Le dernier vivant. Paul Feval

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Le dernier vivant - Paul  Feval

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je possédais à l'avance ne m'aidaient en rien à comprendre, mais ils me défendaient le doute.

      Sans eux, j'aurais pu me réfugier dans l'idée que la folie de Lucien avait créé les menaces du drame.

      Mais cela même ne m'était pas permis. Je connaissais l'existence de la tragédie.

      Ma première sensation morale fut l'étonnement de reconnaître si tard en moi la présence d'une curiosité arrivée à l'état de fièvre, mais qui était restée comme assoupie tant que j'avais été en présence de Lucien.

      C'est-à-dire tant que j'avais eu précisément sous la main le vivant moyen de satisfaire cette même curiosité.

      Je ne me souvenais point, en effet, d'avoir éprouvé le besoin d'interroger Lucien pendant ces longues heures où il aurait pu assurément me répondre, puisqu'une éclaircie s'était faite en son cerveau.

      Était-ce la répugnance involontaire que j'avais à pénétrer tout au fond de ce malheur sans issue?

      J'avais écouté Lucien avec une pitié passive, sans arrêter ni presser ses aveux. Dans toute la rigueur du terme, j'avais laissé sa pensée libre d'aller où elle voulait. Pas une seule fois, je n'avais essayé de la diriger vers le nœud même du problème.

      Maintenant qu'il n'était plus temps, je ressentais un regret tardif, mêlé de colère et peut-être de remords, car cette curiosité dont je parle, c'était bien plutôt de l'intérêt.

      Comment servir Lucien, si je restais dans mon ignorance?

      Et Lucien me l'avait dit lui-même quand il avait reconnu les symptômes avant-coureurs de sa crise qui revenait: un long intervalle de temps s'écoulerait peut-être avant que je pusse le retrouver en état de lucidité.

      Et le soupçon me venait que sa phrase pouvait avoir une signification autre et plus grave, car j'avais conscience d'un danger qui le menaçait, d'une surveillance organisée autour de lui, d'une pression exercée sur lui.

      Tout ce qui l'entourait me paraissait étrange; je voyais sa situation inexplicable. J'avais défiance du hasard ou de la cause, quelle qu'elle fût, qui l'avait poussé dans cette maison d'où je sortais la tête brûlante, le cœur glacé, et dont le maître me laissait un souvenir à la fois comique et mauvais.

      J'ai peur des grotesques.

      Je me demandais pourquoi Lucien, malade, était à Paris et non pas en Normandie: pourquoi il était seul, abandonné de sa famille et livré à des soins mercenaires?

      Oui, certes, je pouvais le craindre: Sous la signification triste de la phrase de Lucien, peut-être y avait-il un sens caché plus triste encore.

      Peut-être avait-il voulu dire: «Prends bien vite ce dépôt qu'une lueur de raison me porte à te confier aujourd'hui, car qui sait si demain il ne serait pas trop tard!»

      Et mon imagination une fois partie allait, allait:

      Me laisseraient-ils seulement pénétrer de nouveau jusqu'à lui?...

      Ils qui? Est-ce que je savais!

      Et sous quel prétexte me barrer la porte? Des prétextes! on en trouve ou en fait.

      C'était absurde. Croyez-vous? J'ai vu tant de choses absurdes qui étaient des réalités.

      Notre siècle lumineux qui affecte de mépriser le mélodrame est noir comme de l'encre, par places, et pavé de mélodrames.

      D'ailleurs, j'étais en veine de sombres hypothèses. Sur ma poitrine il y avait un poids qui allait s'alourdissant.

      Une fois, je me dis en tâtant mon dossier sous le drap de ma redingote: J'ai là de quoi éclaircir tous mes doutes.

      Eh bien! non. Ceci va vous donner la mesure exacte de ma situation d'esprit: à l'avance, le dossier lui-même était tenu en suspicion par ma fantaisie, et je pensais: cet homme m'a vu emporter les papiers. Si les papiers contenaient quelque chose d'important, les aurait-il laissé passer?

      En même temps le remords dont je parlais tout à l'heure s'aggravait jusqu'à me troubler cruellement, jusqu'à me faire honte.

      Je me reprochais ma froideur à l'égard de Lucien. Notre entrevue entière passait devant mes yeux sans que j'y pusse découvrir un seul élan de grande affection, une seule promesse de dévouement complet exprimée avec une parcelle de la chaleur qui bouillait désormais en moi.

      Il est bien vrai que j'avais dû écouter surtout; j'étais resté presque muet; la parole était à Lucien Thibaut, qui avait mené l'entretien en maître. Mais est-il besoin de parler beaucoup?

      Il ne faut qu'un instant et qu'un mot pour montrer le fond d'un cœur: je n'avais pas montré le mien.

      Mon malheureux camarade d'enfance pouvait croire que je ne lui avais rien apporté sinon le souvenir attiédi d'une vulgaire amitié.

      Et, chose singulière, je ne pouvais pas rejeter cette crainte loin de moi comme chimérique en faisant appel à la réalité de mon affection, car cette affection, telle que je la ressentais à présent, était toute nouvelle.

      Je ne l'éprouvais pas tout à l'heure, du moins à ce degré.

      Elle venait de naître, cette grande affection; elle datait pour moi du moment où je m'étais recueilli en moi-même au sortir de cette maison qui se dressait sombre et morne derrière moi.

      En mettant le pied dans la rue, je m'étais dit en toute sincérité: Je ferai pour Lucien comme s'il était mon frère.

      Mais c'était la première fois que je me le disais.

      Et Lucien était trop loin pour l'entendre.

      Toutes ces pensées roulaient dans ma tête et y entretenaient une agitation qui allait jusqu'à la souffrance. Sans rien savoir, encore, je me souviens que j'étais prêt à tout; j'avais vaguement la notion d'un lourd devoir qui allait m'incomber, et je l'acceptais sans réserves.

      Je pressentais mon courage comme si j'eusse entendu déjà les bruits prochains du combat.

      Il faisait encore jour, mais l'orage qui menaçait depuis le matin amassait des nuées de plomb au-dessus de ma tête. Le ciel ne donnait qu'une lumière fauve et fausse qui bronzait le profil des maisons. La chaleur était étouffante. Le silence régnait dans la rue déserte où j'entendais mon pas sonner sur le pavé.

      De loin et d'en bas le large murmure de la ville venait.

      Quand je tournai l'angle de la Grande Rue de Paris, la scène changea.

      Ce devait être une fête, je ne sais plus laquelle.

      La solitude des rues transversales augmente, ces jours là, parce que tout ce qui fait foule s'ameute dans les grandes voies où sont les cabarets.

      Tout en haut de Belleville, la joie des ivrognes titubait déjà sur les trottoirs. Les couples montaient et descendaient causant, clamant, chantant.

      Un peu avant d'arriver au théâtre dont les lampions s'allumaient, je reconnus la grosse

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