Chevilly, au Bourget et à Blanc-Mesnil, il est tout naturel qu'il s'inquiète du sort des laboureurs.
i. L'AUTEUR DU JOURNAL APPARTIENT A PLUSIEURS CONFRÉRIES PARISIENNES.
Dans maintes occasions, l'auteur du Journal témoigne d'un certain intérêt pour les confréries parisiennes, il connaît leur situation morale et pécuniaire; il éprouve un réel chagrin lorsqu'il nous montre les confréries épuisant leurs ressources pour acquitter leur part des lourdes contributions imposées aux Parisiens. Ainsi, au mois de septembre 1437, notre chroniqueur ne manque pas de nous dire que les conseillers de Charles VII firent main basse sur l'argent monnayé «qui estoit ou tresor des confreries». En 1441, lors du siège de Pontoise et de la venue du roi à Saint-Denis, notre Journal nous apprend que les confréries parisiennes furent menacées dans leur existence. «Les faulx conseilliers» du roi projetèrent non seulement de s'emparer de tout l'argent possédé par les confréries, mais encore d'en réduire le nombre; ils réussirent à les diminuer de moitié et portèrent un coup funeste au service religieux. Notre chroniqueur ne se borne pas à nous entretenir des confréries à un point de vue général, il laisse parfois deviner ses préférences personnelles pour telle ou telle confrérie dont il devait être membre; on remarque notamment que dans la relation fort succincte des obsèques de la duchesse de Bedford, il consacre une mention spéciale à la Grande Confrérie aux Bourgeois. Or nous savons par le testament de Jean Chuffart que ce chanoine était membre de la Grande Confrérie aux Bourgeois et de la confrérie de Saint-Augustin qui avaient leur siège à Notre-Dame, et qu'il faisait également partie de celle des merciers en l'église des Innocents. En pensant à cette dernière confrérie, il est difficile de ne point se reporter au long paragraphe de notre journal relatif à la mise en interdit de l'église des Innocents en 1437; pendant vingt-deux jours, dit le chroniqueur, le service divin fut interrompu, et les confréries qui avaient leurs services assignés dans cette église se transportèrent en la chapelle Saint-Josse.
Voici, pour nous résumer, les résultats que nous avons obtenus par l'étude attentive du Journal parisien.
En premier lieu, l'auteur du Journal se désigne au nombre des prêtres qui participèrent à une procession du clergé de Notre-Dame, circonstance qui permet au président Fauchet d'émettre cette opinion que notre chroniqueur devait appartenir «au corps de Notre-Dame»; or, Jean Chuffart nous apparaît dès 1420 comme chanoine de cette église.
2o L'auteur du Journal, sympathique d'abord à la cause anglo-bourguignonne, abandonne cette cause et embrasse le parti de Charles VII après 1436; or nous voyons Jean Chuffart prêter serment aux Anglais en 1429, et se rallier ensuite au gouvernement français en acceptant dès 1437 un poste de conseiller au Parlement de Paris.
3o L'auteur du Journal s'occupe des moindres incidents du siège de Meaux et rapporte des particularités inconnues de tout autre chroniqueur; or Jean Chuffart se rendit, en janvier 1422, auprès du roi d'Angleterre, avec une mission officielle du chapitre de Notre-Dame.
4o L'auteur du Journal se met en scène parmi les plus parfaits clercs de l'Université et montre par là qu'il devait occuper dans le monde universitaire une situation importante; or nous constatons que Jean Chuffart fut recteur de l'Université en 1422 et qu'il fit partie du corps enseignant en qualité de docteur régent de la faculté de décret.