L'alouette du casque; ou, Victoria, la mère des camps. Эжен Сю
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Читать онлайн книгу L'alouette du casque; ou, Victoria, la mère des camps - Эжен Сю страница 8
— Ton bon coeur te fait défendre le fils de ta soeur de lait, Scanvoch, quoique tu le saches coupable, à moins que tu nies ce que tu ignores…
— Qu'est-ce que j'ignore?
— Une aventure que chacun sait dans le camp.
— Quelle aventure? Dis-la…
— Il y a quelque temps, Victorin et plusieurs officiers de l'armée ont été boire et se divertir dans une des îles des bords du Rhin où se trouve une taverne… Le soir venu, Victorin, ivre comme d'habitude, a fait violence à l'hôtesse; celle-ci, dans son désespoir, s'est jetée dans le fleuve… où elle s'est noyée…
— Un soldat qui se conduirait ainsi sous un chef sévère, dit un des rameurs, porterait sa tête sur le billot…
— Et ce supplice, il l'aurait mérité, ajouta un autre rameur; j'aimerais, comme un autre, à rire avec mon hôtesse; mais lui faire violence, c'est une sauvagerie digne de ces écorcheurs franks dont les prêtresses, cuisinières du diable, font bouillir nos prisonniers dans leur chaudière.
J'étais resté si stupéfait de l'accusation portée contre Victorin, que, pendant un moment, j'avais gardé le silence; mais je m'écriai:
— Mensonge!… mensonge aussi infâme que l'eût été une pareille conduite! Qui ose accuser le fils de Victorin d'un tel crime?
— Un homme bien informé, me répondit Douarnek.
— Son nom? le nom de ce menteur?
— Il s'appelle Morix; il était le secrétaire d'un parent de
Victoria, venu au camp il y a un mois.
— Ce parent est Tétrik, gouverneur de Gascogne, dis-je stupéfait; cet homme est la bonté, la loyauté mêmes, un des plus anciens, des plus fidèles amis de Victoria.
— Alors le témoignage de cet homme n'en est que plus certain.
— Quoi! lui, Tétrik! il aurait affirmé ce que tu racontes?
— Il en a fait part et l'a confirmé à son secrétaire, en déplorant l'horrible dissolution des moeurs de Victorin.
— Mensonge! Tétrik n'a que des paroles de tendresse et d'estime pour le fils de Victoria.
— Scanvoch, nous sommes tous deux Bretons; je sers dans l'armée depuis vingt-cinq ans: demande à mes officiers si Douarnek est un menteur.
— Je te crois sincère, mais l'on t'a indignement abusé!
— Morix, le secrétaire de Tétrik, a raconté l'aventure, non pas seulement à moi, mais à bien d'autres soldats du camp, auxquels il payait à boire… Cet homme a été cru sur parole, parce que plus d'une fois, moi, comme beaucoup de mes compagnons, nous avons vu Victorin et ses amis, échauffés par le vin, se livrer à de folles prouesses.
— L'ardeur du courage n'échauffe-t-elle pas les jeunes têtes autant que le vin?
— Écoute, Scanvoch, j'ai vu de mes yeux Victorin pousser son cheval dans le Rhin, disant qu'il voulait le traverser, et il eût été noyé si moi et un autre soldat, nous jetant dans une barque, n'avions été le repêcher demi-ivre, tandis que le courant entraînait son cheval… un superbe cheval noir, ma foi… Sais-tu ce qu'alors Victorin nous a dit? «Il fallait me laisser boire, puisque ce fleuve coule du vin blanc de Béziers.» Ce que je raconte n'est pas un conte, Scanvoch; je l'ai vu de mes yeux, je l'ai entendu de mes oreilles.
À cela, malgré mon attachement pour Victorin, je ne pus rien répondre: je le savais incapable d'une lâcheté, d'une infamie; mais aussi je le savais capable de dangereuses étourderies.
— Quant à moi, reprit un autre soldat, j'ai souvent vu, étant de faction près de la demeure de Victorin, séparée de celle de sa mère par un jardin, des femmes voilées sortir à l'aube de son logis; il en sortait de grandes, il en sortait de petites, il en sortait de grosses, il en sortait de maigres, à moins que le crépuscule ne me troublât la vue et que ce fût toujours la même femme.
— À cela, ta sincérité n'a rien à répondre, ami Scanvoch, me dit Douarnek; — car, en effet, je n'avais pu contredire cette autre accusation. — Ne t'étonne donc plus de notre croyance aux paroles du secrétaire de Tétrik… Voyons, avoue-le, celui qui, dans son ivresse, prend le Rhin pour un fleuve de vin de Béziers, celui de chez qui sort à l'aube une pareille procession de femmes, ne peut- il pas, dans son ivresse, vouloir faire violence à son hôtesse?
— Non m'écriai-je, non! L'on peut avoir les défauts de son âge, sans être pour cela un infâme!
— Tiens, Scanvoch, tu es l'ami de notre mère à tous, de Victoria, la belle et l'auguste; tu chéris Victoria comme son fils; dis-lui ceci: Les soldats, même les plus grossiers, les plus dissolus, n'aiment pas à retrouver leurs vices dans les chefs qu'ils ont choisis; aussi, de jour en jour, l'affection de l'armée se retire de Victorin pour se reporter tout entière sur Victoria.
— Oui, lui dis-je en réfléchissant; et cela seulement, n'est-ce pas? depuis que Tétrik, le gouverneur de Gascogne, parent et ami de Victoria, a fait un dernier voyage au camp. Jusqu'alors on avait aimé le jeune général, malgré les faiblesses de son âge.
— C'est vrai; il était si bon, si brave, si avenant pour chacun! Il était si beau à cheval! il avait une si fière tournure militaire! Nous l'aimions comme notre enfant, ce jeune capitaine! Nous l'avions vu naître et fait danser tout petit sur nos genoux aux veillées du camp; plus tard, nous fermions les yeux sur ses faiblesses, car les pères sont toujours indulgents; mais pour des indignités, pas d'indulgence!
— Et de ces indignités, repris-je de plus en plus frappé de cette circonstance qui, rappelant à mon esprit certains souvenirs, éveillait aussi en moi une vague défiance, et de ces indignités il n'existe pas d'autre preuve que la parole du secrétaire de Tétrik?
— Ce secrétaire nous a rapporté les paroles de son maître, rien de plus…
Pendant cet entretien, auquel je prêtais une attention de plus en plus vive, notre barque, conduite par les quatre vigoureux rameurs, avait traversé le Rhin dans toute sa largeur; les soldats tournaient le dos à la rive où nous allions aborder; moi, j'étais tellement absorbé par ce que j'apprenais de la désaffection croissante de l'armée à l'égard de Victorin, que je n'avais pas songé à jeter les yeux sur le rivage, dont nous approchions de plus en plus… Soudain j'entendis une foule de sifflements aigus retentir autour de nous et je m'écriai:
— Jetez-vous à plat sur les bancs!
Il était trop tard.; une volée de longues flèches criblait notre bateau: l'un des rameurs fut tué, tandis que Douarnek, qui pour ramer tournait le dos à l'avant de la barque, reçut un trait dans l'épaule.
— Voilà comme les Franks accueillent les parlementaires en temps de trêve, dit le vétéran sans discontinuer de ramer et même sans retourner la tète; c'est la première fois que je suis frappé par derrière. Cette flèche dans le dos sied mal à un soldat; arrache- la-moi vite, camarade, ajouta-t-il en s'adressant au rameur devant lequel il était placé.
Mais Douarnek, malgré ses efforts, manoeuvrait sa rame avec moins