Corysandre. Hector Malot

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Corysandre - Hector Malot

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à Dieu, bien connue.

      Avec le troisième, il commença aussi par des éloges et ce ne fut qu'après avoir épuisé toute sa collection d'adjectifs qu'il demanda une petite addition, non pour parler de sa noblesse ou de sa fortune: elles étaient, grâce à Dieu, bien connues; mais pour qu'on rappelât son duel avec le comte de San-Estevan et pour qu'on glissât un mot discret sur la fermeté et le courage qu'il avait montrés en cette circonstance.

      Avec le quatrième, l'addition ne dut porter ni sur la noblesse, ni sur la fortune, ni sur son courage, toutes choses qui, grâce à Dieu, étaient de notoriété publique, mais sur sa générosité; parce qu'il donnait des fêtes qui lui coûtaient fort cher, il ne voulait pas qu'on crût qu'il ne pensait pas aux malheureux.

      Otchakoff était battu.

       Table des matières

      On ne pouvait pas parler ainsi du mariage de Savine avec la belle Corysandre sans que ce bruit arrivât aux oreilles de la personne qui justement avait le plus grand intérêt à l'apprendre: Raphaëlle, la maîtresse du prince, retenue à Paris par le rôle qu'elle jouait dans une pièce en vogue, et aussi parce que son amant n'avait pas voulu l'emmener avec lui.

      Mais elle connaissait trop bien son prince pour admettre que ce mariage fût possible: Savine ne se marierait que quand il serait impotent, et ce serait pour avoir une garde-malade sûre, dont il provoquerait la sollicitude, l'intérêt et les soins par toutes sortes de belles promesses, que naturellement il ne tiendrait pas. Quant à penser qu'il était pris par l'amour et la passion, cette idée était pour elle si drôle et si invraisemblable qu'elle ne s'y arrêtait même pas: Savine amoureux, Savine passionné; cela la faisait rire aux éclats.

      Ce fut même par un de ces éclats de rire qu'elle accueillit la première fois cette nouvelle, quand une de ses bonnes amies vint la lui annoncer hypocritement avec des larmes dans la voix, mais aussi avec la juste satisfaction dans le coeur qu'éprouve une pauvre femme qui n'a pas eu en ce monde la chance à laquelle elle avait droit, à voir enfin abaissée une de celles qui lui ont volé sa part de bonheur.

      Cependant, à la longue et peu à peu, à force d'entendre et de lire le même mot sans cesse répété, «le mariage du prince Savine avec mademoiselle de Barizel», elle finit par s'inquiéter. Un bruit aussi persistant ne pouvait pas se propager ainsi sans reposer sur quelque chose de sérieux.

      La prudence exigeait qu'elle vît clair en cette affaire.

      Ce n'était point un rôle facile à remplir que celui de maîtresse de Son Excellence le prince Vladimir Savine; elle le savait mieux que personne, et depuis longtemps elle l'eût abandonné sans certains avantages auxquels elle tenait assez fortement pour tout supporter. Et il y avait des femmes qui l'enviaient! Si elles savaient de quel prix, de quels dégoûts, de de quelles fatigues, de quels efforts elle payait son luxe, ses diamants, ses équipages, ses toilettes, son hôtel des Champs-Élysées! Mais on ne voyait que la surface brillante de ce qui s'étalait insolemment en public; elle seule connaissait le fond des choses, le bourbier dans lequel elle se débattait, comme elle seule connaissait la cravache qui plus d'une fois avait bleui sa peau.

      Après avoir bien réfléchi à la situation, Raphaëlle trouva que la seule personne qu'elle pouvait charger de cette enquête délicate était son père.

      Depuis qu'elle habitait son hôtel des Champs-Elysées, elle avait été obligée de se séparer de sa famille, Savine n'étant pas homme à supporter une communauté que le duc de Naurouse et Poupardin avaient bien voulu tolérer: il ne reconnaissait pas à sa maîtresse le droit d'avoir un père et une mère, pas plus qu'il ne lui reconnaissait celui d'avoir d'autres amants elle devait être à lui, entièrement à sa disposition, sans distraction du matin au soir et du soir au matin; s'il permettait qu'elle restât au théâtre, c'était parce qu'il était flatté dans sa vanité de l'entendre applaudir et de lire son nom en vedette sur les colonnes du boulevard ou dans les réclames des journaux. C'était une grâce qu'il faisait au public comme il lui en avait fait une du même genre en exposant ses trotteurs dans les concours hippiques. Qui aurait osé dire qu'il n'était pas libéral et qu'il n'usait pas noblement de sa fortune!

