Hokousaï. Edmond de Goncourt

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Hokousaï - Edmond de Goncourt

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des dessins innombrables.

      Bientôt (c'est l'habitude là-bas, pour les peintres, de changer perpétuellement de noms), le maître léguait sa signature d'Hokousaï à un de ses élèves qui tenait un restaurant dans le Yoshiwara, le quartier des maisons publiques, et qui peignait dans son établissement des peintures de 16 ken (32 mètres) chaque fois que Hokousaï faisait l'ouverture de réunions d'artistes pour l'adoption de nouvelles signatures.

      À partir de ce temps, il signa ses impressions Sakino Hokousaï, Taïto (ancien Hokousaï Taïto). Il changea encore une fois son nom propre et s'appela Tamé Kazou ou I-itsou.

      N'ayant pas eu assez de temps pour donner les modèles de la peinture à ses élèves, il en fit graver des volumes qui, plus tard, obtinrent beaucoup de succès.

      Il fut encore très habile dans la peinture dite Kiokou yé, peinture de fantaisie, faite avec des objets ou des services de table trempés dans l'encre de Chine, tels qu'une boîte servant de mesure de capacité, des oeufs, des bouteilles[1].

      [Note 1: Hokousaï affirmait par là que l'exécution d'un beau dessin ne tient pas aux instruments de la peinture, à d'excellente pinceaux, mais est tout entière dans l'art de dessiner du peintre.]

      Il peignait encore admirablement bien avec sa main gauche, ou bien de bas en haut. Et sa peinture faite au moyen des ongles de ses doigts était tout à fait étonnante et, quant à ce fait particulier, il fallait être témoin soi-même du travail de l'artiste, sans quoi on eût pris ses peintures à l'ongle pour des peintures faites avec des pinceaux.

      «Après avoir étudié, dit-il quelque part, pendant de longues années, la peinture des diverses écoles, j'ai pénétré leurs secrets et j'en ai recueilli tout ce qu'il y a de meilleur. Rien n'est inconnu pour moi en peinture. J'ai essayé mon pinceau sur tout, et je suis parvenu à réussir tout.» En effet, Hokousaï a peint depuis les images les plus vulgaires, nommées Kamban[2], c'est-à-dire les images-réclames pour les théâtres ambulants, jusqu'aux compositions les plus élevées.

      [Note 2: Kamban, me dit Hayashi, n'est que l'enseigne ou l'affiche d'un marchand quelconque.]

      Ses productions furent même très recherchées par les étrangers, et il y eut une année où l'on exporta ses dessins et ses gravures par centaines, mais presque aussitôt cette exportation fut défendue par le gouvernement de Tokougawa.

      Durant les années de l'ère Témpô (1830-1843), Hokousaï publia, en nombre immense, des nishikiyé, impressions en couleur, et des dessins d'amour ou images obscènes, dites shungwa, d'une coloration admirable, qu'il signait toujours du pseudonyme de Goummatei.

      Le plus grand honneur que cet artiste obtint, durant sa vie, fut que sa célébrité parvint jusqu'à la cour de Tokougawa, et qu'il put étaler son talent sans rival devant le grand prince. Une fois, pendant que le shôgoun faisait sa promenade dans la ville de Yédo, Hokousaï fut invité par le prince à peindre devant lui. Et, sur une immense feuille de papier, avec une brosse à colle, il commença d'abord à tracer des pattes de coq, puis, transformant soudainement le dessin par une couleur d'indigo mis sur les pattes, il en faisait un paysage du fleuve Tatsouta qu'il présentait au prince étonné[3].

      [Note 3: Hayashi s'indigne de la mauvaise traduction de ce passage, et me communique la note suivante: la suite d'un retour de chasse aux faucons, le Shôgoun sur sa route prit plaisir à voir dessiner deux grands artistes du temps, Tani Bountchô et Hokousaï. Bountchô commença et Hokousaï lui succéda. Tout d'abord il dessina des fleurs, des oiseaux, des paysages, puis, désireux d'amuser le Shôgoun, il couvrit le bas d'une immense bande de papier d'une teinte d'indigo, se fit apporter par ses élèves des coqs, dont il plongea les pattes dans la couleur pourpre, les fit courir sur la teinte bleue, et le prince eut l'illusion de voir la rivière Tatsouta avec ses rapides, charriant des feuilles de momiji.

