Les crimes de l'amour. Маркиз де Сад

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Les crimes de l'amour - Маркиз де Сад

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répandre autour d'elle, et cette vaillance peu commune, rendait assurément du plus grand intérêt celle qui joignait à toutes les grâces de son sexe, des vertus qui s'y alliaient aussi rarement.

      Monsieur de Guise, curieux de voir cette femme étonnante, conçut aussitôt deux projets pour l'attirer à Amboise: la faire prisonnière, ou profiter de l'ouverture du baron de Castelnau, et lui faire dire que puisqu'il avait assuré Sancerre qu'il n'avait d'autre intention que de parler au roi, il pouvait venir en toute sûreté.

      Ce dernier parti s'adopte de préférence.

      Le duc écrit. Un homme adroit est chargé de la dépêche; précédé d'un trompette, il s'avance avec les formalités ordinaires, et remet sa missive au baron, dans le château de Noisai où il était logé avec les troupes de Gascogne et de Béarn, mandées pour l'expédition d'Amboise.

      Quelques précautions qu'on eût prises avec l'émissaire du duc, il fut facile à celui-ci de s'apercevoir qu'il y avait beaucoup de monde à Noisai; il en rendit compte à son retour, et nous verrons bientôt ce qui en résulta.

      Le baron de Castelnau résolu de profiter de la proposition du duc, tant pour déguiser ses projets que pour se ménager en agissant comme il allait le faire, une correspondance sûre dans Amboise, répondit très-honnêtement que la plus grande preuve qu'il pût donner de son obéissance et de sa soumission, était d'envoyer ce qu'il avait de plus cher au monde; qu'étant, lui personnellement, dans l'impossibilité de se rendre à Amboise, à cause d'une blessure qu'il avait reçue à l'escarmouche de Tours, il envoyait à la reine, Juliette sa fille, chargée par lui d'un mémoire dans lequel il réclamait l'édit de tolérance qui venait d'être publié, et la permission, pour ses confrères et lui, de professer leur culte en paix.

      Juliette partit, munie d'instructions secrètes et de lettres particulières pour le prince de Condé; ce n'était pas sans peine qu'elle avait adopté ce projet: ce qui la séparait de son père et de son amant était toujours si douloureux pour elle que, quelque courageuse qu'elle fût, elle ne s'y résolvait jamais sans des larmes.

      Le baron promit à sa fille d'attaquer quatre jours après la ville d'Amboise, si les négociations qu'elle allait entreprendre étaient infructueuses; et Raunai, aux genoux de sa maîtresse, lui jura de verser tout son sang pour elle, si on lui manquait de respect ou de fidélité.

      Mademoiselle de Castelnau arrive à Amboise; elle y est reçue convenablement, et descendue chez Sancerre, ainsi qu'il avait été convenu, elle se fait aussitôt conduire chez le duc de Guise, le supplie de tenir sa parole, et de lui fournir sur-le-champ l'occasion de se jeter aux pieds de Catherine de Médicis, pour lui présenter les supplications de son père.

      Mais Juliette ne pensait pas qu'elle possédait des charmes qui pouvaient faire négliger bien des engagements.

      Le premier que monsieur de Guise oublia en la voyant, fut la promesse contenue dans ses dépêches au baron; séduit par tant de grâces, son cœur s'ouvrit aux pièges de l'amour, et le duc, auprès de Juliette, ne pensa plus qu'à l'adorer.

      Il lui reprocha d'abord avec douceur de s'être défendue contre les troupes du roi, et lui dit agréablement que quand on était aussi sûre de vaincre, on était doublement punissable du projet de rébellion.

      Juliette rougit; elle assura le duc qu'il s'en fallait bien que son père et elle eussent jamais pris les armes les premiers; mais qu'elle croyait qu'il était permis à tout le monde de se défendre quand on était injustement attaqué. Elle renouvela ses plus vives instances pour obtenir la permission d'être présentée à la reine.

      Le duc qui voulait conserver à Amboise le plus longtemps possible, l'objet touchant de sa nouvelle flamme, lui dit que cela serait difficile de quelques jours.