      Ne pouvant pas demeurer avec leur fille, M. et madame Houssu avaient loué un logement dans la rue de l'Arcade, où M. Houssu avait continué son commerce de prêts en y joignant un bureau de «renseignements intimes et de surveillances discrètes.» Une circulaire qu'il avait largement répandue expliquait ce qu'étaient ces renseignements intimes et ces surveillances discrètes, rien autre chose que l'espionnage au profit des jaloux: maris, femmes, maîtresses, qui voulaient savoir s'ils étaient trompés et comme ils l'étaient. Mais cela n'était point dit crûment, car M. Houssu, qui avait des formes et de la tenue, aimait le beau style aussi bien que les belles manières. Peut-être, dans un autre quartier, ce beau style qui mettait toutes choses en termes galants eût-il nui à son industrie; mais sa clientèle se composait, pour la meilleure part, de cuisinières qui fréquentaient le marché de la Madeleine, de femmes de chambre, de quelques cocottes dévorées du besoin d'apprendre ce que faisaient leurs amis aux heures où elles ne pouvaient par les voir, et tout ce monde trouvait les circulaires de M. Houssu aussi claires que bien écrites; c'était encore plus précis que les oracles des tireuses de cartes et des chiromanciens, auxquels ils avaient foi. D'ailleurs, quand on avait été une fois en relations avec M. Houssu, on retournait le voir volontiers: sa rondeur militaire, son apparente bonhomie, la façon dont il jetait sa croix d'honneur au nez de ses clients en avançant l'épaule gauche, qu'il faisait bomber, inspiraient la confiance.

      Maintenant que Raphaëlle était séparée de son père et de sa mère, elle ne pouvait plus, comme au temps où elle était la maîtresse du duc de Naurouse, entrer chez eux aussitôt qu'elle avait un instant de liberté et s'installer en caraco au coin du poêle pour voir sauter le foie ou mijoter le marc de café; mais toutes les fois que cela lui était possible elle se sauvait de son hôtel des Champs-Élysées pour accourir déjeuner dans le petit entresol de la rue de l'Arcade; c'était avec joie qu'elle échappait aux valets à la tenue correcte, aux sourires insolents et railleurs, que son amant lui faisait choisir par son intendant, et qu'elle venait tenir elle-même la queue de la poêle où cuisait le déjeuner paternel; c'était là seulement, qu'entre son père et sa mère et quelques amis de ses jours d'enfance, elle redevenait elle-même, reprenant ses habitudes, ses plaisirs, ses gestes, son langage d'autrefois, qui ne ressemblaient en rien, il faut le dire, à ceux de l'hôtel des Champs-Élysées et de sa position présente.

      Décidée à charger son père d'une surveillance intime auprès de Savine, elle vint un matin rue de l'Arcade à l'heure du déjeuner, arrivant comme à l'ordinaire les bras pleins et les poches bourrées de provisions de toutes sortes liquides et solides.

      Un des grands plaisirs de M. Houssu était, lorsque ses clients lui en laissaient le temps, de faire lui-même sa cuisine, ne trouvant bon que ce qu'il avait préparé de sa main.

      Lorsque Raphaëlle entra, il était en manches de chemise, occupé à couper du lard en petits morceaux.

      —Tu viens déjeuner avec nous, dit-il gaiement, eh bien, je vais te faire une omelette au lard dont tu me diras des nouvelles; mais qu'est-ce que tu nous apportes de bon?

      Abandonnant son lard, il passa l'inspection des provisions que Raphaëlle venait de poser sur sa table.

      —Un jambon de Reims, bonne affaire, voilà qui change ma stratégie culinaire, c'est un renfort qui arrive à un général au moment de livrer bataille; je vais mettre quelques tranches de jambon

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