Discours de la méthode. Рене Декарт

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Discours de la méthode - Рене Декарт

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      Mais ce qui prouve le mieux toute l'étendue de l'esprit de Descartes, c'est qu'il est le premier qui ait conçu la grande idée de réunir toutes les sciences, et de les faire servir à la perfection l'une de l'autre. On a vu qu'il avoit transporté dans sa logique la méthode des géomètres; il se servit de l'analyse logique pour perfectionner l'algèbre; il appliqua ensuite l'algèbre à la géométrie, la géométrie et l'algèbre à la mécanique, et ces trois sciences combinées ensemble à l'astronomie. C'est donc à lui qu'on doit les premiers essais de l'application de la géométrie à la physique; application qui a créé encore une science toute nouvelle. Armé de tant de forces réunies, Descartes marche à la nature; il entreprend de déchirer ses voiles, et d'expliquer le système du monde. Voici un nouvel ordre de choses: voici des tableaux plus grands peut-être que ceux que présente l'histoire de toutes les nations et de tous les empires17.

      Qu'on me donne de la matière et du mouvement, dit Descartes, et je vais créer un monde. D'abord il s'élève par la pensée vers les cieux, et de là il embrasse l'univers d'un coup d'oeil; il voit le monde entier comme une seule et immense machine, dont les roues et les ressorts ont été disposés au commencement, de la manière la plus simple, par une main éternelle. Parmi cette quantité effroyable de corps et de mouvements, il cherche la disposition des centres. Chaque corps a son centre particulier, chaque système a son centre général. Sans doute aussi il y a un centre universel, autour duquel sont rangés tous les systèmes de la nature. Mais où est-il, et dans quel point de l'espace? Descartes place dans le soleil le centre du système auquel nous sommes attachés. Ce système est une des roues de la machine: le soleil est le point d'appui. Cette grande roue embrasse dix-huit cent millions de lieues dans sa circonférence, à ne compter que jusqu'à l'orbe de Saturne. Que seroit-ce si on pouvoit suivre la marche excentrique des comètes! Cette roue de l'univers doit communiquer à une roue voisine, dont la circonférence est peut-être plus grande encore; celle-ci communique à une troisième, cette troisième à une autre, et ainsi de suite dans une progression infinie, jusqu'à celles qui sont bornées par les dernières limites de l'espace. Toutes, par la communication du mouvement, se balancent et se contre-balancent, agissent et réagissent l'une sur l'autre, se servent mutuellement de poids et de contre-poids, d'où résulte l'équilibre de chaque système, et, de chaque équilibre particulier, l'équilibre du monde. Telle est l'idée de cette grande machine, qui s'étend à plus de centaines de millions de lieues que l'imagination n'en peut concevoir et dont toutes les roues sont des mondes combinés les uns avec les autres.

