L'alouette du casque; ou, Victoria, la mère des camps. Эжен Сю

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L'alouette du casque; ou, Victoria, la mère des camps - Эжен Сю

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le bord.

      Les quatre soldats avaient ramé en silence pendant quelque temps, lorsque le plus âgé des quatre, vétéran à moustaches grises, me dit:

      — Il n'y a rien de tel qu'un bardit gaulois pour faire passer le temps et manoeuvrer les rames en cadence; on dirait qu'un vieux refrain national répété en choeur rend les avirons moins pesants. Peut-on chanter, ami Scanvoch?

      — Tu me connais?

      — Qui ne connaît dans l'armée le frère de lait de la mère des camps?

      — Simple cavalier, je me croyais plus obscur.

      — Tu es resté simple cavalier malgré l'amitié de notre Victoria pour toi; voilà pourquoi, Scanvoch, chacun te connaît et chacun t'aime.

      — Vrai, tu me rends heureux en me disant cela. Comment te nommes- tu?

      — Douarnek.

      — Tu es Breton?

      — Des environs de Vannes.

      — Ma famille aussi est originaire de ce pays.

      — Je m'en doutais, car l'on t'a donné un nom breton. Eh bien, ce bardit, peut-on le chanter, ami Scanvoch? Notre officier nous a donné l'ordre de t'obéir comme à lui; j'ignore où tu nous conduis, mais un chant s'entend de loin, surtout lorsqu'il s'agit d'un bardit national entonné en choeur par de vigoureux garçons à larges poitrines… Ou peut-être ne faut-il pas attirer l'attention sur notre barque?

      — Maintenant, tu peux chanter… Plus tard… non.

      — Alors, qu'allons-nous chanter, enfants? dit le vétéran en continuant de ramer, ainsi que ses compagnons, et tournant seulement la tête de leur côté; car, placé au premier banc, il me faisait face. Voyons… choisissez…

      — Le bardit des Marins, dit un des soldats.

      — C'est bien long, mes enfants, reprit Douarnek.

      — Le bardit du Chef des cent vallées?

      — C'est bien beau, reprit Douarnek; mais c'est un chant d'esclaves attendant leur délivrance, et par les os de nos pères? nous sommes libres aujourd'hui dans la vieille Gaule!

      — Ami Douarnek, lui dis-je, c'est au refrain de ce chant d'esclaves: Coule, coule, sang du captif! Tombe, tombe, rosée sanglante! que nos pères, les armes à la main, ont reconquis cette liberté dont nous jouissons.

      — C'est vrai, Scanvoch… mais ce bardit est long, et tu nous as prévenus que nous devions bientôt rester muets comme les poissons du Rhin.

      — Douarnek, reprit un jeune soldat, si tu nous chantais le bardit d'Hêna, la vierge de l'île de Sên…? Il me fait toujours venir les larmes aux yeux; car c'est ma sainte, à moi, cette belle et douce Hêna, qui vivait il y a des cents et des cents ans!

      — Oui, oui, reprirent les trois autres soldats, chante-nous le bardit d'Hêna, Douarnek; ce bardit prophétise la victoire de la Gaule… et la Gaule est victorieuse aujourd'hui.

      Moi, entendant cela, je ne disais rien; mais j'étais ému, heureux, et je l'avoue, fier, en songeant que le nom d'Hêna, morte depuis plus de trois cents ans, était resté populaire en Gaule comme au temps de mon aïeul Sylvest, et allait être chanté.

      — Va pour le bardit d'Hêna, reprit le vétéran, j'aime aussi cette sainte et douce fille, qui offre son sang à Hésus pour la délivrance de la Gaule; et toi, Scanvoch, le sais-tu, ce chant?

      — Oui… à peu près… je l'ai déjà entendu…

      — Tu le sauras toujours assez pour répéter le refrain avec nous.

      Et Douarnek se mit à chanter, d'une voix pleine et sonore qui, au loin, domina le bruit des grandes eaux du Rhin:

      «Elle était jeune, elle était belle, elle était sainte.

      «Elle a donné son sang à Hésus pour la délivrance de la Gaule!

      «Elle s'appelait Hêna! Hêna, la vierge de l'île de Sên.

      *

      «Bénis soient les dieux, ma douce fille, lui dit son père Joël, le brenn de la tribu de Karnak, bénis soient les dieux, ma douce fille, puisque te voilà ce soir dans notre maison pour fêter le jour de ta naissance!

      *

      «Bénis soient les dieux, ma douce fille, lui dit sa mère Margarid, bénie soit ta venue! Mais ta figure est triste?

      *

      «Ma figure est triste, ma bonne mère, ma figure est triste, mon bon père, parce qu'Hêna, votre fille, vient vous dire adieu et au revoir.

      *

      «Et où vas-tu, chère fille? Le voyage sera donc bien long? Où vas- tu ainsi?

      *

      «Je vais dans ces mondes mystérieux que personne ne connaît et que tous nous connaîtrons, où personne n'est allé et où tous nous irons, pour revivre avec ceux que nous avons aimés.»

      *

      Et moi et les rameurs, nous avons repris en choeur:

      «Elle était jeune, elle était belle, elle était sainte…

      «Elle a donné son sang à Hésus pour la délivrance de la Gaule!

      «Elle s'appelait Hêna! Hêna, la vierge de l'île de Sên.»

      Douarnek continua son chant:

      «Et entendant Hêna dire ces paroles-ci, bien tristement se regardèrent et son père et sa mère, et tous ceux de sa famille, et aussi les petits enfants, car Hêna avait un grand faible pour l'enfance.

      *

      «— Pourquoi donc, chère fille, pourquoi donc déjà quitter ce monde, pour t'en aller ailleurs sans que l'ange de la Mort t'appelle?

      *

      «— Mon bon père, ma bonne mère, Hésus est irrité, l'étranger menace notre Gaule bien-aimée. Le sang innocent d'une vierge, offert par elle aux dieux, peut apaiser leur colère…

      *

      «Adieu donc et au revoir, mon bon père, ma bonne mère! Adieu et au revoir, vous tous, mes parents et mes amis! Gardez ces colliers, ces anneaux en souvenir de moi que je baise une dernière fois vos têtes blondes, chers petits! Adieu et au revoir! Souvenez-vous d'Hêna, votre amie; elle va vous attendre dans les mondes inconnus.»

      *

      Et moi et les rameurs nous avons repris en choeur, au bruit cadencé des rames:

      «Elle était jeune, elle était belle, elle était sainte!

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