Les crimes de l'amour. Маркиз де Сад
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Le baron de Castelnau, l'un des plus illustres de la faction et dont nous allons raconter les aventures, eut pour son département la Gascogne; Mazères, le Béarn; Mesmi, le Périgord et le Limousin; Maille-Brézé, le Poitou; Mirebeau, la Saintonge; Coqueville, la Picardie; Ferriere-Maligni, la Champagne, la Brie et l'Ile-de-France; Mouvans la Provence et le Dauphiné, et Château-Neuf, le Languedoc.
Nous citons ces noms, pour faire voir quels étaient les chefs de cette entreprise, et les rapides progrès de cette réforme qu'on avait l'inepte barbarie de croire digne des mêmes supplices que le meurtre ou le parricide, tant l'intolérance était à la mode pour lors.
Quoi qu'il en fût, tout se tramait avec tant de mystère, ou les Guise étaient si mal informés, que malgré les avis qu'ils recevaient de toutes parts ils étaient au moment d'être surpris dans Blois, et ils allaient l'être assurément, sans une trahison.
Pierre des Avenelles, avocat, chez qui la Renaudie était venu se loger à Paris quoique protestant lui-même, dévoila tout au duc de Guise. On frémit.
Le chancelier Olivier reprocha aux deux frères une sécurité dans laquelle ils n'eussent pas été, si l'on avait écouté ses conseils. Catherine trembla, et dès l'instant on quitta Blois, dont la position ne paraissait pas assez sûre, pour se rendre au château d'Amboise, qui, jadis une place du premier ordre, parut suffisant pour mettre la cour à l'abri d'un coup de main.
Une fois là, l'on tint conseil; l'on fit ce que Charles XII de Suède disait d'Auguste, roi de Pologne, qui, pouvant le prendre, l'avait manqué et avait aussitôt assemblé son conseil. «Il délibère aujourd'hui, disait Charles, sur ce qu'il aurait dû faire hier.»
Il en fut de même à Amboise. Le cardinal, en zélé papiste, prétendait tout exterminer. C'était le seul argument de Rome.
Le duc, plus politique, crut qu'on perdrait beaucoup de monde en suivant l'avis de son frère et qu'on ne découvrirait rien. Il valait mieux, selon lui, faire arrêter le plus de chefs qu'on pourrait, et obtenir d'eux, par l'aspect des tourments, l'aveu de tant de manœuvres sourdes et mystérieuses, dont il était plus essentiel de dévoiler les causes et les auteurs, que d'égorger sans les entendre, ceux qui soutenaient les unes et qui servaient les autres.
Cet avis prévalut. Catherine créa sur-le-champ le duc de Guise lieutenant-général de France, malgré l'opposition du chancelier, qui, trop sage pour ne pas entrevoir le danger d'une autorité si étendue, ne voulut sceller les patentes, qu'aux conditions qu'elles seraient circonscrites au seul instant des troubles.
Le duc de Guise redoutait les Chatillon; il y avait tout à craindre pour le parti du roi, s'ils étaient malheureusement à la tête des protestants. Sachant ces neveux du connétable bien avec la reine, il engagea Catherine à les sonder. L'amiral de Coligni ne déguisa point les risques qu'il y avait, si l'on continuait d'employer avec les religionnaires la rigueur dont faisaient usage les Guise; il dit «que l'on devait savoir que les supplices et la voie des contraintes étaient plus propres à révolter les esprits, qu'à les ramener dans le droit chemin; que l'on pouvait, au surplus, compter assurément sur ses frères, et qu'il répondait à la reine, qu'eux et lui, seraient, dans tous les temps, prêts à donner au souverain les plus grandes preuves de leur zèle.»
À ces témoignages satisfaisants, il joignit le conseil d'un édit qui tolérerait la liberté de conscience; il assura que ce serait le seul moyen de tout calmer. Cet avis passa: l'édit fut publié; il accordait une amnistie générale à tous les réformés, excepté à ceux qui, sous le prétexte de religion, conspireraient contre le gouvernement.
