La cour et la ville de Madrid vers la fin du XVIIe siècle. Madame d' Aulnoy

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La cour et la ville de Madrid vers la fin du XVIIe siècle - Madame d' Aulnoy

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nous jurez sur ce qu'il y a de plus saint, qu'en reconnaissance de la vie que nous vous laissons, vous contribuerez à notre bonheur et que vous souffrirez que nous exécutions ce que nous avons promis.»

      »Le pauvre vieillard était si transi que les paroles lui mouraient dans la bouche; il jura plus qu'on ne le voulait; il se mit à genoux, il baisa plus de cent fois son pouce mis en croix sur un autre de ses doigts, à la manière d'Espagne. Il leur dit néanmoins qu'en tout ce qu'il avait fait, il n'avait envisagé que leurs propres intérêts; que sans cette vue, il devait lui être fort indifférent qu'ils se mariassent à leur fantaisie, et qu'enfin cela était résolu, qu'il ne s'y opposerait de sa vie. Deux de ses domestiques le prirent sous le bras et l'emportèrent plutôt qu'ils ne lui aidèrent à marcher. Alors les cavaliers se voyant libres, se jetèrent entre les bras de leurs maîtresses; ils se dirent les uns aux autres tout ce que la douleur, l'amour et la joie peuvent inspirer dans de pareilles occasions. Mais, en vérité, il faudrait avoir le cœur aussi touché et aussi content qu'était le leur pour redire toutes ces choses. Elles ne sont propres qu'aux personnes plus tendres que vous ne l'êtes, ma chère cousine; dispensez-moi donc de vous en fatiguer. J'étais si fatiguée moi-même de n'avoir pas encore dormi, que je ne les entendais plus que confusément; mais pour ne plus les entendre du tout, je m'enfonçai dans mon lit et je me couvris la tête de ma couverture.

      »Le lendemain, Don Fernand de Tolède m'envoya des vins de liqueur avec une grande quantité de confitures et d'oranges. Dès qu'il crut que l'on me pouvait voir, il y vint. Après l'avoir remercié de son présent, je lui demandai s'il n'avait rien entendu de ce qui s'était passé pendant la nuit; il me dit que non, parce qu'il était dans un autre corps de logis, mais qu'il en avait déjà appris quelque chose. J'allais lui raconter ce que j'en savais, lorsque notre hôtesse entra dans ma chambre. Elle me venait prier de la part des deux cavaliers qui m'avaient fait si grand'peur, l'épée à la main, de vouloir bien recevoir leurs excuses. Elle me dit aussi que deux demoiselles qui étaient proche de Blaye souhaitaient de me faire la révérence. Je répondis à ces honnêtetés comme je devais, et ils ne tardèrent guère sans venir.

      »Que le retour de la joie produit des effets charmants! Je trouvai ces messieurs fort bien faits et ces demoiselles très-aimables; ni les uns ni les autres n'avaient plus sur leurs visages les caractères du désespoir; un air de gaieté était répandu dans leurs actions et dans leurs paroles. L'aîné des deux frères me dit tout ce qu'on peut dire de plus honnête sur la bévue qu'ils avaient faite d'entrer dans ma chambre: il ajouta qu'il avait bien remarqué la peur qu'il m'avait causée; mais qu'il m'avouait que dans ce moment il se possédait si peu, qu'il n'avait su penser à autre chose qu'à secourir sa maîtresse. Vous auriez été blâmable, lui dis-je, si vous aviez pensé à autre chose; cependant, s'il est vrai que vous ayez l'envie de réparer l'alarme que vous m'avez donnée, ne refusez pas de satisfaire ma curiosité, et si ces belles personnes y veulent consentir, apprenez-moi ce qui vous a réduits les uns et les autres aux extrémités où vous avez été. Il les regarda comme pour demander leur approbation, et elles la donnèrent de fort bonne grâce à ce que je souhaitais; il commença ainsi:

      «Nous sommes deux frères, madame, nés à Burgos et d'une des meilleures maisons de cette ville. Nous étions encore fort jeunes lorsque nous restâmes sous la conduite d'un oncle qui prit soin de notre éducation et de notre bien, qui est assez considérable pour n'envier pas celui d'autrui. Don Diègue (c'est le nom de notre oncle) avait lié depuis longtemps une très-étroite amitié avec un gentilhomme qui demeure proche de Blaye, dont le mérite est beaucoup au-dessus de sa fortune; on l'appelle M. de Messignac. Comme notre oncle avait résolu de nous envoyer quelque temps en France, il l'écrivit à son ami qui lui offrit sa maison; il l'accepta avec joie. Il nous fit partir, et il y a un an qu'on nous y reçut avec beaucoup de bonté. Madame de Messignac nous traita comme ses propres enfants; elle en a plusieurs, mais de ses quatre filles, celles que vous voyez, madame, sont les plus aimables. Il aurait été bien difficile de les voir tous les jours, de demeurer avec elles et de se défendre de les aimer éperdument.