      L'anecdote était racontée par Bountchô à Tanéhiko.]

      Hokousaï avait la manie de changer perpétuellement d'habitation et ne demeura jamais plus d'un ou de deux mois dans le même endroit.

      Hokousaï mourut le 13 avril de la deuxième année de Kayei (1849)[4], à l'âge de 90 ans. Il fut enterré au cimetière du Temple Seikiôji, dans le quartier de Hatchikendera-matchi à Asakousa, où se lit encore son épitaphe.

      [Note 4: Erreur. Hokousaï mourut le 10 mai 1849.]

      La poésie de la dernière heure, qu'il laissa en mourant, fut celle-ci, presque intraduisible en français:

      «Oh! la liberté, la belle liberté, quand on va aux champs d'été pour y laisser son corps périssable»[5]!

      [Note 5: Je donne une traduction plus littérale d'Hayashi de «cette

       poésie de la dernière heure» au chapitre de la mort d'Hokousaï.]

      Hokousaï eut trois filles, dont la plus jeune devint un peintre très habile. Elle épousa Minamisawa, mais divorça. Des nombreux élèves qu'eut Hokousaï, ceux dont les noms furent inscrits dans les chronologies, et connus du public, montent à seize ou dix-sept.

      En 1860, j'ai découvert, et publié d'après le manuscrit des Séances de l'Académie Royale de Peinture, provenant de la bibliothèque d'un portier, ramassée sur les quais, la biographie inédite de Watteau par le comte de Caylus: biographie qu'on croyait perdue et qui manque aux MÉMOIRES INÉDITS SUR LES MEMBRES DE CETTE ACADÉMIE, éditée en 1854. Aujourd'hui je donne pour la première fois, dans une langue de l'Europe, la biographie inconnue d'Hokousaï, le plus grand artiste de l'Extrême-Orient.

      Pour la biographie de ce grand peintre de l'Extrême-Orient, complètement inconnue en Europe, cette brève notice était quelque chose, mais ce n'était vraiment pas assez.

      C'est alors que, dans la patrie d'Hokousaï, se publiait par le Japonais I-ijima Hanjûrô: Katsoushika Hokousaï dén, une biographie du peintre, illustrée de dessins et de portraits, contenant des renseignements du plus haut et du plus intime intérêt.

      Or, la traduction de cette biographie japonaise, était-ce suffisant encore pour faire connaître l'Homme et son OEuvre? Non! Il fallait tenir entre ses mains cette oeuvre presque complète,—et, soit au Japon soit en Europe, il n'existe cette oeuvre, je crois, que chez Hayashi qui, depuis nombre d'années, collectionne son peintre favori. C'est donc sur cette oeuvre, contenant les impressions les plus belles, les petits livres les plus rarissimes, les illustrations des romans, en 90 volumes, les plus complètes, les dessins les plus authentiques, que j'ai pu écrire cette biographie, aidé de l'érudition de ce compagnon de travail qui s'est mis obligeamment à ma disposition et qui, dans de longues et laborieuses séances où j'ai eu l'idée de lui faire traduire les préfaces que Hokousaï a jetées en tête de ses albums, m'a fourni toute la documentation ne se trouvant pas dans le Katsoushika Hokousaï dén, ou dans le Oukiyôyé Rouikô[6] de Kiôdén.

      Auteuil, 20 décembre 1895.

      EDMOND DE GONCOURT.

      [Note 6: Voici la décomposition des cinq mots Oukiyoyé Rouikô: Ouki «qui flotte, qui est en mouvement»—yo «monde»— «dessin» —roui «même espèce»— «recherche». Et rouikô, devenu un seul mot, signifie: «Étude d'ensemble d'une même espèce de choses.»]

      

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