Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449. Anonyme
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449 - Anonyme страница 14
11. Dont il advint l'année ensuivant mil IIIIc et X, environ la fin d'aoust, que chascun en droit soy admena tant de gens d'armes autour de Paris, que à XX lieues environ estoit tout degasté; car le duc de Bourgongne et ses freres admenerent leur puissance de devers Flandres et Bourgongne, mais ilz ne prenoient que vivres ceulx au duc de Bourgongne ne à ses aidans, mais trop largement en prenoient. Et les gens de Berry et de ses aidans pilloient, roboient, tuoient en eglise et dehors eglise, especialment ceulx au conte d'Armignac et les Bretons [99] dont si grant charté s'ensuivy [de pain] [100], que plus d'un moys, le sextier de bonne farine valloit LIIII frans [ou LX], dont les pauvres gens de ville comme au desespoir, fuoient; et leur firent plusieurs escarmouches et en tuerent moult.
12. Et tout ce n'estoit que pour l'envie qu'ilz avoient, pour ce que les gens de Paris amoient tant le duc de Bourgongne et le prevost de Paris nommé Pierre des Essars, pour ce qu'il gardoit si bien la ville de Paris. Car toute nuyt et toute jour il alloit tout parmy la ville de Paris, tout armé, lui et grant foison de gens d'armes, et faisoit faire aux gens de Paris toutes les nuys le plus bel guet qu'ilz povoient, et ceux qui n'y povoient aller faisoient veiller davant leur maison, et faire grans feuz par toutes les rues jusques au jour, et y avoit quarteniers, cinquanteniers, diseniers qui ce ordonnoient. Dont ceulx de devers Berry tindrent si court ceulx de Paris par devers la porte Sainct-Jacques, Sainct-Marceau [101], Sainct-Michel, que les vignes demourerent à vendenger et les semailles, et plus, à quatre lieues entour de Paris devers lesdictes portes, jusques à la sainct Climent encore vendengeoit-on, et par la grace de Dieu il y avoit tres pou de pouris, car il fist tres bel temps, mays ilz ne se povoient eschaufer es cuves. Et si ne venoit pain à Paris qu'i ne couvenist aller querre à force de gens d'armes par eaue et par terre. Et y avoit ung chevalier logé à la Chappelle-St-Denis, nommé messire Morelet de Betencourt [102], qui alloit querre le pain à Sainct-Brice [103] et ailleurs, lui et ses gens, tant que ce contens dura, qui dura jusques à la Toussains.
13. Et ung pou devant, avoit presché devant le roy le ministre des Mathurins [104], tres bonne personne, et monstra la crualité que ilz faisoient par deffaulte de bon conseil, disant qu'il failloit qu'il y eust des traistres en ce royaulme; dont ung prelat, nommé le cardinal de Bar, qui estoit audit sermon, le desmenty et nomma «villain chien», dont il fut moult hay de l'Université et du commun, mais à pou lui en fu, car il praticoit grandement avecques les autres qui portoient chascun une bende, dont il estoit embassadeur par le duc de Berry, et portoit celle bende [105], et tous iceulx de par luy. Et ce tindrent tellement en celle bende qu'il couvint que ledit prevost fust desposé [106] pour l'envie qu'ilz avoient sur le commun de Paris qu'il gardoit si bien, car aucuns et le plus de la bende [107] cuidoient de certain que on deust piller Paris. Et tout le mal qui ce faisoit de delà, chascun disoit que ce faisoit le conte d'Armignac, tant estoit de malle voulenté plain, et pour certain on avoit autant de pitié de tuer ces gens comme de chiens; et quelconques estoit tué de delà, on disoit: «C'est un Armignac [108]», car ledit conte estoit tenu pour tres cruel homme et tirant et sans pitié. Et certain, ceulx de ladite bende eussent fait du mal plus largement, ce ne fust le froit et la famine qui les fist traictier comme une chose non achevée, comme pour en charger arbitres. Et fut fait environ le VIe jour de novembre mil IIIIc et X3 [109], et s'en alla chascun à sa terre jusques à ce que on les mandast, et qui a perdu si a perdu; mais le royaulme de France ne recouvra la perte et le dommaige qu'ilz firent en vingt ans ensuivant, tant viengne bien.
14. Et en ce temps fut la riviere de Saine si petite, car oncques on ne la vit à la sainct Jehan d'esté plus petite qu'elle estoit à la sainct Thomas devant Noel; et neantmoins, par la grace de Dieu, on avoit à Paris en ce temps, environ cinq sepmaines après l'allée des gens d'armes, tres bon blé pour XVIII ou pour vingt solz parisis le sextier.
[1411.]
15. Nota que le mardi darrain jour de juing IIIIc et XI, jour de sainct Paul, environ huit heures après disner, gresla, venta, tonna, espartit le plus fort que homme qui adonq fust eust oncques veu [110].
