Les gens de bureau. Emile Gaboriau
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Il attendit huit jours, un mois, six mois…. ……………………………………….
Après quoi il prit son chapeau et se rendit au Ministère afin d'avoir des nouvelles de son examen.
—Vous êtes reçu, lui dit un employé très-complaisant auquel on l'adressa; et sans l'écriture qui vous a nui beaucoup, vous étiez reçu le premier, hors ligne; mais vous écrivez si mal que vous vous êtes trouvé rejeté à la quatre-vingt-troisième place.
—Et quand aurai-je un emploi? demanda Caldas.
—Mais à votre tour; vous avez le numéro neuf mille cent quatre-vingt-sept.
—Ciel! s'écria Romain épouvanté, j'aurai cent ans quand mon tour viendra.
—Pardon, dit l'employé, depuis l'examen il y a eu cinq nominations.
Romain salua poliment et se retira fort édifié.
Renonçant à dîner du budget, Caldas ne songea plus qu'à déjeuner de la littérature. Dès le lendemain, il envoyait au Bilboquet, journal de banque et de littérature mêlées, un article de haute fantaisie, qui fit le succès du numéro et lui fut payé un franc trente-cinq centimes.
Attaché à poste fixe à cet organe sérieux, il ne tarda pas avoir se développer devant lui les resplendissants horizons de la fortune et de la gloire.
Un quart de vaudeville reçu au théâtre de Grenelle mit le sceau à sa réputation.
De ce jour il vécut de sa plume, indépendant et fier…
* * * * * Il y avait dix-neuf mois que Romain mourait de faim, lorsqu'un soir où, par hasard, il rentrait chez lui, sa portière lui remit un pli estampé d'un timbre officiel.
Il rompit l'enveloppe d'une main fiévreuse, croyant y trouver des propositions de collaboration à l'un des Officiels.
Mais la lettre n'était pas de M. A. Wittersheim, ce n'était qu'un imprimé. Il lut:
«Le chef du personnel du ministère de l'Équilibre national a l'honneur d'informer M. Romain Caldas que par décision de Son Excellence en date du 18 janvier 1869, il a été appelé à remplir les fonctions d'employé surnuméraire dans les bureaux de son administration.
«(Signé) LE CAMPION.»
—Je la trouve mauvaise, dit Caldas, qui fréquentait depuis quelque temps un assez vilain monde.
Sur cette réflexion il souffla sa bougie, et s'endormit en pensant aux cheveux blonds de Mlle Célestine, l'ingénue de Grenelle, qui les a rouges.
* * * * *
—Toc, toc, toc, toc…
—Qui est là? dit Caldas, furieux d'être éveillé en sursaut.
—C'est moi, Krugenstern, fit un accent souabe des plus prononcés.
—Mon Dusautoy, murmura Caldas; et il ouvrit.
Il était joliment en colère, le père Krugenstern, ce matin-là. Il voulait de l'argent, il attendait son argent depuis dix-neuf mois.
—Et voilà dix-neuf mois aussi que j'attends ma nomination, s'écria Caldas, et je viens seulement de la recevoir; tenez, la voici. Mais elle arrive trop tard… quand je n'ai plus d'habits… je vais allumer ma pipe avec ce chiffon.
Krugenstern retint la main de l'insensé. A ce mot de nomination, son coeur de tailleur avait battu plus fort. Il avait compris que de ce jour Caldas devenait un débiteur sérieux; sa créance allait avoir une base; l'employé présente une surface, et l'on peut mettre opposition à ses appointements.
Sans mot dire, grave, contenu, M. Krugenstern tira de sa poche son mètre et son morceau de craie, et prit mesure à Caldas, qu'il trouva sensiblement maigri.
—Mais… que faites-vous, mon cher ami? dit Caldas inquiet.
—Che fous vais ein bartessus, ein baldot, ein bandalon et ein chilet; fus aurez tut cela temain, temain madin, te ponne heure.
Et il sortit.
Caldas, qui avait des sentiments délicats, comprit qu'il était engagé d'honneur à prendre le grattoir dans la grande armée de la paperasse.
C'est ainsi qu'un tailleur allemand détermina la vocation d'un administrateur français.
III
Il était beau, il était frais, il était distingué.
Ah! M. Krugenstern avait bien fait les choses, mais Caldas l'avait bien secondé.
Il avait des bottines vernies avancées sur son compte de rédaction par le rédacteur en chef du Bilboquet; il avait un chapeau de soie presque tout neuf, résultat intelligent du libre-échange: toute sa vieille défroque y avait passé.
Même il avait des gants violet-tendre; mais ces gants lui coûtaient cher. Pour eux il avait vendu à un Porcher du Gros-Caillou ses droits d'auteur sur son quart de vaudeville.
O France! reine du monde civilisé! salue à son aurore un de tes maîtres futurs!
—Monsieur, dit-il en s'inclinant devant un homme en livrée marron-clair, j'ai reçu la lettre que voici…
L'homme en livrée lisait au coin du poêle un article de M. Dréolle.
A cette voix qui troublait ses délassements intellectuels, il releva la tête; son regard, sous ses lunettes, remonta rapidement jusqu'à la boutonnière supérieure du beau pardessus de M. Krugenstern, et comme il n'y vit pas le plus petit bout de ruban, sans se donner la peine de dévisager son interlocuteur, il se replongea dans sa lecture avec un flegme imperturbable.
—Monsieur, recommença Caldas…
—Là-bas, au fond de la galerie, dit l'homme avec insouciance.
Au fond de la galerie, Caldas trouva deux autres personnages, toujours en marron-clair, qui prenaient leur café.
Jugeant l'occurrence favorable pour glisser sa requête, le nouveau tendit à l'un de ces messieurs sa lettre tout ouverte.
Le moka était réussi, le monsieur de bonne humeur; il invita Caldas à s'asseoir sur une banquette, et posant méthodiquement la lettre d'avis sous un presse-papier, continua à vaguer sans façon à ses occupations gastronomiques.
Au bout de trois petits quarts d'heure, comme Romain se demandait s'il ne ferait pas mieux d'aller rendre à Krugenstern les habits qu'il lui avait confiés pour faire fortune, le garçon de bureau qui s'était montré si bienveillant pour lui reprit en hochant la tête:
—Monsieur, le chef du personnel ne reçoit