Voyages dans la basse et la haute Egypte pendant les campagnes de Bonaparte en 1798 et 1799. Vivant Denon

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Voyages dans la basse et la haute Egypte pendant les campagnes de Bonaparte en 1798 et 1799 - Vivant Denon

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de notre sort. Les bâtiments s'approchent, les agrès s'engagent, se déchirent; une demi manoeuvre de la Léoben nous fait présenter son flanc, et le choc est amorti par des roues de trains d'artillerie attachées contre son bordage; elles sont fracassées: les cris de quatre cents personnes, les bras étendus vers le ciel, me font croire un instant que la Léoben est la victime de ce premier choc; nous voulons faire un mouvement pour éviter ou diminuer le second, nous trouvons à tribord l'Artémise qui nous arrivait dans le sens contraire, et, en avant, la proue d'un vaisseau de 74, que nous n'eûmes pas le temps de reconnaître. L'effroi fut à son comble; nous étions devenus un point où tous les dangers se concentraient à la fois. Le second mouvement de la Léoben nous présentait la partie de l'avant; sa vergue de misaine entra sur notre pont. Cet incident, qui pouvait être funeste à bien du monde, tourna à notre avantage; les matelots, et notamment les Turcs qui nous étaient arrivés, se jetèrent sur cette vergue, et firent de tels efforts pour la repousser, que le coup, qui n'était point appuyé par le vent, fut amorti; et cette fois nous en fûmes quittes pour un trou fait dans la partie haute de notre bordage par l'ancre de la Léoben. L'Artémise avait glissé à notre poupe; le vaisseau avait avancé; les efforts pour le débarrasser de la vergue de la Léoben l'avaient repoussé au large, et tous ces dangers, qui s'étaient amoncelés sur nous comme les huées pendant l'orage, se dissipèrent encore plus promptement. Il ne nous resta que la fureur de notre officier de quart, qui aurait voulu que nous eussions tous péri, pour prouver à son camarade que c'était lui qu'il fallait accuser. Nous dûmes notre salut à la faiblesse du vent, et aux trains d'artillerie qui affaiblirent le premier choc. Deux bâtiments marchands qui se heurtent peuvent se faire quelque mal, mais non s'anéantir: il n'en est pas de même de deux vaisseaux de guerre; il est bien rare que l'un ou l'autre ne périsse, et souvent tous les deux.

      Le 21, nous eûmes toute la journée un calme plat, et toute la chaleur du soleil de la fin de Juin au trente-cinquième degré.

      Dans la nuit, une brise nous mit en pleine route. L'ordre de la marche fut changé.

      Le 22, on mit le convoi en avant, l'armée derrière, et nous sur le flanc gauche.

      Les 23, 24, et 25, nous eûmes un temps fait, vent arrière, qui nous eût menés à Candie, si nous n'eussions pas eu notre convoi qu'il fallait attendre à tout moment.

      Les vents de nord et de nord-est sont les vents alizés de la Méditerranée pendant les trois mois de Juin, Juillet et Août; ce qui rend la navigation de cette saison délicieuse pour aller au sud et à l'ouest, mais ce qui en même temps fait dépendre du hasard tous les retours, parce qu'il faut les faire dans les mauvaises saisons.

      Du 25 au 26, nous fîmes quarante-huit lieues par une brise qui était presque du vent. On nous fit signal à onze heures de faire chasse pour trouver la terre; nous découvrîmes la partie de l'ouest de Candie à quatre heures. Je vis le mont Ida de vingt lieues; je le dessinai à quinze; Je n'en voyais que le sommet et la base, le reste de l'île se perdant dans la brume; mais je craignais qu'elle ne m'échappât dans la nuit, et de n'avoir pas pris le contour de la montagne où naquit Jupiter, et qui fut la patrie de presque tous les dieux.

      J'aurais eu le plus grand désir de voir le royaume de Minos, de chercher quelques vestiges du labyrinthe; mais ce que j'avais prévu arriva, l'excellent vent que nous avions nous tint éloignés de l'île.

      Le 27, à cinq heures, je trouvai que nous avions cheminé dans la direction de la côte de l'est sans nous en approcher; le vent avait été si fort pendant la nuit que tout le convoi était dispersé: nous passâmes toute la matinée à le rassembler, et à diminuer de voiles pour l'attendre. C'était pendant cette manoeuvre que, par une brume épaisse, le hasard nous dérobait à la flotte anglaise, qui, à six lieues de distance, gouvernant à l'ouest, allait nous cherchant à la côte du nord.