Mais tout cela venait trop tard. Dès le 11 de mars, les religionnaires s'étaient assemblés à très peu de distance de Blois. Ne trouvant plus la cour où ils la croyaient, ils comprirent aisément qu'ils étaient trahis; cependant les préparatifs étaient faits; les différents corps attendus ne jugeant pas à propos de reculer, ils ne voulurent même admettre d'autres délais à l'entreprise, que le peu de jours qu'il fallait pour s'approcher d'Amboise et pour en reconnaître les environs.
Condé venait d'arriver dans cette ville; il lui avait été facile de voir, en y entrant, qu'il était vivement soupçonné; il crut se déguiser par des propos dont on ne fut pas dupe. Il affecta de paraître plus empressé que qui que ce fût, à l'extinction des protestants, et par cette ruse peu naturelle, il ne satisfit nullement le parti du roi, et se fit soupçonner par le sien.
Cependant les dispositions du parti opposé continuaient de se faire avec vigueur. Le baron de Castelnau-Chalosse s'approchant du coté de Tours avec les troupes de la province qui lui étaient départie, avait près de lui deux personnages, dont il est temps de donner l'idée.
L'un était Raunai, jeune héros, d'une figure charmante, plein d'esprit, d'ardeur et de zèle; il commandait sous le baron; l'autre était la fille de ce premier chef, dont Raunai, depuis l'enfance, était éperdument amoureux.
Juliette de Castelnau, âgée de vingt ans, était l'image de Bellone; grande, faite comme les Grâces, les traits nobles, les plus beaux cheveux bruns, de grands yeux noirs pleins d'éloquence et de vivacité, la démarche fière, rompant une lance au besoin comme le plus brave guerrier de la nation, se servant de toutes les armes en usage alors avec autant de dextérité que de souplesse; bravant les saisons, affrontant les dangers, courageuse, spirituelle, entreprenante, d'un caractère altier, ferme mais franc, incapable de fraude, et d'un zèle au-dessus de tout pour la religion protestante, c'est-à-dire, pour celle de son père et de son amant.
Cette héroïne n'avait jamais voulu se séparer de deux objets si chers; et le baron, lui connaissant de l'adresse, une intelligence infinie, persuadé qu'elle pourrait devenir utile aux opérations, avait consenti à lui en voir partager les risques. Ne devait-il pas, d'ailleurs être bien plus sûr de Raunai, quand ce jeune guerrier, combattant aux yeux de sa maîtresse, aurait pour récompense les lauriers que cette belle fille lui préparerait chaque jour?
Dans le dessein de reconnaître les environs, Castelnau, Juliette et Raunai s'étaient avancés un matin, suivis de très peu de gens de guerre, jusque dans l'un des faubourgs de la ville de Tours.
Le comte de Sancerre, détaché d'Amboise, venait de battre ces quartiers, lorsqu'on lui dit que quelques protestants se trouvent près de là.
Il vole au faubourg indiqué, et pénétrant à la hâte dans l'appartement du baron, il lui demande ce qu'il vient faire dans cette ville... la raison qui l'y amène avec des soldats, et s'il ignore que le port d'armes est défendu?
Castelnau répond qu'il va à la cour pour des affaires dont il n'a nul compte à rendre, et que s'il était vrai que quelques motifs de rébellion l'y conduisissent, il n'aurait pas sa fille avec lui.
Sancerre, peu satisfait de cette réponse, est obligé d'exécuter ses ordres. Il commande à ses soldats d'arrêter le baron; mais celui-ci sautant sur ses armes, seulement aidé de Juliette et de Raunai, a bientôt écarté le peu de monde que lui oppose le comte. Tous trois s'évadent; et Sancerre ayant, dans ce cas-ci, préféré la sagesse et la prudence à la valeur qui le distinguait ordinairement, Sancerre, qui sait que dans des troubles intérieurs, la victoire appartient plutôt à celui qui épargne le sang qu'à l'imprudent qui le prodigue, revient sans honte dans Amboise, rendre compte aux Guise de son peu de succès.
Sancerre, vieil officier, plein de mérite, ami des Guise, mais franc, loyal, ce qu'on appelle un véritable Français, n'avait pourtant pas été assez occupé de son expédition, qu'il n'eût eu le temps d'apercevoir les attraits de Juliette; il en fit les plus grands éloges au duc.
Après