LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан
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« Ah ! Non, non ! fit-il en se redressant d’un coup. S’il n’y avait que moi, peut-être !… mais il y a Geneviève, Geneviève, qu’il faut sauver cette nuit… Après tout, rien n’est perdu… Si l’autre s’est éclipsé tout à l’heure, c’est qu’il existe une seconde issue dans les parages. Allons, allons, Weber et sa bande ne me tiennent pas encore. »
Déjà il explorait le tunnel, et, sa lanterne en main, étudiait les briques dont les parois étaient formées, quand un cri parvint jusqu’à lui, un cri horrible, abominable, qui le fit frémir d’angoisse.
Cela provenait du côté de la trappe. Et il se rappela soudain qu’il avait laissé cette trappe ouverte alors qu’il avait l’intention de remonter dans la villa des Glycines. Il se hâta de retourner, franchit la première porte. En route, sa lanterne étant éteinte, il sentit quelque chose, quelqu’un plutôt qui frôlait ses genoux, quelqu’un qui rampait le long du mur. Et aussitôt, il eut l’impression que cet être disparaissait, s’évanouissait, il ne savait pas où. À cet instant, il heurta une marche.
« C’est là l’issue, pensa-t-il, la seconde issue par où il passe. »
En haut, le cri retentit de nouveau, moins fort, suivi de gémissements, de râles… Il monta l’escalier en courant, surgit dans la salle basse et se précipita sur le baron. Altenheim agonisait, la gorge en sang. Ses liens étaient coupés, mais les fils de fer qui attachaient ses poignets et ses chevilles étaient intacts. Ne pouvant le délivrer, son complice l’avait égorgé.
Sernine contemplait ce spectacle avec effroi. Une sueur le glaçait. Il songeait à Geneviève emprisonnée, sans secours, puisque le baron, seul, connaissait sa retraite.
Distinctement il entendit que les agents ouvraient la petite porte dérobée du vestibule. Distinctement, il les entendit qui descendaient l’escalier de service.
Il n’était plus séparé d’eux que par une porte, celle de la salle basse où il se trouvait. Il la verrouilla au moment même où les agresseurs empoignaient le loquet. La trappe était ouverte à côté de lui… C’était le salut possible, puisqu’il y avait encore la seconde issue.
« Non, se dit-il, Geneviève d’abord. Après, si j’ai le temps, je songerai à moi… »
Et, s’agenouillant, il posa la main sur la poitrine du baron. Le cœur palpitait encore. Il s’inclina davantage :
– Tu m’entends, n’est-ce pas ?
Les paupières battirent faiblement.
Il y avait un souffle de vie dans le moribond. De ce semblant d’existence, pouvait-on tirer quelque chose ?
La porte, dernier rempart, fut attaquée par les agents. Sernine murmura :
– Je te sauverai… j’ai des remèdes infaillibles… Un mot, seulement… Geneviève ?…
On eût dit que cette parole d’espoir suscitait de la force. Altenheim essaya d’articuler.
– Réponds, exigeait Sernine, réponds et je te sauve… C’est la vie aujourd’hui… la liberté demain… Réponds !
La porte tremblait sous les coups.
Le baron ébaucha des syllabes inintelligibles. Penché sur lui, effaré, toute son énergie, toute sa volonté tendues, Sernine haletait d’angoisse. Les agents, sa capture inévitable, la prison, il n’y songeait même pas… mais Geneviève… Geneviève mourant de faim, et qu’un mot de ce misérable pouvait délivrer !…
– Réponds… il le faut…
Il ordonnait, il suppliait. Altenheim bégaya, comme hypnotisé, vaincu par cette autorité indomptable :
– Ri… Rivoli…
– Rue de Rivoli, n’est-ce pas ? Tu l’as enfermée dans une maison de cette rue… Quel numéro ?
Un vacarme… des hurlements de triomphe… la porte s’était abattue.
– Sautez dessus, cria M. Weber, qu’on l’empoigne !… qu’on les empoigne tous les deux !
– Le numéro… réponds… Si tu l’aimes, réponds… Pourquoi te taire maintenant ?
– Vingt… Vingt-sept… souffla le baron.
Des mains touchaient Sernine. Dix revolvers le menaçaient. Il fit face aux agents, qui reculèrent avec une peur instinctive.
– Si tu bouges, Lupin, cria M. Weber, l’arme braquée, je te brûle.
– Ne tire pas, dit Sernine gravement, c’est inutile, je me rends.
– Des blagues ! C’est encore un truc de ta façon…
– Non, reprit Sernine, la bataille est perdue. Tu n’as pas le droit de tirer. Je ne me défends pas.
Il exhiba deux revolvers qu’il jeta sur le sol.
– Des blagues ! reprit M. Weber implacable. Droit au cœur, les enfants ! Au moindre geste : feu ! Au moindre mot : feu !
Dix hommes étaient là. Il en posta quinze. Il dirigea les quinze bras vers la cible. Et, rageur, tremblant de joie et de crainte, il grinçait :
– Au cœur ! À la tête ! Et pas de pitié ! S’il remue, s’il parle… à bout portant, feu !
Les mains dans ses poches, impassible, Sernine souriait. À deux pouces de ses tempes, la mort le guettait. Des doigts se crispaient aux détentes.
– Ah ! ricana M. Weber, ça fait plaisir de voir ça… Et j’imagine que cette fois nous avons mis dans le mille, et d’une sale façon pour toi, monsieur Lupin…
Il fit écarter les volets d’un vaste soupirail, par où la clarté du jour pénétra brusquement, et il se retourna vers Altenheim. Mais, à sa grande stupéfaction, le baron qu’il croyait mort ouvrit les yeux, des yeux ternes, effroyables, déjà remplis de néant. Il regarda M. Weber. Puis il sembla chercher, et, apercevant Sernine, il eut une convulsion de colère. On eût dit qu’il se réveillait de sa torpeur, et que sa haine soudain ranimée lui rendait une partie de ses forces.
Il s’appuya sur ses deux poignets et tenta de parler.
– Vous le reconnaissez, hein ? dit M. Weber.
– Oui.
– C’est Lupin, n’est-ce pas ?
– Oui… Lupin…
Sernine, toujours souriant, écoutait.
– Dieu ! Que je m’amuse ! déclara-t-il.
– Vous avez d’autres choses à dire ? demanda M. Weber qui voyait les lèvres du baron s’agiter désespérément.
– Oui.
– À propos