      Le soir du 28, on nous signala de passer à poupe de l'Orient. Il serait aussi difficile de donner que de prendre une idée exacte du sentiment que nous éprouvâmes à l'approche de ce sanctuaire du pouvoir, dictant ses décrets, au milieu de trois cents voiles, dans le mystère et le silence de la nuit: la lune n'éclairait ce tableau qu'autant qu'il fallait pour en faire jouir. Nous étions cinq cents sur le pont, on aurait entendu voler une mouche; la respiration même était suspendue. On ordonna à notre capitaine de se rendre à bord du commandant. Quelle fut ma joie à son retour, lorsqu'il nous dit que nous étions dépêchés en avant pour aller chercher notre consul à Alexandrie, et savoir si on était instruit de notre marche et quelles étaient les dispositions de cette ville à notre égard; qu'il nous était réservé d'aborder les premiers en Afrique pour y recueillir nos compatriotes, et les mettre à l'abri du premier mouvement des habitants à l'approche de la flotte. Dès cet instant nous déployâmes toutes les voiles pour faire le plus vite qu'il nous serait possible les soixante lieues qui nous restaient à parcourir; mais le vent nous manqua toute la nuit du 28 au 29: nous eûmes quelques heures de brise, et le reste du temps nous ne fîmes de chemin que par le mouvement donné à la mer, et les courants qui portaient sur le point que nous devions atteindre.

      Notre mission, après avoir prévenu les Francs de se tenir sur leurs gardes, était de venir retrouver l'armée qui devait croiser, et nous attendre à six lieues du cap Brûlé. À midi, nous étions à trente lieues d'Alexandrie; à quatre heures les gabiers crièrent terre; à six nous la vîmes du pont: nous eûmes toute la nuit la brise; à la pointe du jour je vis la côte à l'ouest, qui s'étendait comme un ruban blanc sur l'horizon bleuâtre de la mer. Pas un arbre, pas une habitation; ce n'était pas seulement la nature attristée, mais la destruction de la nature, mais le silence et la mort. La gaieté de nos soldats n'en fut pas altérée; un d'eux dit à son camarade en lui montrant le désert: Tiens, regarde, voilà les six arpents qu'on t'a décrétés. Le rire général que fit éclater cette plaisanterie peut servir de preuve que le courage est désintéressé, ou du moins qu'il a sa source dans de plus nobles sentiments.

      Ces parages sont périlleux dans les temps d'orage et dans les brumes de l'hiver, parce qu'alors la côte basse disparaît, et qu'on ne l'aperçoit que lorsqu'il n'est plus temps de l'éviter. Mais le bonheur qui nous accompagnait nous laissa maîtres de manoeuvrer sur le cap Durazzo, que nous cherchions en tirant à l'est quart de sud.

      À dix lieues du cap, à cinq d'Alexandrie, nous vîmes une ruine que l'on appelle la Tour des Arabes; à midi j'en fis un dessin. Cette ruine me parut un carré bastionné; à quelque distance il y a une tour. J'aurais bien désiré pouvoir mieux en distinguer les détails, juger si c'est une fabrique arabe, ou si sa construction est antique, et à quelle antiquité elle appartient; si c'est la Taposiris des anciens, que Procope nous donne comme le tombeau d'Osiris, ou le Chersonesus de Strabon, ou bien Plinthine, dont le golfe tirait son nom. La garnison d'Alexandrie a poussé depuis des reconnaissances jusqu'à ce poste; mais les rapports purement militaires de ces reconnaissances n'ont pu porter aucune lumière sur l'origine de ces ruines, et n'ont fait qu'augmenter la curiosité qu'inspirent leur masse et leur étendue. En général toute cette côte de l'ouest, contenant la petite et la grande Syrte de la Cyrénaïque, autrefois très habitée, qui a eu des républiques, des gouvernements particuliers, est à présent une des contrées les plus oubliées de l'univers, et n'est plus rappelée à notre mémoire que par les superbes médailles qui nous en restent.

      De droite et de gauche notre terre promise nous parut plus aride encore que celle des Juifs. Il est vrai que jusqu'alors elle ne nous avait pas coûté si cher; que, s'il ne nous avait pas plu des cailles toutes rôties, notre manne ne s'était pas corrompue; que nous n'avions pas eu de coliques ardentes et que nous avions encore conservé tout ce qui était tombé aux Israélites; mais au reste les Arabes Bédouins, qui errent sur ces côtes, auraient pu équivaloir à ces fléaux, et nous devenir aussi funestes. On assure cependant que depuis vingt ans ils ont fait un accord avec la factorerie d'Alexandrie, par lequel, après plus ou moins d'avanies, ils rendent les naufragés pour vingt piastres par tête,

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