Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449. Anonyme
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6o L'auteur du Journal témoigne à une certaine époque d'un intérêt particulier pour l'église et le cimetière des Innocents; or, à cette même époque, Jean Chuffart, soit comme chanoine de Sainte-Opportune, soit comme chanoine et doyen de Saint-Germain-l'Auxerrois, eut journellement à s'occuper de l'église et du cimetière des Innocents.
7o, 8o L'auteur du Journal parle souvent de Saint-Marcel et de la récolte des vins faite sur le territoire de Saint-Marcel; or, Jean Chuffart, chanoine et doyen de la collégiale de ce nom, possédait et exploitait dans ce bourg des vignes d'une certaine importance.
Enfin l'auteur note dans son Journal le prix des denrées, les variations atmosphériques de toute nature, les dégâts causés aux récoltes; or, Jean Chuffart, comme chambrier clerc de Notre-Dame, fut constamment chargé de veiller au temporel du chapitre et dut se préoccuper de tous ces accidents, de tous ces détails relatifs aux biens de la terre auxquels s'intéresse tout particulièrement l'auteur du Journal.
On voit que l'attribution du Journal parisien au chanoine Jean Chuffart peut se défendre par de nombreux et sérieux arguments.
Nous espérons donc que le public voudra bien accueillir nos conjectures sans défaveur, et que M. Longnon lui-même, si nous ne réussissons pas à le convaincre, reconnaîtra que ces conjectures s'appuient sur un ensemble de faits à tout le moins digne d'attention.
JOURNAL D'UN BOURGEOIS
DE PARIS
DE 1405 A 1449.
[1405]. [83]
1. ..... Et environ dix ou doze jours après, furent changées les serreures et clefs des portes de Paris, et furent faiz monseigneur de Berry et monseigneur de Bourbon cappitaines de la ville de Paris, et vint si grant foueson de gens d'armes à Paris que aux villaiges d'entour ne demeurerent aussi comme nulles gens; toutesvoies les gens du dessusdit duc de Bourgongne ne prenoient riens sans paier, et comptoient tous les soirs à leurs hostes et poioient tout sec en la ville de Paris [84]. Et estoient, ce temps durant, les portes de Paris fermées, ce non IIII, c'est assavoir la porte Sainct-Denis, Sainct-Anthoine, Sainct-Jacque et Sainct-Honoré. Et le dixiesme jour de septembre ensuivant furent murées de plastre la porte du Temple, la porte Sainct-Martin et celle de Montmartre [85].
2. Et le vendredi ensuivant, XIIe jour dudit moy, aryva à Paris l'evesque du Liege [86], et lui fist faire serement le prevost de Paris et autres, à l'entrée de la porte Sainct-Denis, que il ne seroit contre le roy, n'encontre la ville, ne lui, ne les siens, mais leur seroit garant de trestout son povair, et ainsi le promist-il par la foy de son corps et par son signeur, et après entra à Paris et fut logé en l'ostel de la Trimoullie [87]. Et icellui jour après sa venue, fut crié ce, que on mist des lanternes à bas les rues et de l'eaue aux huis, et aussi le fist-on. Et le XIXe jour dudit moys de septembre, fut crié et commandé que on estoupast les pertuys qui donnoient clarté dedens les celiers. Et le XXIIIIe jour ensuivant, fut commandé par trestous les [fevres [88]] et marechaux [89] de Paris et chauderonniers que on feist des chaisnes [90] comme autresfoiz avoient esté, et lesdiz ouvriers de fer commancerent le lendemain et ouvrerent festes et dimenches et par nuit et jour. Et le XXVIe jour dudit moys de septembre, fut crié [91] parmy Paris que, qui auroit puissance d'avoir armeure, si en achetast pour garder la bonne ville de Paris.
3. Et le Xe jour d'octobre ensuivant, jour de sabmedi, vint telle esmeute en la ville de Paris, comme on pouroit gueres veoir sans savoir pourquoy; mais on disoit que le duc d'Orleans estoit à la porte de Sainct-Anthoine à toute sa puissance, dont il n'estoit riens; et les gens du duc de Bourgongne s'armerent, car les gens de Paris furent si esmeuz, comme ce tout le monde feust contre eulx et les voulsist destruire, et si ne sceut on oncques pourquoy ce feust.
[1408.]
