Hokousaï. Edmond de Goncourt
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Dans les deux hémisphères, c'est donc la même injustice pour tout talent indépendant du passé! Voici le peintre qui a victorieusement enlevé la peinture de son pays aux influences persanes et chinoises et qui, par une étude pour ainsi dire religieuse de la nature, l'a rajeunie, l'a renouvelée, l'a faite vraiment toute japonaise; voici le peintre universel qui, avec le dessin le plus vivant, a reproduit l'homme, la femme, l'oiseau, le poisson, l'arbre, la fleur, le brin d'herbe; voici le peintre qui aurait exécuté 30 000 dessins ou peintures[7]; voici le peintre qui est le vrai créateur de l'Oukiyô yé[8], le fondateur de l'ÉCOLE VULGAIRE, c'est-à-dire l'homme qui ne se contentant pas, à l'imitation des peintres académiques de l'école de Tosa, de représenter, dans une convention précieuse, les fastes de la cour, la vie officielle des hauts dignitaires, l'artificiel pompeux des existences aristocratiques, a fait entrer, en son oeuvre, l'humanité entière de son pays, dans une réalité échappant aux exigences nobles de la peinture de là-bas; voici enfin le passionné, l'affolé de son art, qui signe ses productions: fou de dessin… Eh! bien, ce peintre—en dehors du culte que lui avaient voué ses élèves,—a été considéré par ses contemporains comme un amuseur de la canaille, un bas artiste aux productions indignes d'être regardées par les sérieux hommes de goût de l'Empire du Lever du Soleil. Et ce mépris, dont m'entretenait encore hier le peintre américain La Farge, à la suite des conversations qu'il avait eues autrefois au Japon avec les peintres idéalistes du pays, a continué jusqu'à ces derniers jours où, nous les Européens, mais les Français en première ligne[9], nous avons révélé à la patrie d'Hokousaï le grand artiste qu'elle a perdu il y a un demi-siècle.
[Note 7: L'Art Japonais, par GONSE. Paris, Quantin, 1883.]
[Note 8: Hokousaï a pour précurseur Matahei au XVIIe siècle.]
[Note 9: Voir les articles de Burty et de Duret.]
Oui, ce qui fait d'Hokousaï l'un des artistes les plus originaux de la terre: c'est cela qui l'a empêché de jouir de la gloire méritée pendant sa vie, et le DICTIONNAIRE DES HOMMES ILLUSTRES DU JAPON constate que Hokousaï n'a pas rencontré près du public la vénération accordée aux grands peintres du Japon, parce qu'il s'est consacré à la représentation de la Vie vulgaire[10], mais que, s'il avait pris la succession de Kano et de Tosa, il aurait certainement dépassé les Okiyo et les Bountchô.
[Note 10: Je me conforme à la traduction consacrée, mais Oukiyô yé serait plutôt traduisible par: la vie courante, la vie telle qu'elle se présente rigoureusement aux yeux du peintre.]
II
Hokousaï[11] est né le dix-huitième jour du premier mois de la dixième année de Hôréki, le 5 mars 1760.
[Note 11: Les Japonais mangent le ou du nom et le prononcent Hok'saï. Maintenant encore, les Japonais aspirent très fort l'H du commencement du nom du peintre, et il faudrait peut-être, pour conserver au nom l'aspiration de là-bas, redoubler l'H, mais ce serait changer trop complètement l'orthographe à laquelle le public français est habitué.]
Il est né à Yédo, dans le quartier Honjô, quartier de l'autre côté de la
Soumida, touchant à la campagne, quartier affectionné par le peintre et
qui lui a fait un temps signer ses dessins: le paysan de Katsoushika, —Katsoushika étant le district de la province où se trouve le quartier Honjô.
D'après le testament de sa petite fille Shiraï Tati, il serait le troisième fils de Kawamoura Itiroyémon qui, sous le nom de Bounsei, aurait été un artiste à la profession inconnue. Mais, vers l'âge de quatre ans, Hokousaï, dont le premier nom était Tokitaro, était adopté par Nakajima Issé, fabricant de miroirs de la famille princière de Tokougawa: adoption qui lui faisait faussement donner pour père ce Nakajima Issé.
Hokousaï, encore garçonnet, entrait comme commis de librairie chez un grand libraire de Yédo où, tout à la contemplation des livres illustrés, il remplissait si paresseusement et si dédaigneusement son métier de commis qu'il était mis à la porte.
Ce feuilletage des livres illustrés du libraire, cette vie dans l'image, pendant de longs mois, avait fait naître chez le jeune homme le goût, la passion du dessin, et nous le trouvons vers les années 1773, 1774, travaillant chez un graveur sur bois, et en 1775, sous le nouveau nom de Tétsouzô, gravant les six dernières feuilles d'un roman de Santchô. Et le voilà graveur jusqu'à l'âge de dix-huit ans.
III
En 1778, Hokousaï, alors dit Tétsouzô, abandonne son métier de graveur, ne consent plus à être l'interprète, le traducteur du talent d'un autre, est pris du désir d'inventer, de composer, de donner une forme personnelle à ses imaginations, a l'ambition de devenir un peintre. Et il entre à l'âge de dix-huit ans dans l'atelier de Shunshô où son talent naissant lui mérite un nom: le nom de Katsoukawo Shunrô sous lequel le maître l'autorise à signer ses compositions représentant une série d'acteurs, dans le format en hauteur des dessins de comédiens de Shunshô son maître, et où commence à apparaître chez le jeune Shunrô un rien du dessinateur qui sera plus tard le grand Hokousaï.
Et, avec la persévérance d'un travail entêté, il continue à dessiner et à jeter dans le public, jusqu'en 1786, des compositions portant la signature de Katsoukawo Shunrô ou simplement Shunrô.
Les compositions de ces années d'Hokousaï, ainsi que les premières compositions d'Outamaro, étaient gravées dans des petits livres à cinq sous, ces livres populaires, au tirage en noir, à la couverture jaune, d'où ils tirent leur nom: Kibiôshi, LIVRES JAUNES.
Le premier livre jaune qu'il illustrait, en 1781, à l'âge de vingt et un ans, était un petit roman en trois volumes, intitulé: Arigataï tsouno itiji, GRÂCE À UN MOT GALANT, TOUT EST PERMIS, roman que ni Hayashi, ni les biographes du peintre japonais n'ont rencontré, et dont le texte, à l'époque de la publication, a été attribué à Kitao Masanobou, plus tard le célèbre romancier Kiôdén, tandis que le texte et les dessins sont d'Hokousaï qui avait publié cette plaquette sous le pseudonyme de Koréwasaï, sobriquet signifiant: «Est-ce cela?» le refrain d'une chansonnette du temps.
L'année suivante, en 1782, Hokousaï publie les COURRIERS DE KAMAKOURA, deux fascicules dont il fait le texte et les dessins et qu'il présente au public sous le nom de Guioboutsou pour le texte, et de Shunrô pour les dessins.
C'est le récit d'un fait historique, d'une tentative au XVIIe siècle du renversement du troisième shôgoun par Shôsétsou. Et l'on voit, dans la succession des planches, le jeune ambitieux complotant presque enfant, se livrant aux exercices militaires, apprenant d'un tacticien mystérieux l'art de la guerre,—et le moyen magique d'être vu par le regard des hommes, sous son apparence sept fois répétée. Et il organise la conspiration, qui fait égorger les courriers, et il rêve la protection d'un dieu favorable à ses desseins, et a l'illusion de se voir dans un miroir, en shôgoun, et un de ses affidés en premier ministre, et il tient conseil avec ses partisans, et il bataille bravement avec les soldats envoyés