L'hôtel hanté. Уилки Коллинз
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Quel besoin avait-il de se rabaisser aux yeux de son propre domestique? Sa conduite était indigne d'un honnête homme; d'un homme qui l'avait fidèlement servi depuis des années, il venait de faire un espion!
Irrité à cette seule pensée, il courut à l'antichambre et en ouvrit la porte. Le domestique avait disparu; il était trop tard pour le rappeler. Il ne lui restait qu'un moyen d'oublier le mépris qu'il se sentait pour lui-même: le travail. Il monta en voiture et fit ses visites à ses malades.
Si ce fameux médecin avait pu détruire sa réputation, il l'aurait fait cet après-midi même. Jamais encore il ne s'était montré si peu soigneux de ses malades. Jamais encore il n'avait remis au lendemain l'ordonnance qui aurait dû être écrite à l'instant même, le diagnostic qui aurait dû être donné instantanément. Il rentra chez lui de meilleure heure que de coutume, fort mécontent.
Le domestique était de retour. Le docteur Wybrow n'osait plus le questionner; mais avant d'être interrogé, il rendit compte du résultat de sa mission.
«La dame s'appelle la comtesse Narona. Elle demeure à…»
Sans en entendre davantage, le docteur fit un signe de tête comme pour remercier et entra dans son cabinet. L'argent qu'il avait refusé était encore sur la table, dans son petit rouleau de papier blanc. Il le mit sous une enveloppe qu'il cacheta: il le destinait au tronc pour les pauvres du bureau de police voisin; puis, appelant le domestique, il lui donna l'ordre de le porter au magistrat dès le lendemain matin. Fidèle à ses devoirs, le domestique fit la question accoutumée:
«Monsieur dîne-t-il chez lui aujourd'hui?»
Après un moment d'hésitation, le docteur dit:
«Non, je vais dîner au cercle.»
De toutes les qualités morales, celle qui se perd le plus facilement est sans contredit la conscience. L'esprit humain, dans certains cas, n'a pas de juge plus sévère qu'elle; dans d'autres, au contraire, l'esprit et la conscience sont au mieux ensemble et vivent en harmonie comme deux complices. Quand le docteur Wybrow sortit de chez lui pour la seconde fois, il ne chercha même pas à se cacher à lui-même que la seule raison pour dîner au cercle était de chercher à savoir ce que le monde disait de la comtesse Narona.
III
Il fut un temps où l'homme, à l'affût de toutes les médisances recherchait la société des femmes. Maintenant l'homme fait mieux: il va à son cercle et entre dans le fumoir.
Le docteur Wybrow alluma donc son cigare et regarda autour de lui: ses semblables étaient réunis en conclave. La salle était pleine, mais la conversation encore languissante. Le docteur, sans s'en douter y apporta l'entrain qui y manquait. Quand il eut demandé si quelqu'un connaissait la comtesse Narona, il lui fut répondu par une sorte de _tolle _général indiquant l'étonnement. Jamais, telle était du moins l'opinion du conclave, jamais on n'avait encore fait une question aussi absurde! Tout le monde, au moins toute personne ayant la plus petite place dans ce qu'on appelle la société, connaissait la comtesse Narona. Une aventurière à la réputation européenne aussi noire que possible, d'ailleurs, tel fut en trois mots le portrait de cette femme au teint pâle et aux yeux étincelants. Puis, passant aux détails, chaque membre du cercle ajouta un souvenir scandaleux à la liste de ceux qu'on attribuait à la comtesse. Il était douteux qu'elle fût réellement ce qu'elle prétendait être, une grande dame dalmatienne. Il était douteux qu'elle eût jamais été mariée au comte dont elle prétendait être la veuve. Il était douteux que l'homme qui l'accompagnait dans ses voyages, sous le nom de baron Rivar, et en qualité de frère, fût véritablement son frère. On prétendait que le baron était un joueur connu dans tous les tapis verts du continent. On prétendait que sa soi-disant soeur avait été mêlée à une cause célèbre relative à un empoisonnement, à Vienne;— qu'elle était connue à Milan comme une espionne de l'Autriche;— que son appartement à Paris avait été dénoncé à la police comme un véritable tripot, et que son apparition récente en Angleterre était le résultat naturel de cette dernière découverte. Un seul membre de l'assemblée des fumeurs prit la défense de cette femme si gravement outragée, et déclara que sa réputation avait été cruellement et injustement noircie. Mais cet homme était un avocat, son intervention ne servit à rien; on l'attribua naturellement à l'amour de la contradiction qu'éprouvent tous les gens de son métier. On lui demanda ironiquement ce qu'il pensait des circonstances à la suite desquelles la comtesse en était arrivée à promettre sa main; il répondit d'une manière très caractéristique, qu'il pensait que les circonstances auxquelles on faisait allusion n'avaient rien que de fort honorable pour les deux personnes qui y étaient intéressées, et qu'il regardait le futur mari de la dame comme un homme des plus heureux et des plus dignes d'envie. Le docteur provoqua alors un nouveau cri d'étonnement en demandant le nom de la personne que la comtesse allait épouser.
