Le dernier vivant. Paul Feval

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Le dernier vivant - Paul  Feval

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devant moi le malheureux enfant au sourire timide et sans pensée, dont l'aspect avait effrayé mon premier regard.

      Je voulais réagir contre cette perclusion morale, je lui parlai, je l'encourageai, je touchai même à dessein et brutalement la plaie saignante de son âme, tout fut inutile.

      Lucien Thibaut n'était plus là. J'avais affaire à son ombre.

      Cela est vrai si rigoureusement, qu'au bout de quelques minutes il se reprit à parler de lui-même à la troisième personne et comme d'un absent.

      —Te voilà revenu? me dit-il, M. Thibaut ne pourra pas te recevoir aujourd'hui, parce qu'il est indisposé; mais je le remplacerai.

      —Quelle est son indisposition? demandai-je.

      Il prit un air naïvement rusé pour me répondre:

      —La migraine. J'espère que ce ne sera rien.

      Son regard fit le tour de la chambre avec inquiétude.

      —Le moment est bon, murmura-t-il. Je n'entends personne dans le corridor, mais on ne saurait prendre trop de précautions quand il s'agit d'affaires si graves.

      Il alla jusqu'à la porte qu'il ouvrit pour regarder au dehors.

      Puis, satisfait de cet examen, il revint vivement vers le coffre, qui restait ouvert.

      Cette fois, sans chercher aucunement, il y prit un assez volumineux dossier, tout bourré de papiers, qu'il tint à la main d'un air indécis.

      —Consentez-vous à vous charger de cela? me demanda-t-il, cessant de me tutoyer.

      —Volontiers, répondis-je.

      —C'est un dépôt, reprit-il. Promettez-moi de le défendre s'ils essayent de vous l'enlever.

      —Je le promets, dis-je encore.

      Il remit le dossier entre mes mains. Puis avec une politesse cérémonieuse:

      —M. Thibaut vous fait bien tous ses compliments et ses excuses. Il aura l'honneur de vous écrire dès que sa santé le permettra. Il vous recommande ces papiers tout particulièrement, n'en ayant point de double. Tâchez de vous retrouver là-dedans, c'est difficile, mais votre roman était encore plus embrouillé. Il y a une dame qu'il faut tuer, vous savez, parce que la pauvre petite morte ne serait pas en sûreté sans cela. C'est malheureux, mais on ne pouvait les garder toutes les deux, M. Thibaut a dû choisir entre l'ange et le démon.

      Il me salua profondément et de cette façon qui désigne la porte sans équivoque aucune.

      Je sortis. Quelque chose me résista quand je poussai la porte, quelque chose qui obstruait le seuil.

      C'était le Dr Chapart, auteur du sirop, qui venait d'arriver là aux écoutes et que le battant, en s'ouvrant, avait sévèrement souffleté. Je refermai aussitôt la porte pour que Lucien ne s'aperçût de rien et je demandai tout bas:

      —Que faisiez-vous là, Monsieur?

       Table des matières

       Table des matières

      Le Dr Chapart ne fut pas déconcerté le moins du monde. Il me tendit la main comme un effronté gros petit homme qu'il était.

      —Bien le bonsoir, me dit-il en portant l'autre main à sa joue, vous avez failli m'assommer. J'étais là pour ausculter, parbleu! pour ausculter la situation à travers le trou de la serrure. Allez-vous me reprocher mon trop de soins? Ça s'est vu: les clients sont si drôles!

      Je fis un geste pour l'inviter à me livrer passage. Il tenait toute la largeur du corridor.

      Mais il ne bougea pas. J'avais cru voir son regard piqué un instant sur le dossier que j'emportais sous ma redingote où je l'avais dissimulé de mon mieux pour plaire à Lucien. Le docteur poursuivit:

      —Bien gentil garçon, dites donc, ce pauvre malheureux là! Et bien doux aussi, quoiqu'il ait l'idée de tuer une dame. Excusez, c'est sa marotte, chacun à la sienne. Ma femme et ma fille le dorlotent. Ça rime avec marotte. Son cas est drôle et incurable. C'est la manie métapsychique intermittente de ma nouvelle nomenclature. Connaissez-vous mon traité? non? vous devriez l'acheter. J'ai tâché d'amuser les gens du monde. Cas très curieux, très rare et qui m'appartient, M. Thibaut est mon second. Avant lui, j'en avais un autre, mais pas si beau, un major du train d'artillerie qui se battait lui-même comme plâtre parce qu'il se prenait pour sa propre femme. Est-ce assez cocasse? Vous pouvez venir souvent ou rarement, comme vous voudrez. Ici on est libre comme l'air. Je vous présenterai aux dames Chapart. Tiens, tiens....

      Il fit comme s'il apercevait seulement mon dossier, et reprit:

      —Nous emportons des paperasses entre cuir et chair? Ça vous regarde. Seulement, un bon conseil gratis, en usez-vous? Je vous l'offre: quand on n'est ni notaire, ni médecin, ni confesseur, le plus sage est de ne pas fourrer le nez dans les affaires des malades.

      Après une autre poignée de main, il s'effaça pour me laisser passer, et je l'entendis s'éloigner avec son ronflement de toupie.

      Quand j'arrivai dans la rue des Moulins, je m'arrêtai comme étourdi. Je ne sais comment expliquer cela, mais pendant mon énorme visite—elle avait duré plus d'une demi-journée.—c'est à peine si j'avais essayé de réfléchir.

      En somme, j'avais été pris par surprise. Malgré le peu que je savais d'avance sur Lucien, je ne m'attendais à rien de ce que je venais de voir et d'entendre.

      Tout au plus croyais-je retrouver un vieux camarade avec une blessure profonde, mais à demi cicatrisée déjà.

      Et comme, en cas pareil, on essaye volontiers d'oublier, j'avais écarté le côté tragique, me disant que Lucien était sans doute dans quelqu'un de ces embarras auxquels chacun de nous est sujet et qu'on fait cesser soit par une démarche, soit par un prêt d'argent.

      Le mot caractérisant ce que je croyais devoir à Lucien était: consolation plutôt que secours. On voit combien j'étais loin de compte.

      Je m'étais vu tout à coup en face d'une pauvre créature ravagée par un mal mystérieux, d'un être diminué, ruiné, épuisé, et ce vieillard-enfant m'avait paru attaqué d'une folie douce, peu caractérisée et surtout inoffensive, sous laquelle avait percé inopinément une pensée de meurtre.

      Mais cette pensée même s'était exprimée d'une façon si tranquille, si dépourvue de véhémence et de passion que je l'avais à peine prise au sérieux.

      Puis, petit à petit, par une pente insensible, j'étais arrivé, sans secousse ni avertissement, au centre d'une situation tragique dont les détails me

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