      Juliette qui prévoyait ce qu'allait entreprendre son père, si elle ne réussissait point, insista. Le duc tint ferme et la renvoya chez le comte de Sancerre, en l'assurant qu'il la ferait avertir dès qu'elle pourrait parler à Médicis.

      Notre héroïne profita de ces délais pour examiner sourdement la place et pour remettre ses lettres au prince de Condé qui, toujours plus circonspect que jamais dans Amboise, et ne cherchant qu'à s'y déguiser, recommanda à Juliette, pour l'intérêt commun, de l'éviter le plus possible et de cacher surtout avec le plus grand soin, qu'elle eût jamais été chargée d'aucunes négociations vis-à-vis de lui.

      Juliette comptant sur la parole du duc, fit dire à son père de temporiser. Le baron la crut, et eut tort.

      Pendant ce temps, la Renaudie, dont on a vu précédemment le zèle et l'activité, perdit malheureusement la vie dans la forêt de Château-Renaud[2]. Tout fut trouvé dans les papiers de la Bigne, son secrétaire; et le duc, plus éclairé dès lors sur la réalité des projets du baron de Castelnau, bien convaincu que les démarches de Juliette n'étaient plus qu'un jeu, ayant plus que jamais le dessein de la conserver près de lui, se résolut enfin à la faire expliquer et à n'agir pour ou contre le père, qu'en raison de ce que répondrait la fille. Il l'envoie prendre.

      —Juliette, lui dit-il d'un air sombre, tout ce qui vient de se passer, me convainc suffisamment que les dispositions de votre père sont bien éloignées d'être telles qu'il vous a plu de me le persuader; les papiers de la Renaudie nous instruisent. À quoi me servirait-il de vous présenter à la reine, et qu'oseriez-vous dire à cette princesse?

      —Monsieur le duc, répond Juliette, je n'imaginais pas que la fidélité d'un homme qui a si bien servi sous vos ordres, qui s'est trouvé dans plusieurs combats à vos côtés, et duquel vous devez connaître les sentiments et le courage, pût jamais vous devenir suspecte.

      —Les nouvelles opinions ont corrompu les âmes; je ne reconnais plus le cœur des Français; tous ont changé de caractère, en adoptant ces coupables erreurs.

      —N'imaginez jamais que pour avoir dégagé votre culte de toutes les inepties dont de vils imposteurs osèrent le souiller, nous en devenions moins susceptibles des vertus qui nous viennent de la nature; la première de toutes dans le cœur d'un Français, est l'amour de son pays. On ne la perd pas, monsieur, cette sublime vertu, pour avoir ramené à plus de candeur et de simplicité, la manière de servir l'Eternel.

      —Je connais vos sophismes à tous, Juliette; c'est sous ces fausses apparences de vertu que vous déguisez tous les vices les plus à redouter dans un état; et dans ce moment-ci, nous le savons, vous ne prétendez à rien moins qu'à culbuter l'administration actuelle, qu'à couronner l'un de vos chefs, et qu'à bouleverser tout en France.

      —Je pardonnerais ces préjugés à votre frère, monsieur; nourri dans le sein d'une religion qui nous déteste, tenant une partie de ses honneurs du chef de cette religion qui nous proscrit, il doit nous juger d'après son cœur..... Mais vous, monsieur le duc, vous qui connaissez les Français, vous qui les avez commandés dans les champs de la gloire, pouvez-vous imaginer que le refus d'admettre telle ou telle opinion, puisse jamais éteindre en eux l'amour de la patrie? Voulez-vous les ramener, ces braves gens, le voulez-vous sincèrement? Montrez-vous plus humain et plus juste; usez de votre autorité pour faire des heureux, et non pour verser le sang de ceux dont tout le tort est de penser différemment que vous. Convainquez-nous, monsieur; mais ne nous assassinez pas: que nos ministres puissent raisonner avec vos pasteurs; et le peuple, éclairé par ces discussions, se rendra sans contrainte aux meilleurs arguments. Le plus mauvais de tous est un échafaud; le glaive est l'arme de celui qui a tort, il est la commune ressource de l'ignorance et de la stupidité; il fait des prosélytes, il enflamme le zèle et ne ramène jamais. Sans les édits des Néron, des Dioclétien, la religion chrétienne serait encore ignorée sur

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