Théologie hindoue: Le Kama soutra. Vatsyayana
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Ce fait n'est qu'une application particulière de la politique générale des Brahmes qui partout ont flatté les passions et semé la corruption, pour détacher du bouddhisme les populations qu'il avait d'abord conquises.
C'est dans cette même pensée qu'ils ont constitué la grande secte essentiellement panthéiste de Vichnou, et principalement le culte de Krichna. Bien mieux encore que le Sivaïsme, le Vischnouvisme, par sa théorie des incarnations et de l'action continue de Vischnou pour la conversion du monde et par la divination de la vie dans toutes ses manifestations, se prêtait à l'adoption de toutes les divinités, de tous les cultes, de toutes les superstitions aborigènes. Actuellement l'Inde compte plus de 20,000 dieux, la plupart anciennes divinités locales qui sont adorées par les vishnouvistes, en même temps que Vichnou dans ses principales incarnations de Rama et de Krischna et dans ses attributs essentiels de dieu soleil, tel que le conçoivent une grande partie des Hindous, surtout les plus instruits.
Krishna fut un prince, ou chef indigène (le mot krishna veut dire noir), guerrier habile et heureux, qui rendit aux Brahmes des services signalés dans le cours de leurs luttes contre les Kchattrias, et dont les premiers, en récompense, firent une incarnation de Vichnou. Son culte et ses légendes, notamment celles de ses amours avec Radha, furent, dès l'origine, très licencieux, et Krishna fut sans doute tout d'abord le dieu du plaisir. Le Lalita-Vistara (vie poétique de Bouddha) confond Krishna avec Marah, le tentateur, le dieu de la concupiscence. Pour les besoins de leur lutte contre le bouddhisme, les Brahmes relevèrent le culte de Krishna, fort goûté du sensualisme hindou; ils lui laissèrent probablement toute la licence de ses pratiques pour le bas peuple, mais en même temps ils s'efforcèrent de l'entourer aux yeux des classes élevées d'une auréole de mysticisme. Krishna s'élève à une grande hauteur de philosophie religieuse dans le chant du Bien Heureux; soit rencontre fortuite, soit emprunt du philosophe grec, la théorie des divinités secondaires, ministres du dieu principal, est la même dans Platon et dans le poète hindou. On a commenté les amours de Krishna avec Rhada, comme une allégorie figurant le commerce de l'âme avec Dieu. Mais, de même que nous l'avons vu tout à l'heure pour les Tantras et les catéchismes de la Sakty, il faut penser que ce prétendu amour divin n'existait que pour des ascètes, et que, au fond, c'était pour les Brahmes une manière de couvrir d'une apparence de piété l'érotisme du culte.
A mesure que la Bakti s'accentue dans le vichnouvisme et que les mérites de la dévotion sont de plus en plus considérés comme dispensant de tous les autres, la religion de Krishna plonge de plus en plus dans l'érotisme et fait parler davantage à l'amour divin le langage de la passion. Cette tendance se montre avec un éclat incomparable dans le Baghavata pourana et avec plus d'intensité encore dans les remaniements populaires de cet ouvrage répandus dans toute l'Inde, notamment dans le Premsagar Indi (l'Océan d'amour).
Le Baghavata Pourana donne des descriptions très lascives des amours de
Krishna avec les gopies (bergères).
Le poëme lyrique de Gita Govinda (le Chant du pâtre, Krishna) rappelle le Cantique des Cantiques et Lassen ne l'a traduit qu'en latin. Il n'a été dépassé en verve érotique que par l'ode à Priape de Piron. L'érotisme a infecté tous le vichnouvisme; M. Théodore Pavie a vu à Ceylan des scènes répugnantes jusqu'au dégoût. Dans la province de Bombay et au Bengale, les dévots de Krishna, surtout dans les campagnes, ont des réunions de nuit où, en imitation des jeux de Krishna et des Gopies, ils s'exaltent en commun jusqu'à un paroxysme frénétique et une licence sans bornes.