4. ..... dont il leur print mal, car il en mourut là plus de XXVI mil, et fut le XXIIIe jour de septembre cccc et huit, et en tant que la guerre dura, par feu, par fain, par froit, à l'espée plus de XIIIIm; or sont bien quarante mil [92].
5. Le XVIe jour de novembre ensuivant, à ung sabmedi, les davantdiz signeurs, c'est assavoir Navarre, Loys, etc., enmenerent le roy à Tours, dont le peuple fut moult troublé; et disoient bien que, ce le duc de Bourgogne eust (esté) icy, qu'ilz ne l'eussent pas fait, ainsi le firent; et là fut, que là que à Chartres, XVII sepmaines, et par plusieurs foys y fut le prevost des marchans [93] et des bourgois de Paris, qui y furent mandez, et si n'y arresterent oncques preu pour eulx ne pour le peuple.
[1409.]
6. Le neufviesme jour de mars ensuivant revint le duc de Bourgongne à tout noble gent, et le XVIIe jour dudit moys de mars à ung dymenche amenerent le roy à Paris, qui fut receu le tres plus honnorablement qu'on vit passé à deux cens ans, car tous les sergens, comme du guet, ceulx de la marchandise, ceulx à cheval, ceulx à verge, ceulx de la XIIne avoient diverses livrées toutes especialment de chapperons, et tous les bourgois allerent à l'encontre de lui. Devant lui avoit XII trompettes et grant foueson menestrées, et, partout où il passoit, on crioit [tres joieusement]: «Nouel!» et gectoit on viollettes et fleurs sur lui, et au soir soupoient les gens emmy les rues par tres joyeuse chere, et firent feus tout partout Paris, et bassynoient de bassins tout parmy Paris [94]. Et le lendemain vint la royne et le daulphin, si refust la joie si tres grande comme le jour de devant ou plus, car la royne vint le plus honnorablement qu'on l'avoit oncques veue entrer à Paris depuis qu'elle vint la premiere foys.
7. Le XXVIe jour de juing ensuivant, fut fait le Saint Pere, c'est assavoir Pierre de Candye [95], et le lundi VIIIe jour de juillet ensuivant fut sceu à Paris. On en fist moult noble feste, comme quant le roy vint de Tours, comme devant est dit, et par tous les moustiers de Paris on sonnoit moult fort et toute nuyt aassi.
8. L'an mil IIIIe et IX, le jour de la my aoust, fist tel tonnoyre, environ entre cinq ou six heures au matin, que une ymaige de Nostre Dame, qui estoit sur le moustier de Sainct-Ladre, de forte pierre et toute neufve, fut de tonnoyrre tempestée et rompue parmi le mylieu, et portée bien loing de là; et à l'entrée de la Villette Sainct-Ladre [96] au bout de devers Paris, furent deux hommes tempestez, dont l'un fut tué tout mort, et ses soulliers et ses chausses, son gippon furent touz dessirez, et si n'avoit point le corps entamé; et l'autre homme fut tout afollé.
9. Item, le lundi VIIe jour d'octobre ensuivant, assavoir IIIIe et IX, fut prins ung nommé Jehan de Montagu, grant maistre d'ostel du roy de France, emprès Sainct-Victor, et fut mis en Petit Chastellet; dont il avint telle esmeute à Paris à l'eure qu'on le print, comme ce tout Paris fust plain de Sarazins, et si ne savoit nul pourquoy ils s'esmouvoient [97]. Et le print ung nommé Pierre des Essars, qui pour lors estoit prevost de Paris; et furent les lanternes commandées à alumer, comme autresfois, et de l'eaue à l'uis, et toutes les nuys le plus bel guet à pié et à cheval qu'on vit gueres oncques à Paris, et le faisoient les mestiers l'un après l'autre.
10. Et le XVIIe jour dudit moys d'octobre, jeudy, fut le dessusdit grant maistre d'ostel mis en une charrette, vestu de sa livrée, d'une houppelande de blanc et de rouge, et chapperon de mesmes, une chauce rouge et l'autre blanche, ungs esperons dorez, les mains liées devant, une croix de boys entre ses mains, hault assis en la charrette, deux trompettes devant lui, et en cel estat mené es halles. Là lui on coupa la teste, et après fut porté le corps au gibet de Paris, et pendu au plus hault, en chemise, à toutes ses chausses et esperons dorés, dont la rumeur dura à aucun des signeurs de France, comme Berry, Bourbon, Alençon et plusieurs autres [98].