Tous ses amis du fumoir déclarèrent à l'unanimité que_ _le célèbre médecin devait être un frère de la Belle au Bois-Dormant, et qu'il venait à peine de se réveiller d'une léthargie de vingt ans. C'était parfait de dire qu'il était tout à sa profession et qu'il n'avait ni le temps ni le goût de ramasser dans les dîners ou dans les bals les bouts de conversations qui arrivaient à ses oreilles; mais un homme qui ne savait pas que la comtesse Narona avait emprunté de l'argent à Hombourg à lord Montbarry, et l'avait ensuite amené à lui faire une proposition de mariage, n'avait probablement jamais entendu parler non plus de lord Montbarry lui-même. Les plus jeunes membres du cercle, amis de la plaisanterie, envoyèrent le domestique chercher un dictionnaire de la noblesse et lurent pour le docteur, à haute voix, la généalogie de la personne en question, l'agrémentant de commentaires variés qu'ils y intercalaient à l'usage du docteur.
_Herbert John Westwick. _Premier baron Montbarry, de Montbarry, comté du roi en Irlande. Créé pair pour des services militaires distingués dans les Indes. Né en 1812. «Âgé de quarante-huit ans, docteur.» En ce moment non marié. «Sera marié la semaine prochaine, docteur, à la délicieuse créature dont nous avons parlé.» Héritier présomptif: le frère cadet de Sa Seigneurie, Stephen Robert, marié à Ella, la plus jeune fille du révérend Silas Marden, recteur de Rumigate, a trois filles de son mariage. Les plus jeunes frères de Sa Seigneurie, Francis et Henry, non mariés. Soeurs de Sa Seigneurie, lady Barville, mariée à sir Théodore Barville, Bart; et Anne, veuve de feu Peter Narbury, esq., de Narbury Cross. «Retenez bien, docteur, la famille de sa Seigneurie. Trois frères Westwick, Stephen, Francis et Henry; et deux soeurs, lady Barville et Mrs Narbury. Pas un des cinq ne sera présent au mariage, et il n'en est pas un des cinq qui ne fera tout son possible pour l'empêcher, si la comtesse en donne le moindre prétexte. Ajoutez à ces membres hostiles de la famille une autre parente offensée qui n'est pas mentionnée dans le dictionnaire, une jeune demoiselle.»
Un cri soudain de protestation partant de tous les côtés de la salle arrêta la révélation qui allait suivre et délivra le docteur d'une plus longue persécution.
«Ne dites pas le nom de la pauvre fille; c'est de fort mauvais goût de plaisanter sur ce qui lui est arrivé; elle s'est conduite fort bien, malgré les honteuses provocations auxquelles elle a été en butte; il n'y a qu'une excuse pour Montbarry: il est fou ou imbécile.»
C'est en ces termes ou à peu près que chacun s'exprima. En causant intimement avec son plus proche voisin, le docteur découvrit que la dame de laquelle on causait lui était déjà connue par la confession de la comtesse: c'était la personne abandonnée par lord Montbarry. Son nom était Agnès Lockwood. On disait qu'elle était de beaucoup supérieure à la comtesse et qu'elle était en outre de quelques années moins âgée. Faisant