Krishna est le véritable dieu de l'amour pour les Hindous. Quant au dieu Kama, le Cupidon indien, c'est évidemment un emprunt fait aux Grecs. Le mot Kama signifie le plaisir charnel et il est employé dans ce sens par les plus anciens auteurs, en même temps que le Darma (devoir religieux) et I'Artha (la science de la richesse). Ces trois mots forment la trilogie hindoue des mobiles de nos actions. Comme les Hindous sont fort imitateurs, ils ont adopté le Cupidon des Grecs, après l'établissement de ceux-ci dans une partie du Punjab, et lui ont donné le nom déjà bien ancien de Kama. Il figure seulement dans une légende sans doute relativement récente des Pouranas[2].
[Note 2: Le baron d'Ekstein dit: «Les Ariabs ont emprunté aux Cephenès, leurs prédécesseurs dans l'Inde, le dieu Kama, pareil à l'Eros des Grecs; ils l'ont embelli, _bien qu'il n'appartienne pas dans son principe à leur pensée cosmologique et ils l'ont postérieurement reproduit dans le Véda comme il est décrit par Hosunt.]
Les bayadères ne sont pas, comme on pourrait le croire, consacrées au dieu Kama; elles sont les épouses de Soubramaniar, le dieu de la guerre.
Après avoir reçu du paganisme Cupidon, sous le nom de Kama, l'Inde, à son tour, semble lui avoir donné, comme imitation ou importation de ses pratiques de plus en plus corrompues, surtout de celles des saktis de la main gauche, le culte de plus en plus corrompu de Priape, dont le chevalier Richard Payne nous a donné une histoire. En voici quelques traits essentiels.
Avant la célébration d'un mariage, on plaçait la fiancée sur la statue du dieu, le phallus, pour qu'elle fût rendue féconde par le principe divin. Dans un poème ancien sur Priape (Priapi Carmen) on voit une dame présentant au dieu les peintures d'Éléphantis et lui demandant gravement de jouir des plaisirs auxquels il préside, dans toutes les attitudes décrites par ce traité.
Lorsqu'une femme avait rempli le rôle de victime dans le sacrifice à Priape, elle exprimait sa gratitude par des présents déposés sur l'autel, des phallus en nombre égal à celui des officiants du sacrifice. Quelquefois ce nombre était grand et prouvait que la victime n'avait pas été négligée.
Ces sacrifices se faisaient dans des fêtes de nuit, aussi bien que tous ceux offerts aux divinités qui présidaient à la génération. Les dévots à ces divinités s'enfermaient dans les temples et y vivaient dans la promiscuité. Il y avait aussi des initiées dont Pétrone a peint les moeurs dans quelques pages que nous avons résumées.
A Corinthe et à Ereix, ville de Sicile, il y avait des temples consacrés à la prostitution.
Selon l'érudit Larcher, Vénus était la déesse qui possédait le plus grand nombre de temples dans les deux Grèces; on en comptait une centaine. Plusieurs villes de la Grèce, mais surtout Athènes et Corinthe, célébraient ses fêtes avec un nombre de belles femmes qu'on ne pourrait réunir aujourd'hui. Elle était encore plus en honneur à Rome dont elle était considérée comme la mère. Jamais peuple ne porta la sensualité plus loin que les Romains; hommes et femmes de toute condition et de tout rang se livraient avec fureur à tous les débordements.
LITTÉRATURE ÉROTIQUE DE L'INDE.—SON RÔLE RELIGIEUX ET POLITIQUE.—LE KAMA-SOUTRA OU L'ART D'AIMER DE VATSYAYANA.—PLAN DE CET OUVRAGE.
Nous avons vu les Brahmes introduire l'érotisme le plus réaliste dans le culte, dans la religion et dans les livres qui en font partie intégrante, comme les Pouranas, les Tantras, les catéchismes des Saktis, etc. Ils s'en étaient servi, bien avant la venue de Bouddha, pour captiver les populations sujettes et les rallier à leur cause dans leurs luttes contre les Kchattrias. Le bouddhisme conquit l'Inde si complètement