Voyages dans la basse et la haute Egypte pendant les campagnes de Bonaparte en 1798 et 1799. Vivant Denon

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Voyages dans la basse et la haute Egypte pendant les campagnes de Bonaparte en 1798 et 1799 - Vivant Denon

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rues étroites et aussi désertes. En traversant Alexandrie, je me rappelai, et je crus lire la description qu'en a faite Volney; forme, couleur, sensation, tout y est peint à un tel degré de vérité, que, quelques mois après, relisant ces belles pages de son livre, je crus que je rentrais de nouveau à Alexandrie. Si Volney eût décrit ainsi toute l'Égypte, personne n'aurait jamais pensé qu'il fût nécessaire d'en tracer d'autres tableaux, d'en faire de dessin.

      Dans toute la traversée de cette longue ville si mélancolique, l'Europe et sa gaieté ne me fut rappelée que par le bruit et l'activité des moineaux. Je ne reconnus plus le chien, cet ami de l'homme, ce compagnon fidèle et généreux, ce courtisan gai et loyal; ici sombre égoïste, étranger à l'hôte dont il habite le toit, isolé sans cesser d'être esclave, il méconnaît celui dont il défend encore l'asile, et sans horreur il en dévore la dépouille. L'anecdote suivante achèvera de développer son caractère.

      Le jour où je descendis à terre, n'ayant point apporté de linge pour changer, je voulais aller sur la frégate la Junon, que je croyais placée à l'entrée du port; je prends une petite barque turque, et nous voguons vers ce point. Arrivés à la frégate, nous vîmes que ce n'était pas la Junon; on nous en montra une autre en rade à une demi lieue de là. Le soleil se couchait; les deux tiers du chemin étaient faits; je pouvais coucher à bord: nous voilà de nouveau en route. Ce n'était point encore la Junon: elle croisait au large. Il nous fallut donc revenir; mais le vent avait fraîchi; les vagues étaient devenues si hautes que nous ne voyions plus qu'à la dérobée la terre qu'il nous fallait regagner. Mon homme me mit au timon pour ne s'occuper que de la voile.

      Je n'apercevais qu'à peine la direction qu'il me fallait garder; et je commençai alors à sentir que c'était un véritable abandon de soi-même de se trouver à cette heure livré aux vents, au milieu d'une mer agitée, seul avec un homme qui, comme tous ses concitoyens, pouvait bien, sans injustice, haïr les Français, et vouloir s'en venger. J'affectai de la confiance, de la gaieté même, je fis bonne contenance; et enfin nous touchâmes au rivage, objet de tous mes voeux. Mais il était onze heures, j'étais encore à une demi lieue du quartier; j'avais à traverser une ville prise d'assaut le matin, et dont je ne connaissais pas une rue. Aucune offre de récompense ne put persuader mon homme de quitter son bateau pour m'accompagner. J'entrepris seul le voyage, et, bravant les mânes des morts, je traversai le cimetière; c'était le chemin que je savais le mieux: arrivé aux premières habitations des vivants, je fus assailli de meutes de chiens farouches, qui m'attaquaient des portes, des rues, et des toits; leurs cris se répercutaient de maison en maison, de famille en famille; cependant je pus m'apercevoir que la guerre qui m'était déclarée était sans coalition, car dès que j'avais dépassé la propriété de ceux dont j'étais assailli, ils étaient repoussés par ceux qui étaient venus me recevoir à la frontière. Ignorant l'abjection dans laquelle ils vivaient, je n'osais les frapper, dans la crainte de les faire crier, et d'ameuter aussi les maîtres contre moi. L'obscurité n'était diminuée que par la lueur des étoiles, et la transparence que la nuit conserve toujours dans ces climats. Pour ne pas perdre cet avantage, pour échapper aux clameurs des chiens, et suivre une route qui ne pouvait m'égarer, je quittai les rues, et résolus de longer le rivage; mais des murailles et des chantiers qui arrivaient jusqu'à la mer me barraient le passage; enfin passant dans la mer pour éviter les chiens, escaladant les murs pour éviter la mer lorsqu'elle devenait trop profonde, mouillé, couvert de sueur, accablé de fatigue et d'épouvante, j'atteignis à minuit une de nos sentinelles, bien convaincu que les chiens étaient la sixième et la plus terrible des plaies d'Égypte.

