Les crimes de l'amour. Маркиз де Сад
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Ce discours, prononcé d'une voix ferme et d'un maintien assuré, soutenu des grâces nobles de cette fille intéressante, acheva d'enflammer le duc; mais cherchant à déguiser son trouble sous les apparences d'une rigidité feinte:
—Savez-vous, dit-il à Juliette, que vos discours, votre conduite... mon devoir en un mot, me contraindraient de vous envoyer à la mort? Oubliez-vous, impérieuse créature, qu'il ne tient qu'à moi de sévir?
—Avec la même facilité, monsieur le duc, qu'il ne tient qu'à moi de vous mépriser, si vous abusez de la confiance que vous m'avez inspirée par votre lettre à mon père.
—Il n'y a point de serment sacré avec ceux que l'église réprouve.
—Et vous voulez que nous embrassions les sentiments d'une église dont une des premières lois, selon vous, est d'autoriser tous les crimes, en légitimant le parjure?
—Juliette, vous oubliez à qui vous parlez.
—À un étranger, je le sais. Un Français ne m'obligerait pas aux réponses où vous me contraignez.
—Cet étranger est l'oncle de votre roi; il en est le ministre, et vous lui devez tout à ces titres.
—Qu'il en acquiert à mon estime, il ne me reprochera pas de lui manquer.
—J'en désirerais sur votre cœur, dit le duc, en se troublant encore davantage, et réussissant moins à se cacher; il ne tiendrait qu'à vous de me les accorder. Cessez d'envisager dans le duc de Guise, un juge aussi sévère que vous le supposez, Juliette, voyez-y plutôt un amant dévoré du désir de vous plaire et du besoin de vous servir.
—Vous....... m'aimer...... juste ciel! et quelles prétentions pouvez-vous former sur moi, monsieur? Vous êtes enchaîné par les nœuds de l'hymen, et je le suis par les lois de l'amour.
—La seconde difficulté est plus affreuse que l'autre; peut-être vous ferais-je bien des sacrifices.... mais vous seriez loin de vouloir m'imiter.
—Monsieur le duc oublie-t-il que je l'ai supplié de me faire parler à la reine, et que ce n'est que dans cette intention que mon père a permis que je vinsse à Amboise?
—Juliette oublie-t-elle que son père est coupable, et que je n'ai qu'un ordre à donner pour qu'il soit aujourd'hui dans les fers?
—Je me retirerai donc, si vous le permettez, monsieur; car je ne suppose pas que vous abusiez du droit des gens, au point de me retenir ici malgré moi, quand je ne m'y suis rendue que sous votre sauf-conduit?
—Non, Juliette, vous êtes libre; il n'y a que moi qui ne le suis pas devant vous... vous êtes libre, Juliette; mais je vous le redis pour la dernière fois..... je vous adore.... je puis tout pour vous.... il ne sera rien que je n'entreprenne.... ou mon amour, ou ma vengeance.... Choisissez.... Je vous laisse à vos réflexions.
Juliette rentra chez le comte de Sancerre; le connaissant pour un brave militaire, incapable d'une lâcheté ou d'une trahison, elle ne lui cacha pas ce qui venait de se passer. Elle surprit infiniment ce général; il devint prêt à se repentir de s'être mêlé de la négociation.
Juliette demanda au comte, si dans une aussi affreuse circonstance, il ne serait pas mieux qu'elle retournât près du baron de Castelnau.
Monsieur de Sancerre n'osa lui rien conseiller, de peur d'aigrir le duc de Guise; mais il lui dit qu'elle ferait bien d'en demander la permission expresse, soit au duc, soit au cardinal.
Mademoiselle de Castelnau, très-fâchée d'être venue se prendre dans un tel piège, s'adressa au prince de Condé qui, révolté des procédés du duc, lui promit de faire avertir sur-le-champ le baron de tout ce qui se passait.
Mais pendant ce temps, le duc de Guise voyant bien qu'il ne réussirait à vaincre la résistance de Juliette qu'en prenant sur elle un empire assez grand pour lui ôter possibilité des refus, profitant des lumières qu'il acquérait chaque jour sur la force et sur la conduite des réformés, prit la résolution de faire attaquer le baron de Castelnau dans son quartier de Noisai. Il ne doutait pas que s'il parvenait à s'emparer de ce chef, sa fille ne se rendît dès le même instant.
Jacques de Savoie, duc de Nemours, l'un des plus lestes et des meilleurs capitaines du parti des Guise, est aussitôt chargé de l'expédition, et le duc lui recommande, sur toutes choses, de ne blesser ni tuer Castelnau, mais de l'amener vivant dans Amboise, parce qu'étant un des principaux chefs du parti opposé, on attendait de lui les plus sérieux éclaircissements.
Nemours part, il environne Noisai, il se montre de telles forces que Castelnau conçoit l'impossibilité de se défendre; l'oserait-il d'ailleurs dans la sorte de négociation qu'il a eu l'air d'entamer, et sachant encore aux mains des Guise, sa chère Juliette, qui chaque jour lui fait dire de temporiser.
Castelnau propose une conférence, Nemours l'accorde, et demande au baron sitôt qu'il le voit, quel est l'objet de ces dispositions militaires; comment il a pu naître dans l'esprit d'un brave homme comme lui, de n'aborder la cour que les armes à la main, et de renoncer par cette imprudente démarche, à la gloire dont avait toujours joui la nation française d'être, de toutes celles de l'Europe, la plus fidèle à la patrie.
Castelnau répond que loin de renoncer à cette gloire, il travaille à la mériter, que la plus grande preuve de sa soumission est la démarche qu'il a faite en envoyant sa fille unique aux genoux de la reine, qu'un sujet qui se révolte agit rarement de cette manière.
—Mais pourquoi des armes, dit Nemours.
—Ces armes répliqua le baron, n'ont été destinées qu'à nous ouvrir un chemin jusqu'au trône; elles sont faites pour nous venger de ceux qui veulent nous en interdire les abords; qu'on ne nous les ferme plus et nous y arriverons l'olivier à la main.
—Si c'est tout ce que vous désirez, dit Nemours, remettez-moi ces inutiles épées, et je m'offre à vous satisfaire... je me charge de vous conduire au roi.
Le baron accepte, tout se rend, on part pour le quartier royal; et malgré les représentations de Nemours qui réclame hautement devant les Guise la parole qu'il a donnée à ces braves gens, c'est au fond des cachots d'Amboise qu'on a l'infamie de les recevoir.
Heureusement, Raunai, détaché pour lors, n'était pas au château de son général lorsque tout ceci s'était passé.
Trouvant inutile d'y rentrer seul, il fut se joindre à Champs, à Coqueville, à Lamotte, à Bertrand-Chaudieu, qui conduisaient les milices de l'Ile-de-France, et concevant le danger que le baron et Juliette couraient vraisemblablement dans Amboise, il anima ces capitaines à la vengeance et les décida à une tentative dont nous apprendrons bientôt le succès.
Juliette ne tarda pas à savoir le malheureux sort de son père: elle ne douta plus qu'elle ne fût la cause des indignes procédés du duc de Guise.
—Le barbare, s'écria-t-elle, au comte de Sancerre assez généreux pour recevoir ses larmes et pour les partager, croit-il en m'enlevant ce que j'ai de plus