      C'est cette machine que Descartes conçoit, et qu'il entreprend de créer avec trois lois de mécanique. Mais auparavant il établit les propriétés générales de l'espace, de la matière et du mouvement. D'abord, comme toutes les parties sont enchaînées, que nulle part le mécanisme n'est interrompu, et que la matière seule peut agir sur la matière, il faut que tout soit plein. Il admet donc un fluide immense et continu, qui circule entre les parties solides de l'univers; ainsi le vide est proscrit de la nature. L'idée de l'espace est nécessairement liée à celle de l'étendue, et Descartes confond l'idée de l'étendue avec celle de la matière: car on peut dépouiller successivement les corps de toutes leurs qualités; mais l'étendue y restera, sans qu'on puisse jamais l'en détacher. C'est donc l'étendue qui constitue la matière, et c'est la matière qui constitue l'espace. Mais où sont les bornes de l'espace? Descartes ne les conçoit nulle part, parce que l'imagination peut toujours s'étendre au-delà. L'univers est donc illimité: il semble que l'âme de ce grand homme eût été trop resserrée par les bornes du monde; il n'ose point les fixer. Il examine ensuite les lois du mouvement: mais qu'est-ce que le mouvement? c'est le plus grand phénomène de la nature, et le plus inconnu. Jamais l'homme ne saura comment le mouvement d'un corps peut passer dans un autre. Il faut donc se borner à connoître par quelles lois générales il se distribue, se conserve ou se détruit; et c'est ce que personne n'avoit cherché avant Descartes. C'est lui qui le premier a généralisé tous les phénomènes, a comparé tous les résultats et tous les effets, pour en extraire ces lois primitives: et puisque dans les mers, sur la terre et dans les cieux, tout s'opère par le mouvement, n'étoit-ce pas remettre aux hommes la clef de la nature? Il se trompa, je le sais; mais, malgré son erreur, il n'en est pas moins l'auteur des lois du mouvement: car, pendant trente siècles, les philosophes n'y avoient pas même pensé; et dès qu'il en eut donné de fausses, on s'appliqua à chercher les véritables. Trois mathématiciens célèbres les trouvèrent en même temps: c'étoit l'effet de ses recherches et de la secousse qu'il avoit donnée aux esprits. Du mouvement il passe à la matière, chose aussi incompréhensible pour l'homme. Il admet une matière primitive, unique, élémentaire, source et principe de tous les êtres, divisée et divisible à l'infini; qui se modifie par le mouvement; qui se compose et se décompose; qui végète ou s'organise; qui, par l'activité rapide de ses parties, devient fluide; qui, par leur repos, demeure inactive et lente; qui circule sans cesse dans des moules et des filières innombrables, et, par l'assemblage des formes, constitue l'univers: c'est avec cette matière qu'il entreprend de créer un monde. Je n'entrerai point dans le détail de cette création. Je ne peindrai point ces trois éléments si connus, formés par des millions de particules entassées, qui se heurtent, se froissent et se brisent; ces éléments emportés d'un mouvement rapide autour de divers centres, et marchant par tourbillons; la force centrifuge qui naît du mouvement circulaire; chaque élément qui se place à différentes distances, à raison de sa pesanteur; la matière la plus déliée qui se précipite vers les centres et y va former des soleils; la plus massive rejetée vers les circonférences; les grands tourbillons qui engloutissent les tourbillons voisins trop foibles pour leur résister, et les emportent dans leurs cours; tous ces tourbillons roulant dans l'espace immense, et chacun en équilibre, à raison de leur masse et de leur vitesse. C'est au physicien plutôt qu'à l'orateur à donner l'idée de ce système, que l'Europe adopta avec transport, qui a présidé si long-temps au mouvement des cieux, et qui est aujourd'hui tout-à-fait renversé. En vain les hommes les plus savants du siècle passé et du nôtre, en vain les Huygens, les Bulfinger, les Malebranche, les Leibnitz, les Kircher et les Bernoulli ont travaillé à réparer ce grand édifice; il menaçoit ruine de toutes parts, et il a fallu l'abandonner. Gardons-nous cependant de croire que ce système, tel qu'il est, ne soit pas l'ouvrage d'un génie extraordinaire. Personne encore n'avoit conçu une machine aussi grande ni aussi vaste; personne n'avoit eu l'idée de rassembler toutes les observations faites dans tous les siècles, et d'en bâtir un système général du monde; personne n'avoit fait un usage aussi beau des lois de l'équilibre et du mouvement; personne, d'un petit nombre de principes simples, n'avoit tiré une foule de conséquences si bien enchaînées. Dans un temps où les lois du mécanisme étoient si peu connues, où les observations astronomiques étoient si imparfaites, il est beau d'avoir même ébauché l'univers. D'ailleurs tout sembloit inviter l'homme à croire que c'étoit là le système de la nature; du moins le mouvement rapide de toutes les sphères, leur rotation sur leur propre centre, leurs orbes plus ou moins réguliers autour d'un centre commun, les lois de l'impulsion établies et connues dans tous les corps qui nous environnent, l'analogie de la terre avec les cieux, l'enchaînement de tous les corps de l'univers, enchaînement qui doit être formé par des liens physiques et réels, tout semble nous dire que les sphères célestes communiquent ensemble, et sont entraînées par un fluide invisible et immense qui circule autour d'elles. Mais quel est ce fluide? quelle est cette impulsion? quelles sont les causes qui la modifient, qui l'altèrent et qui la changent? comment toutes ces causes se combinent ou se divisent-elles pour produire les plus étonnants effets? C'est ce que Descartes ne nous apprend pas, c'est ce que l'homme ne saura peut-être jamais bien; car la géométrie, qui est le plus grand instrument dont on se serve aujourd'hui dans la physique, n'a de prise que sur les objets simples. Aussi Newton, tout grand qu'il étoit, a été obligé de simplifier l'univers pour le calculer. Il a fait mouvoir tous les astres dans des espaces libres: dès lors plus de fluide, plus de résistances, plus de frottements; les liens qui unissent ensemble toutes

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