Les cotillons célèbres. Emile Gaboriau

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Les cotillons célèbres - Emile Gaboriau

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resplendissantes de beauté, étourdissantes d'esprit et de verve; galantes, amoureuses, faciles; radieuses sous l'étincelant habit de l'époque.

      Au-dessus de tout cela plane le roi. Partout, il nous apparaît drapé dans sa majesté et dans son orgueil. En lui tout se résume; il est l'image, les autres sont le cadre.

      Devant le roi les têtes se découvrent, les fronts se baissent, les genoux se ploient. On n'admire plus, on adore. Acteur de génie en cela, Louis a pris son rôle au sérieux, il inocule aux autres la robuste foi qui le soutient. Ce que disent les flatteurs, ils le pensent; toutes les adulations sont consciencieuses; le courtisan, chose étrange, peut dire la vérité.

      «Nous sommes maintenant si cultivés, si raffinés, dit M. Michelet[3], que nous revenons difficilement à l'intelligence de cette robuste matérialité de l'incarnation monarchique. Ce n'est plus dans notre époque actuelle, c'est au Thibet et chez le grand Lama qu'il faut étudier cela.»

      Malheureusement, le revers de cette médaille si belle est terrible, terrible surtout pour la monarchie. La noblesse qui, aujourd'hui encore, admire Louis XIV, ne veut pas s'avouer qu'elle a été confisquée par lui. M. Pelletan a pour peindre la conduite de Louis XIV une image saisissante de vérité: «Le roi mit la noblesse à l'engrais, elle mangea et ensuite elle mourut.»

      Louis XIV, sans le savoir, fatalement, préparait et rendait possible la révolution; Louis XVI innocent devait payer la dette du coupable. En ruinant, en avilissant les grands seigneurs, en les mettant complétement sous la dépendance du roi, il assurait sa tranquillité présente et son égoïsme y trouvait son compte; mais il privait le trône de ses défenseurs naturels, ou tout au moins il leur ôtait les moyens de le secourir efficacement. Sans compter que pour subvenir à ce luxe, à ces magnificences, pour venir en aide à la noblesse obérée par lui et pour lui, il mit la France au pillage, l'accabla d'impôts, et enfin ne légua à son successeur qu'une banqueroute honteuse.

      Mais que dire des mœurs de cette cour si magnifique? «Là, disent certains historiens, tout était admirable et chevaleresque.» À la surface, peut-être, mais au fond? Étaient-ils si chevaleresques, ces gentilshommes si plats avec le maître, si insolents avec tous les autres; ces marquis avides qui assiégeaient le roi de demandes d'argent; ces nobles qui volaient au jeu, ces ducs qui offraient aux plaisirs du monarque leurs filles, leurs femmes ou leurs sœurs?

      Et ce Louis XIV si sublime, quelle était sa façon d'agir? Il se découvrait avec respect devant toutes les femmes, saluant, disent les mémoires, jusqu'aux chambrières. Voilà qui est fort bien, mais comment était-il avec la reine? avec ses maîtresses, il se conduisait comme rougirait de le faire un valet de nos jours. Pour lui, les femmes ne furent jamais qu'un joujou: il les prenait, les brisait, puis les jetait là, sans souci et sans vergogne, jusqu'au jour où lui-même tomba aux mains de la veuve Scarron.

      À la cour de Louis XIV, les femmes tiennent une grande place; mais leur rôle politique est fort effacé et tout occulte. Quant à leur conduite, elle était ce qu'elle devait être près d'un prince qui glorifiait l'adultère et ne rougissait pas de promener dans le même carrosse sa femme et deux de ses maîtresses.

      Un maître en l'art d'écrire, Paul-Louis Courier, nous a laissé sur ces mœurs chevaleresques une page étincelante d'esprit et de verve, et bien vraie cependant. «Imaginez, dit-il, ce que c'est. La cour.... Il n'y a ici ni femmes ni enfants: écoutez. La cour est un lieu honnête, si l'on veut, et cependant bien étrange. De celle d'aujourd'hui, je sais peu de nouvelles; mais je connais, et qui ne connaît pas celle du grand roi Louis XIV, le modèle de toutes, la cour par excellence.

      «C'est quelque chose de merveilleux. Car, par exemple, leur façon de vivre avec les femmes... je ne sais trop comment vous dire. On se prenait, on se quittait, ou, se convenant, on s'arrangeait. Les femmes n'étaient pas toutes communes à tous; ils ne vivaient pas pêle-mêle. Chacun avait la sienne, et même ils se mariaient. Cela est hors de doute.