      «Mon frère me cacha d'abord sa passion naissante: je lui cachai aussi la mienne; nous étions tous deux dans une mélancolie extrême; l'inquiétude d'aimer sans être aimés et la crainte de déplaire à celles qui causaient notre passion, tout cela nous tourmentait cruellement; mais une nouvelle peur augmenta encore celle que nous avions déjà: ce fut une jalousie effroyable que nous prîmes l'un contre l'autre. Mon frère voyait bien que j'étais amoureux; il crut que c'était de sa maîtresse: je le regardais aussi comme mon rival, et nous avions une haine l'un contre l'autre qui nous aurait portés aux dernières extrémités, si un jour que je m'étais trouvé dans un état à ne pouvoir plus ignorer ma destinée sans mourir de douleur, je ne me fusse déterminé à découvrir mes sentiments à mademoiselle de Messignac; mais comme je n'étais pas assez hardi pour lui parler moi-même, j'écrivis sur des tablettes quelques vers que j'avais faits pour elle et je les glissai dans sa poche; elle ne s'en aperçut point. Mon frère, qui m'observait toujours, le remarqua, et badinant avec elle, il les prit adroitement et trouva que c'était une déclaration d'amour timide et respectueuse que je lui faisais. Il les garda jusques au soir, que m'étant retiré dans ma chambre avec la dernière inquiétude, il vint m'y trouver, et m'embrassant tendrement, il me dit qu'il venait me témoigner l'excès de sa joie de me savoir amoureux de mademoiselle de Messignac.

      »Je demeurai comme un homme frappé de la foudre; je voyais mes tablettes entre ses mains, je me persuadais qu'elle lui en avait fait un sacrifice et qu'il venait insulter à mon malheur. Il connut à mon air et dans mes yeux une partie de ce que je pensais. Détrompez-vous, continua-t-il, elle ne m'a point confié vos tablettes; je les ai prises sans qu'elle ait eu le temps de les voir. Je veux vous servir auprès d'elle; mais, mon cher frère, servez-moi aussi près de sa sœur aînée. Je l'embrassai alors et je lui promis tout ce qu'il voulait; ainsi, mutuellement, nous nous rendions de bons offices l'un à l'autre, et nos maîtresses, qui ne connaissaient point encore le pouvoir de l'amour, commencèrent à s'accoutumer à en entendre parler.

      «Ce serait abuser de votre patience de vous dire, madame, comme nous parvînmes enfin par nos soins et nos assiduités à gagner leurs cœurs. Que d'heureux moments! que de beaux jours! de voir sans cesse ce que l'on aime, d'en être aimé, de se trouver ensemble à la campagne où la vie innocente et champêtre laisse goûter sans trouble les plaisirs d'une passion naissante! C'est une félicité que l'on ne peut exprimer.

      «Comme l'hiver approchait, madame de Messignac fut à Bordeaux, où elle avait une maison; nous l'y accompagnâmes: mais cette maison n'étant pas assez grande pour nous loger avec toute sa famille, nous en prîmes une proche de la sienne.

      «Bien que cette séparation ne fût que pour la nuit, nous ne laissâmes pas de la ressentir vivement; ce n'était plus se trouver à tous moments, nos visites avaient un certain air de cérémonies qui nous alarmait; mais nos alarmes redoublèrent beaucoup lorsque nous vîmes deux hommes riches et bien faits s'attacher à mesdemoiselles de Messignac et attaquer la place en forme; cela s'appelle qu'ils déclarèrent qu'ils prétendaient à l'hyménée et qu'ils furent agréablement écoutés du père et de la mère. O Dieu! que devînmes-nous? Leurs affaires allaient fort vite et nos chères maîtresses, qui partageaient notre désespoir, mêlaient tous les jours leurs larmes avec les nôtres. Enfin, après nous être bien tourmentés et avoir cherché mille moyens inutiles, je me résolus d'aller trouver M. de Messignac. Je lui parlai et je lui dis tout ce que ma passion me put inspirer, pour lui persuader de différer ces mariages. Il me dit qu'il recevait avec reconnaissance les offres que mon frère et moi lui faisions; que n'étant point encore en âge, ce que nous ferions à présent pourrait être cassé dans la suite; qu'il aimait l'honneur; que sa fortune était médiocre, mais qu'il s'estimerait toujours heureux tant qu'il pourrait vivre sans reproche; que mon oncle qui nous avait confiés à lui serait en droit de l'accuser de nous avoir séduits, et qu'en un mot, il n'y fallait pas penser.

      «Je me retirai dans une affliction inconcevable, je la partageai avec mon frère, et ce fut un trouble affreux parmi nous.

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