Les douze nouvelles nouvelles. Arsène Houssaye

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Les douze nouvelles nouvelles - Arsène Houssaye

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toujours affamée de curiosité, avait percé son mari à jour; elle trouvait qu'il commençait à rabâcher ses sentiments. Elle avait d'abord voulu l'aimer en français, en latin et en grec, mais il était à bout de science. Dans son culte pour Angèle, il faillit apprendre l'hébreu, après lui avoir conté toutes les passions de Paris, de Rome et d'Athènes. N'allez pas croire que ce fût un perverti. C'était un idéaliste parcourant toute la gamme de l'adoration.

      Autrefois, les grandes passions duraient toujours; témoin Philémon et Baucis, pour ne donner qu'un exemple. Aujourd'hui, la vapeur emporte tout. Léonce eut peur, par les airs distraits de sa femme, de la voir bientôt s'ennuyer dans le tête-à-tête ou de devenir bas-bleu. Il fut le premier à lui conseiller de voir quelques voisins de campagne.

      —Mais, mon cher Léonce, qui voir dans ce pays perdu?

      —M. le curé.

      —Oui, s'il veut que je le confesse.

      —Le notaire.

      —Peut-être, j'ai songé à faire mon testament.

      —Le percepteur des contributions.

      —Oui, je l'ai vu l'autre jour à la messe avec son jeune frère, le sous-lieutenant de chasseurs, qu'il faut inviter aussi.

      —Nous l'inviterons.

      —Vous choisissez bien votre monde, vous allez être jaloux, n'est-ce pas, monsieur mon mari, du notaire, du percepteur et du curé?

      —Jaloux! s'écria le mari. Grâce à Dieu, vous êtes de celles qui commandent le respect.

      —Vous croyez?

      Il faudrait une grande actrice pour bien dire ce mot comme le dit la jeune femme; mais le mari ne comprit pas.

       Table des matières

      Quelques jours après, Mme Léonce Falbert recevait à dîner, dans son incomparable salle à manger des champs, le curé, le notaire, le percepteur et le sous-lieutenant.

      Elle s'étonna d'abord de trouver que ces gens-là n'étaient pas beaucoup plus bêtes que les Parisiens. Il est vrai que le curé avait étudié au séminaire de Saint-Sulpice, le notaire dans une étude de Paris et le percepteur—c'était bien mieux—était né rue Richelieu et avait fait son stage au ministère des finances. Je ne parle pas du sous-lieutenant, qui portait bien sa tête et son sabre.

      On dîna donc gaiement. Angèle trouva que le notaire n'était pas trop timbré et que le percepteur nouait galamment sa cravate blanche. Le curé n'avait pas trop prêché, parce qu'il buvait doctement. Le sous-lieutenant se grisa.

      Quant tout le monde fut parti:

      —Eh bien! Angèle, je suis enchanté de tous les quatre; recommencerons-nous?

      —Toutes les semaines.

      Ce fut avec le curé que le notaire fit la visite «de bonne digestion». Le percepteur vint tout seul.

      Tout justement Léonce venait de partir pour Paris. Aussi Angèle retint-elle le visiteur pendant toute une heure. Était-ce pour lui ou pour son frère?

      Ce magistrat de la cote personnelle était un gamin de Paris qui cassait les vitres sans savoir s'il les payerait. Il ne doutait de rien et s'aventurait en tout. La jeune femme, déjà ennuyée, éprouva un vif plaisir à ce jabotage à la diable.

      Le percepteur avait vu tout de suite qu'on pouvait se risquer à «la blague» avec cette gentille diablesse. Il fut éblouissant contre tout attente, non pas qu'il ne répandît beaucoup de similor dans la causerie, mais, loin de Paris, c'était encore de la vraie monnaie.

      Quand il s'en alla, Angèle sentit le froid tomber autour d'elle.

      Mais, par bonheur, le sous-lieutenant parut à son tour et commença le siège de cette jeune vertu. Angèle lui fit comprendre qu'il ne la prendrait pas d'assaut. Mais elle lui avoua qu'elle aimait à voir les travaux du siège.

      Revint Léonce, plus passionné que jamais. Tout un jour sans voir sa femme! Il la trouva plus distraite que la veille.

      —Angèle, tu ne m'aimes pas?

      Il se jeta à ses pieds et lui montra deux larmes.

      Mais ce n'étaient que deux larmes de mari.

      C'est là pour elle le malheur de ceux qui ne sont pas aimés de s'acharner à leur proie et de vouloir vaincre la nature rebelle. Léonce s'acharna à cette oeuvre maudite, parce qu'il souffrait horriblement.

      —Je veux la vie ou la mort! disait-il, se traînant toujours aux pieds d'Angèle, dans la pâleur d'un condamné qui attend son recours en grâce.

      Obsédée de tant de caresses qui ne portaient pas, de tant de paroles qui ne parlaient pas au coeur, Angèle dit à Léonce:

      —Eh bien! non, je ne t'aime pas!

       Table des matières

      Ce fut comme un coup de couteau. Il sembla à Léonce qu'une lame froide lui perçait le coeur.

      Il foudroya sa femme d'un regard et courut éperdument à travers le parc, déchiré par toutes les bêtes féroces du désespoir.

      Il maudissait cette femme adorée, mais en même temps il s'avouait qu'il ne pourrait pas vivre sans elle.

      L'amour est lâche. Léonce retourna dans le petit salon, où Angèle feuilletait un roman, calme et souriante comme toujours.

      —Angèle, je t'aime! Dis-moi, tu n'as pas voulu me tuer par tes odieuses paroles?

      —Mon cher, vous êtes fou! Ne faudrait-il pas toujours chanter la même chanson? Pour Dieu! laissez-moi respirer.

      Il lui arracha le livre des mains.

      —Le roman n'est pas là, lui dit-il.

      Mais elle se leva furieuse et ressaisit les pages à moitié déchirées.

      Il n'y avait plus rien à dire. Léonce alla pleurer tout seul dans son cabinet de travail, se demandant si c'en était fait de son rêve et de lui-même.

      Il ne revit sa femme qu'au dîner, où il hasarda ces mots:

      —Si vous vous ennuyez ici, Angèle....

      —Pas du tout. Si vous vous ennuyez vous-même, vous pouvez retournera Paris pour vos affaires....

      —Mes affaires! je n'en ai qu'une, celle de vivre pour vous et avec vous.

      —Eh! mon Dieu, nous ne faisons pas autre chose depuis trois mois.

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