      «Ainsi, je trouve qu'un jour, dans le salon d'une princesse, deux femmes, au jeu, s'étant piquées, comme il arrive, l'une dit à l'autre:—Bon Dieu! que d'argent vous jouez, combien donc vous donnent vos amants?—Autant, repartit celle-ci sans s'émouvoir, autant que vous donnez aux vôtres. Et la chronique ajoute: Les maris étaient là; elles étaient mariées; ce qui s'explique peut-être, en disant que chacune était la femme d'un homme et la maîtresse de tous.

      «Il y a de pareils traits en foule. Le roi eut un ministre, entre autres, qui aimant fort les femmes, les voulut avoir toutes; j'entends celles qui en valaient la peine; il les paya et les eut. Il lui en coûta. Quelques-unes se mirent à haut prix, connaissant sa manie. Tant que voulant avoir aussi celle du roi, c'est-à-dire sa maîtresse d'alors il la fit marchander, dont le roi se fâcha et le mit en prison. S'il fit bien, c'est un point que je laisse à juger; mais on en murmura. Les courtisans se plaignirent.—Le roi veut, disaient-ils, entretenir nos femmes; coucher avec nos sœurs et nous interdire ses.... Je ne veux pas dire le mot: mais ceci est historique, et si j'avais mes livres, je vous le ferais lire.»

      À ce tableau déjà si sombre, on pourrait ajouter bien d'autres traits encore. Toutes les dépravations étaient représentées à cette cour chevaleresque. La débauche allait le front levé, étalant dans les salons dorés ses flétrissures qui n'étaient pas marques d'infamies. Les hommes reprochaient aux femmes des passions renouvelées des mystères de la bonne déesse; les femmes montraient du doigt en riant les partisans de l'amour grec, fiers de compter dans leurs rangs Monsieur, le frère du roi et les plus illustres de l'armée, Condé, Villars, d'Humières, le chevalier de Lorraine, le cardinal de Bouillon et bien d'autres. Les femmes enfin s'essayaient aux vices des hommes; et, au dire de la princesse Palatine, s'adonnaient à l'ivrognerie. Mademoiselle de Mazarin se grisait au champagne, madame de Montespan eût tenu tête à un mousquetaire, la duchesse de Berry, qui préférait l'eau-de-vie, roulait ivre-morte sous la table.

      Malheureusement la dépravation n'était pas confinée à la cour; elle allait de couche en couche gagnant la société tout entière, la noblesse de robe, la bourgeoisie, le peuple; on assiste alors à une épouvantable débâcle des mœurs.

      Lorsque, pris de la peur de l'enfer que lui montrait madame de Maintenon, Louis XIV songea sur ses vieux jours à faire pénitence, tous les courtisans se grimèrent à l'exemple du maître, mais la morale n'y gagna rien; l'hypocrisie doubla tous les autres vices, voilà tout. La cour prit un air grotesquement béat et dévot. Tartufe eut ses grandes entrées. On avait porté des plumes et des dentelles, on porta des scapulaires et des chapelets. La galanterie s'affubla d'un cilice, l'adultère coucha sur la cendre.

       —Laurent, vite ma haire avec ma discipline.

      Mais pour se faire une juste idée de Louis XIV au moment de son apothéose, il est nécessaire de le suivre à Versailles. Versailles, c'est son œuvre à lui, sa création. Là tout le symbolise et le personnifie. C'est son Olympe, son empyrée.

      Depuis longtemps Louis XIV avait en haine toutes les résidences royales. Il détestait Paris, qui lui rappelait la Fronde; Paris où gronde la tempête populaire, où «l'ignoble peuple a faim et se plaint. Il n'aimait ni Fontainebleau, ni Chambord, ni Compiègne, peuplés de légendes royales, car il jalousait jusqu'à l'ombre de ses aïeux.»

      Sa résidence habituelle, Saint-Germain, lui devenait de jour en jour odieuse; au loin il apercevait les clochers de Saint-Denis, perpétuel memento mori qui troublait l'ivresse de sa puissance. D'ailleurs à Saint-Germain il avait passé sa jeunesse, il y avait aimé et pleuré avant que d'être Dieu, et mille souvenirs s'y attachaient qui lui semblaient nuisibles à sa majesté, à sa dignité, à sa gloire.

      Un courtisan caustique, il y en avait, pouvait, aux dépens du maître, y exercer

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