      En arrivant le matin au quartier général, je trouvai Bonaparte entouré des grands de la ville et des membres de l'ancien gouvernement; il en recevait le serment de fidélité: il dit au shérif Koraïm: Je vous ai pris les armes à la main, je pourrais vous traiter en prisonnier; mais vous avez montré du courage; et, comme je le crois inséparable de l'honneur, je vous rends vos armes, et pense que vous serez aussi fidèle à la république que vous l'avez été à un mauvais gouvernement. Je remarquai dans la physionomie de cet homme spirituel une dissimulation ébranlée et non vaincue par la généreuse loyauté du général en chef: il ne connaissait pas encore nos moyens, et ne savait pas assez si tout ce qui s'était passé, n'était pas un coup de main; mais quand il vit 30 mille hommes et des trains d'artillerie à terre, il s'attacha à capter Bonaparte, il ne quitta plus le quartier général. Bonaparte était couché qu'il était encore dans son antichambre; chose bien remarquable dans un Musulman.

      Le premier dessin que je fis fut le port neuf, depuis le petit Pharion jusqu'au quartier des Francs, qui était, au temps de Cléopâtre, le quartier délicieux où son palais était bâti, et où était le théâtre.

      Le 5, au matin, j'accompagnai le général dans une reconnaissance: il visita tous les forts, c'est-à-dire des ruines, de mauvaises constructions, où de mauvais canons gisaient sur quelques pierres qui leur servaient d'affût. Les ordres du général furent d'abattre tout ce qui était inutile, de ne raccommoder que ce qui pouvait servir à empêcher l'approche des Bédouins; il porta toute son attention sur les batteries qui devaient défendre les ports.

      Monuments d'Alexandrie.

      Nous passâmes près de la colonne de Pompée. Il en est de ce monument comme de presque toutes les réputations, qui perdent toujours dès qu'on s'approche de ce qui en est l'objet. Elle a été nommée colonne de Pompée dans le quinzième siècle, où les connaissances commençaient à se réveiller de leur assoupissement: les savants, plutôt que les observateurs, se hâtèrent à cette époque d'assigner un nom à tous les monuments; et les noms passèrent sans contradiction de siècle en siècle; la tradition les consacra. On avait élevé à Alexandrie un monument à Pompée; il ne se trouvait plus, on crut le retrouver dans cette colonne. On en a fait, depuis un trophée à Septime Sévère; cependant elle est élevée sur des décombres de l'ancienne ville, et au temps de Septime Sévère la ville des Ptolémées n'était point encore en ruine. Pour faire à cette colonne une fondation solide on a piloté un obélisque, sur le culot duquel on a posé un vilain piédestal, qui porte un beau fût, surmonté d'un chapiteau corinthien lourdement ébauché.

      Si le fût de cette colonne en le séparant du piédestal et du chapiteau a fait partie d'un édifice antique, il en atteste la magnificence et la pureté de l'exécution; il faut donc dire que c'est une belle colonne, et non un beau monument; qu'une colonne n'est point un monument; que la colonne de Ste Marie Majeure, bien qu'elle soit une des plus belles qui existent, n'a point le caractère d'un monument, que ce n'est qu'un fragment; et que si les colonnes Trajane et Antonine sortent de cette catégorie, c'est qu'elles deviennent des cylindres colossaux, sur lesquels est fastueusement déroulée l'histoire des expéditions glorieuses de ces deux empereurs, et que, réduites à leurs simples traits et à leur seule dimension, elles ne seraient plus que de lourds et tristes monuments.

      Les fondations de la colonne de Pompée étant venues à se déchausser, on a cru ajouter à leur solidité en adaptant à la première fondation deux fragments d'obélisque en marbre blanc, le seul monument de cette matière que j'aie vu en Égypte.

      Des fouilles faites à l'entour de la colonne donneraient sans doute des lumières sur son origine; le mouvement du terrain et les formes qu'il laisse voir encore attestent d'avance que les recherches ne seraient pas vaines: elles découvriraient peut-être la substruction et l'atrium du portique auquel a appartenu cette colonne, qui a été l'objet de dissertations faites par des savants qui n'en ont vu que des dessins, ou n'en ont eu que des descriptions de voyageurs; et ces voyageurs ne leur ont pas dit qu'on trouvait près de là des fragments de colonne de même matière et de même diamètre; que le mouvement du sol indique la ruine et l'enfouissement de grands édifices, dont les formes se distinguent à la surface, tels qu'un carré d'une grande proportion, et un grand cirque, dont on pourrait quoiqu'il soit recouvert de sable et de débris, mesurer encore les principales dimensions.

      Après avoir observé que la colonne

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