Césarine Dietrich. George Sand

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Césarine Dietrich - George Sand страница 4

Автор:
Серия:
Издательство:
Césarine Dietrich - George Sand

Скачать книгу

      Elle savait bien ce qu'elle disait là, l'énergique, l'obstinée, la puissante fillette! Elle réunissait en elle la souplesse instinctive de sa mère et l'entêtement voulu de son père. Au dire du vieux médecin de la famille, que je consultais souvent sur le régime à lui faire suivre, elle avait comme une double organisation, toute la patience de la femme adroite pour arriver à ses fins, toute l'énergie de l'homme d'action pour renverser les obstacles et faire plier les résistances.—En ce cas, pensais-je, de quoi donc se tourmente son père? Il la veut forte, elle est invincible. Il cherche à la bronzer, elle est le feu qui bronze les autres. Il prétend lui apprendre à souffrir, comme si elle n'était pas destinée à vaincre! Ceux qui savent dominer souffrent-ils?

      Elle m'effraya; je me promis de la bien étudier avant de me décider à graviter comme un satellite autour de cet astre. Il s'agissait de savoir si elle était bonne autant qu'aimable, si elle se servirait de sa force pour faire le bien ou le mal.

      Cela n'était pas facile à deviner, et j'y consacrai plus d'une année. Un jour, à la campagne, je fus importunée par les cris d'un petit oiseau qu'elle élevait en cage et qui n'avait rien à manger. Comme il troublait la leçon de musique et que d'ailleurs je ne puis voir souffrir, je me levai pour lui donner du pain. Césarine parut ne pas s'en apercevoir; mais après la leçon elle emporta la cage dans sa chambre, et j'entendis bientôt que le jeûne et les cris de détresse recommençaient de plus belle. Je lui demandai pourquoi, puisque cette petite bête savait manger, elle ne lui laissait pas de nourriture à sa portée.

      —C'est bien simple, répondit-elle. S'il peut se passer de moi, il ne se souciera plus de moi.

      —Mais si vous l'oubliez?

      —Je ne l'oublierai pas.

      —Alors c'est volontairement que vous le condamnez au supplice de l'attente et aux tortures de la faim, car il crie sans cesse.

      —C'est volontairement; j'essaye sur lui la méthode de mon père.

      —Non, ceci est une méchante plaisanterie; cette méthode n'est pas applicable aux êtres qui ne raisonnent pas. Dites plutôt que vous aimez votre oiseau d'une amitié égoïste et cruelle. Peu vous importe qu'il souffre, pourvu qu'il s'attache à vous. Prenez garde de traiter de même les êtres de votre espèce!

      —En ce cas, dit-elle en riant, ma méthode diffère de celle de mon père, puisqu'elle ne s'applique qu'aux êtres qui ne raisonnent pas.

      J'essayai de lui prouver qu'il faut rendre heureux les êtres dont on se charge, même les plus infimes, et surtout les plus faibles.

      —Qu'est-ce que le bonheur d'un être qui ne songe qu'à manger? reprit-elle en haussant doucement les épaules.

      —C'est de manger. Les enfants à la mamelle n'ont point d'autre souci.

       Faut-il les faire jeûner pour qu'ils s'attachent à leur nourrice?

      —Mon père doit le penser.

      —Il ne le pense pas, vous ne le pensez pas non plus. Pourquoi cette taquinerie obstinée contre votre père absent? Admettons que sa méthode ne soit pas incontestable….

      —Voilà ce que je voulais vous faire dire!

      —Et c'est pour cela que vous torturiez votre petit oiseau?

      —Non, je n'y songeais pas; je voulais me rendre nécessaire, moi exclusivement, à son existence; mais c'est prendre trop de peine pour une aussi sotte bête, et, puisqu'il a des ailes, je vais lui donner la volée.

      —Attendez! Dites-moi toute votre idée; en le rendant à la liberté, faites-vous un sacrifice?

      —Ah! vous voulez me disséquer, ma bonne amie?

      —Je tiens à ce que vous vous rendiez compte de vous-même.

      —Je me connais.

      —Je n'en crois rien.

      —Vous pensez que c'est impossible à mon âge? Est-ce que vous ne m'y poussez pas en m'interrogeant sans cesse? Cette curiosité que vous avez de moi me force à m'examiner du matin au soir. Elle me mûrit trop vite, je vous en avertis; vous feriez mieux de ne pas tant fouiller dans ma conscience et de me laisser vivre, j'en vaudrais mieux. Je deviendrai si raisonnable avec vos raisonnements que je ne jouirai plus de rien. Ah! maman me comprenait mieux. Quand je lui faisais des questions, elle me répondait:

      «—Tu n'as pas besoin de savoir.

      «Et si elle me voyait réfléchir, elle me parlait des belles robes de ma poupée ou des miennes; elle voulait que je fusse une femme et rien de plus, rien de mieux. Mon père veut que je pense comme un homme, et vous, vous rêvez de m'élever à l'état d'ange. Heureusement je sais me défendre, et je saurai me faire aimer de vous comme Je suis.

      —C'est fait, je vous aime; mais vous l'avez compris, je vous veux parfaite, vous pouvez l'être.

      —Si je veux, peut-être; mais je ne sais pas si je le veux, j'y penserai.

      Ainsi je n'avais jamais le dernier mot avec elle, et c'était à recommencer toutes les fois qu'une observation sur le fond de sa pensée me paraissait nécessaire. L'occasion était rare, car à la surface et dans l'habitude de la vie elle était d'une égalité d'humeur incomparable, je dirais presque invraisemblable à son âge et dans sa position. Jamais je n'eus à lui reprocher un instant de langueur, une ombre de résistance dans ses études. Elle était toujours prête, toujours attentive. Sa compréhension, sa mémoire, la logique et la pénétration de son esprit tenaient du prodige. Elle me paraissait dépourvue d'enthousiasme et de sensibilité» mais elle avait un grand sens critique, un grand mépris pour le mal, une si haute probité d'instincts qu'elle ne comprenait pas que l'héroïsme parût difficile et méritât de grandes louanges. J'osais à peine solliciter son admiration pour les grands caractères et les grandes actions; elle semblait me dire:

      —Que trouvez-vous donc là d'étonnant? est-ce que vous ne seriez pas capable de ces choses si naturelles?

      Ou bien:

      —Me croyez-vous inférieure à ces hautes natures qui vous confondent?

      Tant que l'on ne s'attaquait pas à son for intérieur, elle était calme, polie, délicate et charmante. Elle avait des prévenances irrésistibles, des louanges fines, des élans de tendresse apparente, et, si parfois elle était mécontente de moi, je ne m'en apercevais qu'à un redoublement de déférence et d'égards.

      Comment gouverner, comment espérer de modifier une telle personne? J'avais lutté contre moi-même dans ma vie de revers et de douleur. Je ne m'étais jamais exercée à lutter contre les autres. Ce qui me consolait de mon impuissance, c'est que M. Dietrich, avec toute l'énergie acquise dans sa vie de travail et de calcul, n'avait pas plus de prise que moi sur les convictions de sa fille.

      Ces convictions étaient fort mystérieuses, je ne réussissais pas à m'en emparer, tant elles étaient contradictoires. À l'heure qu'il est, je ne saurais dire encore si le désordre de ses assertions sur elle-même tenait à l'incertitude où flotte une vive intelligence en voie d'éclosion trop rapide, ou bien simplement au besoin de prendre le contre-pied de ce qu'on voulait lui persuader. Cette grande logique qu'elle portait dans l'étude disparaissait de son caractère dans l'application. Elle avait des

Скачать книгу