L'an mil CCCC et XI ensuivant, recommancerent ceulx de la bende à faire [111] leur mauvaise vie, car en aoust, vers la fin, vindrent devant Paris, du costé de devers Sainct-Denis, et deffierent le duc de Bourgongne, et fist chascun son assemblée vers Montdidyer. Mais que les bandez sceurent la belle compaignie que Bourgongne avoit, ilz ne l'oserent oncques assaillir, et si les attendit-il par cinq sepmaines. Quant le duc vit la chose, il dist que ilz n'avoient guerre que au roy et à la bonne ville de Paris, lors renvoya ses communes et les convoya [112] grant païs [113].
16. Et les faulx bendez Armignaz commencerent à faire tout le pis que ilz povoient, et vindrent au plus pres de Paris, en plaines vendenges, c'est assavoir, environ mynuit entre sabmedy et dimenche, IIIe jour d'octobre mil IIIIc et XI, furent à Pantin, à Sainct-Ouin, à la Chappelle-Sainct-Denis, à Monmartre, à Glinencourt et par tous les villaiges d'entour Paris dudit costé, et assegerent Sainct-Denis. Et firent tant de maulx, comme eussent fait Sarazins, car ilz pendoient les gens, [les uns] par les poulces, autres par les piez, les autres tuoient et rançonnoient, et efforçoient femmes, et boutoient feuz, et quiconcques ce feist, on disoit: «Ce font les Armignaz [114]», et ne demeuroit personne esdiz villaiges que eulx mesmes. Cependent vint Pierre des Essars à Paris, et fut prevost comme devant [115], et fist tant que on cria parmy Parys que on abandonnoit les Armignaz, et qui pouroit les tuer si les tuast et prinst leurs biens [116]. Si [y alla moult de gens qui plusieurs foys leur] firent dommaige et, par especial, compaignons de villaige, que on nommoit brigans [117], qui s'assemblerent et firent du mal assez soubz l'ombre de tuer les Armignaz.
17. En ce temps prindrent ceulx de Paris chapperons de drap pers et la croix Saint Andrieu, ou millieu ung escu à la fleur de lis [118]; et en maint de quinze jours avoit à Paris cent milliers, que hommes que enfens, signez devant et derriere de ladicte croix, car nul n'yssoit de Paris qui ne l'avoit.
18. Item, le XIIIe jour d'octobre, prindrent les Arminaz le pont de Sainct-Cloud par ung faulx traistre qui en estoit cappitaine, que on nommoit Colinet de Pisex [119], qui leur vendy et livra, et furent tuez moult de bonnes gens qui estoient dedens, et tous les biens perduz, dont il y avoit grant foison, car tous les villaiges d'entour y avoient leurs biens, qui furent tous perduz par le faulx traistre.
19. Item, le XXIIIIe [120] jour d'octobre, prindrent Sainct-Denis, comme Sainct-Cloud par traïson d'aucuns qui estoient dedens, si comme on disoit que le signeur de Chaalons [121] en estoit consentent, lequel estoit au duc de Bourgongne.
20. Quant les bendez furent maistres des deux, de Sainct-Cloud et Sainct-Denis, ilz s'enorgueillirent tellement qu'ilz venoient jusques aux portes de Paris, car leurs signeurs estoient logez à Monmartre [122] et veoient [123] jusques dedens Paris, et qui y entroit et yssoit, dont ceulx de Paris avoient grant doubte. En ce temps avoit à Paris ung escuier nommé Enguerren de Bournonville [124] et ung nommé Amé de Vrey [125] qui moult leur firent d'escarmouches et de jour et de nuit, car les Arminaz doubtoient plus ces deux hommes que le conte de Sainct-Paul et toute sa puissance, qui lors estoit comme cappitaine de Paris, et portait en sa baniere fleur de bourache.
21. Item, le XVIe jour d'octobre, estoient les Arminaz emprès le moullin à vent au-dessus de Sainct-Ladre. Adong yssirent ceulx de Paris sans gouverneur [126] et allerent sur eulx tous nuds d'armes, fors que de trait et de picques de Flandres, et les autres estoient bien armez et vindrent sur la chaussée à eulx, et tantost en tuerent bien de LX à IIIIxx, et leur osterent quant qu'ilz avoient jusques aux brayes, et plus en eussent tué largement, ce ne fust le chemin qui estoit estroit et la nuyt qui venoit, car non pourtant moult de ceulx de Paris furent navrez, ainsi advint [127].......
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22. Adong estoient ceulx de Paris moult esbahiz, car on ne savoit nulle nouvelle du duc de Bourgongne, et cuidoit-on qu'il fust mort, et il estoit allé traicter aux Englois en Engleterre, et revint à Paris le plus tost qu'il